Une dirigeante du centre de santé et de services sociaux (CSSS) Cavendish a voyagé aux frais de Proaction jusqu'à Vancouver pour vanter les mérites de la méthode controversée de cette firme privée, qui consiste à calculer à la minute près les actes du personnel en soins à domicile, a appris La Presse. Trois autres coordonnateurs du CSSS ont fait le même voyage en puisant dans le Fonds de recherche et d'expertise en gérontologie (CREGES) de ce Centre affilié universitaire. Au total, 7035,93$ ont été déboursés.

Taxis, avion aller-retour, frais pour excédent de bagages, chambre à 200$ la nuit à l'hôtel Hyatt du centre-ville, dîners et soupers: la facture de Peggy Schachter, chef d'administration de programmes, s'est élevée à 2246,45$ pour trois jours, en incluant une somme de 784$ afin de présenter une conférence sur la méthode «Lean» au profit de Proaction, dans le cadre du sommet annuel de l'Association canadienne des soins à domicile.

L'événement, qui s'est tenu du 23 au 25 octobre dernier en Colombie-Britannique, a eu lieu au moment où infirmières et personnel en soins à domicile dénonçaient en bloc l'approche «Lean» de Proaction, jugée cavalière, et appelaient au boycottage.

Une cinquième dirigeante du CSSS Cavendish, Lucy Barylak, dont les dépenses ont été payées par la coalition Canadian Caregiver, a aussi pris part au sommet. Elle y a reçu un prix d'excellence pour l'avancement des aidants naturels, selon des relevés de dépenses que La Presse a obtenus.

Le sommet en question, qui en était à sa 22e présentation cette année, est notamment commandité par des firmes privées de soins à domicile, dont Revera Home Health, et compte parmi ses partenaires Inforoute santé du Canada. Il constitue une occasion en or pour les entreprises de présenter leurs offres de services.

Le CSSS Cavendish a été l'un des premiers au Québec à attribuer un contrat de gré à gré à la firme Proaction, qui s'élève à un demi-million à ce jour. Au total, la firme a déjà reçu des contrats d'une valeur de 7,3 millions dans différents centres de santé de la province, et au moins trois appels d'offres sont en cours.

Facture remboursée

Jointe par La Presse, Francine Dupuis, directrice du CSSS Cavendish, a expliqué qu'elle n'était pas au courant au départ que Proaction avait payé le voyage d'un de ses dirigeants. «Je l'ai su à son retour, et nous avons remboursé la facture à Proaction dès que j'ai été informée, assure-t-elle. J'étais d'accord avec le principe de visibilité. Mais c'était un peu gênant. Toute apparence de conflit d'intérêts est inacceptable. Je peux vous dire que tout le monde a agi de bonne foi.»

La Presse a tenté de savoir auprès de Denis Lefebvre, fondateur de Proaction et propriétaire d'un bistro branché à Montréal, s'il avait payé d'autres voyages ou dépenses à des fonctionnaires de la santé. Il n'a pas rappelé. Selon nos informations, la firme aurait notamment payé un déjeuner à plusieurs hauts fonctionnaires, l'automne dernier, pour présenter ses services.

Sur son site internet, Proaction défend sa méthode en affirmant que la liste d'attente pour obtenir des soins à domicile au CSSS Cavendish a diminué de moitié au cours des 10 derniers mois et le recours à la main-d'oeuvre indépendante, de 30%.

Les syndicats représentant infirmières, diététistes, ergothérapeutes et travailleurs sociaux estiment que la méthode «Lean» contrevient à leur code de déontologie. Au CSSS Cavendish, où la méthode est implantée depuis le printemps, Mme Dupuis affirme qu'il faudra attendre encore un an ou deux avant de constater les bienfaits de la méthode de Proaction - et de voir la grogne diminuer.

- Avec la collaboration de William Leclerc