Dans ce troisième volet, La Presse propose un plongeon dans les urgences du Centre hospitalier universitaire de Québec, devenu récemment, avec la fusion des cinq établissements qui le composent, l'un des plus importants centres de santé universitaires du pays. Aux prises avec une attente monstre, le personnel déploie des efforts hors du commun pour améliorer sa performance.

Les infirmières s'entassent dans un local qui ressemble à une salle de classe. C'est petit. Elles ont toutes une planchette à pince avec la liste de leurs patients. Il y a une infirmière des urgences, une des services postopératoires, une autre du service de psychiatrie, des membres de l'entretien aussi.

Ce genre de réunion a lieu deux fois par jour - en matinée et à l'heure du souper -, sept jours sur sept, à l'hôpital de l'Enfant-Jésus. Il s'agit du Comité d'action et de support à l'urgence (CASU). Ce comité veille à prévoir quels lits seront libérés dans les prochaines heures afin d'aider les urgences à envoyer des patients aux étages et donc à réduire la durée des séjours sur les civières.

L'infirmière des urgences indique qu'elle a actuellement 73 patients pour 48 civières fonctionnelles. «Avec plus de 70 patients, il faut lui donner de l'air», lance Luc Gagnon, directeur adjoint responsable des soins infirmiers.

«Ça tombe bien, j'ai un tas de lits qui vont se libérer. J'ai un patient qui sera transféré à Alma aujourd'hui, l'autre en Beauce. Et j'en ai un qui doit recevoir son congé pour retourner à la maison», répond Marie-Claude, infirmière d'un service d'hospitalisation.

La suite a l'air d'un bingo. «Mes patients aux soins intensifs sont tous transférables», affirme une infirmière, Élaine Gingras. Tour à tour, les infirmières donnent la liste des lits qui vont se libérer prochainement. «J'ai cinq patients qui s'en vont en hébergement vers 11h. Un patient qui s'en va aux soins palliatifs. Et un autre qui attend la visite d'un travailleur social avant de s'en aller.»

En plus de ce comité, l'hôpital de l'Enfant-Jésus a mis sur pied un service d'hospitalisation brève de six lits afin de libérer les urgences, où l'attente moyenne sur les civières était de 19 h 24 l'an dernier. Les patients qui ont des maux de tête suspects ou qui souffrent d'une pneumonie peuvent y être transférés. Environ 80 patients y sont transférés par mois, et 75% obtiennent leur congé dans un délai de 36 heures et moins.

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Nous sommes maintenant à l'hôpital Saint-François d'Assise. Le chef des urgences, Pierre-Patrick Dupont, explique en regardant un grand panneau indicateur qu'il y avait hier 65 patients aux urgences pour 34 civières. «J'ai beau chercher, je n'ai pas encore trouvé la clé pour verrouiller la porte d'entrée des urgences», ironise-t-il.

Aujourd'hui, le portrait est meilleur. Le panneau indique qu'il y a 52 malades sur civière, dont certains dans les couloirs. Cinq sont en attente d'un lit aux étages. Sans compter ceux qui patientent dans la salle d'attente. Les urgences de Saint-François d'Assise ont accueilli 40 524 personnes l'an dernier. Ce ne sont pas les pires au Québec, mais la «situation était déplorable il y a trois ans», raconte M. Dupont. En 2009-2010, l'attente moyenne des patients, une fois sur une civière, était de 23 h 24. Pour la première fois depuis des années, la situation s'est améliorée l'an dernier: on attend en moyenne 22h12 avant de recevoir son congé ou d'obtenir un transfert. Un gain de plus d'une heure.

Le chef de service estime qu'on doit cette amélioration à la fameuse méthode Toyota, si chère à l'ancien ministre de la Santé. L'hôpital a pris ce virage il y a un an et demi, d'abord en évaluant le parcours du patient de son arrivée aux urgences jusqu'à son départ. On a noté 78 problèmes identifiés dans les soins ambulatoires. «Un éléphant, ça se mange à la petite cuillère, et c'est ce qu'on fait ici», illustre M. Dupont quand on lui demande s'il est difficile de changer les choses en santé.

L'un des premiers changements a touché les moniteurs cardiaques installés auprès des patients sur civière. Depuis peu, on y pose un carton de couleur: rouge s'il ne faut pas débrancher l'appareil, jaune s'il faut consulter avant de le faire, et vert si on peut s'en servir pour un autre patient. De petites roulettes de couleur ont aussi été fixées aux dossiers des patients. Si la couleur est jaune, le patient peut recevoir son congé, et ainsi de suite.

«Ce n'est pas juste une chaîne de Post-it de couleur, se défend M. Dupont. Avant, les assistants devaient trouver le responsable du patient pour lui poser la question. Ce sont des secondes précieuses de perdues. Ce que je tente de faire comprendre à mon équipe de 180 personnes, c'est qu'il n'y a pas de petit changement, comme il n'y a pas de petit infarctus.» M. Dupont regarde sa montre. Dans quelques minutes, il a une rencontre disciplinaire avec un membre de son équipe. Malgré son combat de titan, le chef de service est convaincu que la performance des urgences passe par l'approche Lean. «On ne gère plus des crises l'une après l'autre», assure-t-il. Il estime aussi que son service est devenu plus attrayant pour la relève. Son prochain cheval de bataille consiste à changer les façons de faire au triage.

«Certaines questions posées aux patients sont inutiles puisque le médecin va les poser de nouveau de toute façon, explique-t-il. Nous sommes aussi en train d'inverser l'ordre des choses. On veut que les patients passent au triage avant de s'inscrire. Il faut aussi éliminer ce sentiment de fausse sécurité chez les infirmières. Par exemple, on a constaté que, dans 10% des cas, les électrocardiogrammes au triage donnent des résultats normaux mais que le patient est quand même en train d'avoir une crise cardiaque.»

De Jésus au  déambulateur

La Dre Andrée Vézina tire la porte coulissante d'une chambre des urgences du Centre hospitalier de l'Université Laval, l'une des cinq composantes du CHU de Québec. Il y a seulement trois portes comme celle-là. Elles sont réservées aux personnes âgées. À première vue, la chambre n'a rien de particulier. Une cellule vitrée. Sauf qu'il y a une horloge au mur, un carton indiquant le jour et l'année, pour aider le patient à se situer dans le temps, un fauteuil assez bas et un déambulateur. «On n'avait pas le budget pour les marchettes, j'en ai donc payé deux de ma poche», dit l'urgentologue avant de nous faire signe de la suivre vers les urgences pédiatriques, une spécialité qui fait la marque de cet hôpital.

Depuis trois ans, la Dre Vézina consacre le plus clair de son temps - en dehors de sa pratique aux urgences - à adapter les soins aux personnes âgées. Cette clientèle forme une forte proportion des visites aux urgences du CHUL, les plus fréquentées de la région de la Capitale-Nationale, avec 75 052 visites l'an dernier. Elle explique que son travail de persuasion a commencé au service de gériatrie, puis auprès de la direction de l'hôpital.

«Les infirmières ont du travail par-dessus la tête, elles font des heures supplémentaires obligatoires. Moi, comme médecin, je ne peux pas leur imposer une nouvelle approche. Mais j'ai fini par obtenir leur collaboration.»

L'hôpital a vite constaté que ses civières aux urgences étaient trop hautes, que les fauteuils comportaient des risques de chute, que les repères étaient inexistants au sol et au mur et que la plupart des portes étaient trop étroites pour laisser passer les déambulateurs. A suivi un sondage auprès du personnel soignant. «Des infirmières ont suggéré de mettre des photos de Michel Louvain sur les murs, ou des images de Jésus. Certains employés ont suggéré de rassurer les personnes âgées, de les changer souvent de place, d'éviter de les placer dans le couloir. Ou de les placer dans un endroit plus tranquille.»

Avec la collaboration d'une infirmière en intervention gériatrique, Maryse Saindon, un nouveau protocole a fait son entrée aux urgences un an après le sondage. Il est tout simple. Une grille à cocher. La grille permet au personnel soignant de savoir si le patient a un proche à son chevet, s'il a des prothèses dentaires ou besoin de lunettes, si on soulage sa douleur, si on prévient l'insomnie. Les infirmières ont aussi des repères pour détecter les cas de delirium, dont le diagnostic est erroné dans plus de la moitié des cas, ont démontré des études.

«On ne soigne pas les personnes âgées comme les adultes ou les enfants, explique la Dre Vézina. Il faut y voir parce que, en 2050, l'âge moyen de la population au Québec sera de 50 ans et plus. Ici, les gens de plus de 65 ans comptent pour 45% du nombre total de jours d'hospitalisation. Et le nombre d'hospitalisations chez les 75 ans et plus a doublé depuis 25 ans.»

IRM de nuit

Un appareil d'imagerie par résonance magnétique (IRM) qui avait atteint la fin de sa vie utile a forcé l'hôpital de l'Enfant-Jésus à faire preuve d'imagination pour éviter que les listes d'attente ne s'allongent indéfiniment. La solution: des rendez-vous nocturnes, de minuit à 7h30, pour la clientèle ambulatoire. Au départ, en 2011, il ne s'agissait que d'un projet-pilote. Mais le service est devenu permanent. Selon le coordonnateur administratif du secteur de l'imagerie médicale, Jasmin Parent, le service permet de procéder à 3000 examens de plus par année. «Ça permet à plusieurs patients de ne pas manquer une journée de travail, explique M. Jasmin. Il faut regarder le côté humain dans nos soins. On optimise du même coup l'appareil. Dans un contexte où l'argent compte en santé, il faut se poser la question de savoir si on en a pour son argent.»

Le Québec en chiffres

Québec : 2e ville en importance de la province après Montréal.

Population : 765 706 habitants avec son agglomération

Budget de la santé du Québec : 30,1 MILLIARDS avec une croissance des dépenses de 5%

CHU de Québec

Cinq hôpitaux fusionnés en juillet dernier, avec autant d'urgences qui accueillent plus de

237 000 patients par année. Le nouveau CHU est l'un des trois plus grands centres universitaires de santé au Canada, avec un budget de 1 milliard.

Temps d'attente moyen : 16h44

Hausse importante de fréquentation

Les urgences de cet hôpital du CHU de Québec ont connu une hausse importante de fréquentation. En 2012 (d'avril à septembre), 8105 patients ont été traités sur civière, comparativement à 7163 patients pour la même période, en 2011. Il s'agit d'une hausse de 9,5% en pondérant la première période financière de cette année, qui compte plus de jours.

Durée moyenne des séjours sur civière

2009-2010: 24h (parfois des pointes jusqu'à 27h)

2010-2011: 23h (Implantation du Lean en 2010)

2011-2012: 22h

Photo Erik Labbé, Le Soleil