Le gouffre financier de 115 millions du CUSM demeure un mystère. Comment un tel dérapage a-t-il pu se produire sans qu'aucun gestionnaire tire la sonnette d'alarme? Devant cette situation, le ministre Réjean Hébert n'accorde à l'hôpital que quelques mois pour assainir ses finances.

Devant le marasme financier dans lequel s'enfonce le Centre universitaire de santé McGill (CUSM), Québec nomme un «accompagnateur» qui doit aider l'établissement à éviter la tutelle en corrigeant rapidement ce qui est maintenant le pire déficit de toute l'histoire du système de santé québécois.

Si l'accompagnateur n'arrive pas à redresser la barre par ses conseils au CUSM d'ici à l'été, le ministère pourrait lui conférer des pouvoirs d'intervention additionnels ou, carrément, mettre le centre universitaire sous tutelle.

Le Ministère a fait cette annonce hier, lors du dévoilement du rapport Baron, un exercice de vérification des finances du CUSM dont La Presse a révélé les points saillants lundi.

Épaulé par des experts choisis par le Ministère, l'ancien PDG de l'agence de la santé et des services sociaux de l'Estrie, le Dr Michel Baron, a passé au peigne fin les finances de l'établissement. Il devait se concentrer sur la gestion courante du CUSM, pas sur le contrat de construction du nouveau mégahôpital, qui fait déjà l'objet d'une enquête de l'escouade Marteau.

Le rapport Baron conclut que le CUSM pourrait se retrouver avec un déficit de 115 millions de dollars pour l'année 2012-2013, en tenant compte de certaines charges non récurrentes. Ce déficit à lui seul dépasse le déficit cumulé des 183 établissements du réseau de la santé en 2011-2012. Du jamais vu, confirme le sous-ministre associé à la Santé, Michel Fontaine.

Hausse injustifiable

Le ministre de la Santé, Réjean Hébert, s'est montré très contrarié par la situation.

«Ce n'est pas acceptable, quand on demande à l'ensemble du réseau d'atteindre leurs cibles budgétaires, d'avoir un déficit de 115 millions. D'autant plus que c'est un déficit qui tire son origine d'un problème de gestion, pas de l'amélioration des soins aux patients», a-t-il déploré.

Le gouvernement avait autorisé exceptionnellement le centre universitaire à réaliser un déficit de 12 millions, soit 10 fois moins que ce qui est maintenant prévu.

Les vérificateurs du Ministère ont aussi découvert une augmentation injustifiable des heures rémunérées entre 2009 et 2012, qui équivaut au travail de 500 personnes à temps plein. Ces heures ont bel et bien été travaillées par le personnel, mais elles ne sont pas justifiées par la quantité de soins à prodiguer, selon les vérificateurs.

Lourd fardeau

D'importantes lacunes ont été décelées dans la gestion de l'ancien directeur général Arthur Porter et de son équipe. Ceux-ci dépensaient carrément des fonds inexistants, ont constaté les experts du Ministère. Le conseil d'administration était gardé dans le noir.

«Le CUSM alloue des sommes qu'il n'a pas», écrivent-ils dans leur rapport.

«Nous avons trouvé, surtout de 2009 à 2011, un non-respect des règles et des lois», a expliqué aux journalistes le

Dr Michel Baron, faisant référence notamment à la loi antidéficit, à la loi sur la santé et à plusieurs procédures administratives qui n'ont pas été respectées.

La création par le CUSM d'un organisme à but non lucratif, Syscor, dans le but avoué de développer des systèmes informatiques sans se soumettre aux contrôles du Ministère et de l'Agence de la santé, pourrait aussi s'être avérée peu avantageuse.

Conséquence: le déficit cumulé du centre hospitalier dépasse les 300 millions, ce qui implique un fardeau de dette important à supporter.

Malgré toutes leurs recherches, les experts s'expliquent mal un tel laisser-aller.

«Nous avons beaucoup de difficulté à comprendre les éléments déclencheurs du dérapage de la situation budgétaire à la fin de l'année financière 2008-2009 et que rien de significatif n'ait été fait pour l'arrêter. C'est quasi impossible que la haute direction n'ait pas eu le diagnostic exact de la situation», écrivent-ils.

Optimisme prudent

L'accompagnateur choisi par Québec est le Dr Michel Bureau, ancien doyen de la faculté de médecine de l'Université de Sherbrooke et ancien haut fonctionnaire du Ministère.

Le ministre Hébert dit faire confiance au conseil d'administration, renouvelé depuis janvier dernier, pour rétablir la situation en collaboration avec le Dr Bureau.

Les auteurs du rapport, eux, font montre d'un optimisme prudent.

«Pour le moment, tous les postes de la haute direction sont occupés par des collaborateurs de l'ancien directeur général. Cependant, trois postes-clés sont actuellement vacants et nous pouvons espérer que cela permettra l'ajout de sang neuf», écrivent-ils.

Dans un communiqué, le CUSM a dit apprécier les efforts déployés par le comité Baron et s'est engagé à tout faire pour assainir ses finances. L'établissement dit toutefois être sous-financé par rapport à sa mission et croit que le déficit appréhendé de 115 millions est trop alarmiste.