Il n'y a jamais eu autant de médecins au Québec et la province peut même se targuer d'avoir l'un des ratios de médecins par habitant les plus élevés parmi les provinces canadiennes, révèle une étude réalisée par l'Institut canadien d'information en santé (ICIS). Urgences qui débordent, difficulté à se trouver un médecin de famille, chirurgies sans cesse reportées: l'augmentation du nombre de médecins ne semble toutefois pas se traduire dans les soins à la population. Ce gouffre réside dans la manière d'organiser les soins et la division du travail, observent les experts.

Selon l'étude de l'ICIS rendue publique aujourd'hui, le nombre de médecins augmente plus rapidement que la population canadienne. En 2011, il y avait 72 529 médecins au Canada, soit une augmentation de 14% depuis 2007, alors que durant la même période, la population a connu une croissance de 4,7%.

Au Québec, le nombre de médecins est passé de 16 782 à 18 496 de 2007 à 2011.

La Belle Province comptait, en 2011, 231 médecins pour 100 000 habitants. Seule la Nouvelle-Écosse affiche un meilleur score. La moyenne canadienne est de 209 médecins par 100 000 habitants. L'écart est encore plus impressionnant comparativement à l'Ontario, où l'on dénombre 195 médecins par 100 000 habitants.

«Ça démontre que le nombre de médecins par habitant c'est une donnée importante, mais c'est seulement une variable dans toute l'équation», explique Érik Bourdon, analyste principal à l'ICIS. «Chaque province utilise les médecins qu'elles ont de façon différente. Donc la façon dont les soins sont organisés, c'est primordial.»

Il manque encore des médecins, dit la FMOQ

Même si le nombre de diplômés en médecine ne cesse de croître, la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ) estime qu'il manque encore environ 1000 médecins de famille au Québec. Selon le président de la FMOQ, Louis Godin, le problème d'accès s'explique par le fait qu'une grande part des médecins omnipraticiens doivent dédier du temps de travail en milieu hospitalier. En effet, les médecins de famille doivent consacrer au moins 12 heures par semaine durant leurs 15 premières années de pratique, et 6 heures par semaine entre la 15e et la 20e année de pratique.

«En Ontario, par exemple, les médecins omnipraticiens consacrent entre 80 et 85% de leur temps de travail à des activités de première ligne», explique le Dr Godin. «C'est sûr qu'à première vue, les chiffres du Québec semblent intéressants, mais dans les faits, le champ d'activité des médecins est beaucoup plus grand qu'ailleurs.»

Le recensement de l'ICIS prend en compte les médecins qui ne pratiquent pas comme les chercheurs et les administrateurs. Selon l'ICIS, le Québec comptait 9098 médecins de famille en 2011. Dans les faits, dit le Dr Godin, 8431 praticiens ont facturé à la Régie de l'Assurance maladie du Québec et environ 130 oeuvrent dans le secteur privé. Reste que le nombre de diplômés en médecine ne cesse d'augmenter année après année.

Contrairement à la tendance canadienne, les médecins spécialistes sont aussi plus nombreux au Québec que les omnipraticiens. La difficulté de convaincre les médecins à se diriger vers la médecine familiale explique cette tendance, dit le Dr Godin.

Le Dr Alain Vadeboncoeur, auteur du livre Privé de soins et chef du service de médecine d'urgence de l'Institut de cardiologie de Montréal, croit qu'il est temps de revoir en profondeur la manière d'organiser le système de santé.

«On a jamais vraiment défini qui doit faire quoi. Est-il normal qu'un pédiatre qui a fait 10 ans d'étude consacre une grande partie de sa pratique à des enfants en santé et que les omnipraticiens assument une grande part des activités hospitalières? Est-il pertinent pour un homme de 32 ans en bonne santé d'avoir un examen annuel et une prise de sang tous les ans?», se questionne-t-il. «Je pense qu'il y a toute une réflexion à faire. Peut-être que l'on n'a pas besoin de 1000 médecins de plus.»

Le Dr Vadeboncoeur explique par ailleurs qu'au cours des dernières années, le Québec n'a pas misé sur les autres professionnels de la santé comme les infirmières cliniciennes, les sages-femmes et les paramédicaux, qui peuvent assumer une partie des tâches effectuées par les médecins.

Portrait des médecins au Québec

Le Québec enregistre le plus haut pourcentage de femmes médecins avec 42%, alors que dans l'ensemble du pays un peu plus du tiers des médecins sont des femmes. Cette tendance risque de s'accroître puisque les facultés de médecine du Québec comptent 64% d'étudiantes.

Le Québec est aussi l'endroit où il y a le plus faible taux de médecins formés à l'étranger avec 11,3%. L'exode des cerveaux semble être chose du passé puisque seulement 16 médecins ont quitté le Québec l'an dernier alors que 43 sont rentrés au bercail.

Le nombre de médecins en milieu rural a par ailleurs augmenté depuis 5 ans au Canada et c'est particulièrement le cas au Québec où le gouvernement émet des permis d'exercice selon les besoins dans les différentes régions afin de pousser les finissants en médecine à pourvoir les postes à l'extérieur des grands centres urbains. Selon l'étude, 1475 médecins de famille et 300 spécialistes pratiquent en région.

L'ICIS est un organisme autonome financé par le gouvernement fédéral et les provinces et territoires dont le but est de fournir des statistiques neutres et rigoureuses.

> Quelques chiffres de l'étude

9098 : Nombre de médecins de famille au Québec en 2011

9398 : Nombre de médecins spécialistes au Québec en 2011

36 769 : Nombre de médecins de famille au Canada en 2011

35 760 :  Nombre de médecins spécialistes au Canada en 2011

10,2% : Augmentation du nombre de médecins au Québec entre 2007 et 2011

3,8% : Augmentation de la population québécoise entre 2007 et 2011

Source: Nombre, répartition et migration des médecins canadiens 2011, Institut canadien d'information sur la santé