De nombreux restaurants-minute ouvriront aux abords de la nouvelle autoroute 30, au sud de Montréal. Des écoles secondaires vont se retrouver à côté de ces temples de la malbouffe... peu après avoir dû bannir les frites de la cafétéria. Un paradoxe que dénoncent des enseignants, qui craignent qu'en libérant le réseau routier métropolitain, on bloque les artères des jeunes.

Le va-et-vient des pelles mécaniques ne réjouit pas Richard Talbot, enseignant en éducation physique à l'école secondaire Louis-Philippe-Paré, à Châteauguay. Le Faubourg Châteauguay, en construction aux abords de la nouvelle autoroute 30, comptera une cinquantaine de commerces, dont un McDonald's. Tout près de son école, jusqu'ici entourée de champs.

«Le McDonald's va attirer plusieurs jeunes le midi», déplore M. Talbot, qui analyse ce que mangent ses élèves dans le cadre de ses cours. «Leur alimentation est déjà déficiente, dit-il. La malbouffe fait partie de leur quotidien. Ce sera pire quand ils y auront accès pour dîner.»

Sa collègue Sonia Lemieux, professeure d'éthique, partage son inquiétude. «On n'a pas réfléchi aux problèmes de santé et d'obésité que vont créer ces commerces», regrette-t-elle.

Les craintes des enseignants sont fondées, selon Yan Kestens, chercheur au département de médecine sociale et préventive de l'Université de Montréal. «Plusieurs études ont pu faire le lien entre l'absorption de gras calorique et l'exposition au fast food», indique-t-il.

La présence d'un restaurant rapide à moins de 160 m d'une école engendre une hausse de 5,2% du taux d'obésité chez ses élèves, selon une recherche américaine de 2009. Dans le grand Montréal (y compris les banlieues sud et nord), 75% des écoles primaires et secondaires ont au moins un de ces restaurants à moins de 1 km. Et près d'un jeune Québécois sur quatre souffre d'obésité ou d'embonpoint.

Concurrence déloyale

Le scénario se répète à Beauharnois, que traverste aussi l'Autoroute 30. «De nouveaux commerces, dont au moins un restaurant, ouvriront prochainement dans le secteur de l'école des Patriotes-de-Beauharnois», confirme Paméla Nantel, responsable des communications du conseil municipal de Beauharnois. À Valleyfield, c'est un Tim Hortons qui s'est installé près d'une école secondaire.

Ce boom de construction ne déplaît pas aux élèves. «Ça va donner de l'emploi aux jeunes, c'est positif», dit Marie-Kristine Charpentier, 16 ans, élève à Louis-Philippe-Paré. «Mais c'est drôle qu'on ôte la malbouffe des cafétérias scolaires, puis qu'elle soit de retour en face de l'école, observe sa camarade Béatrice Leclerc, 16 ans. Ça s'annule.»

André Beaulac, qui gère la cafétéria de l'école de Châteauguay, a effectivement dû arrêter de servir des frites et du pepperoni, comme l'exige le ministère de l'Éducation. Un virage santé dur à avaler pour certains adolescents. «Avant, on servait 450 repas par jour, avec des sommets à 560 repas, rappelle M. Beaulac. Aujourd'hui, on fait de 225 à 250 repas par jour.»

Photo: Martin Chamberland, La Presse

André Beaulac, propriétaire de Cafétéria Des Coteaux Hardy, sert deux fois moins de repas par jour depuis que la malbouffe a été interdite dans les écoles.

À ses yeux, la construction d'un McDonald's à proximité est une concurrence injuste. «Je ne suis pas subventionné, et je sers le repas complet (soupe, plat principal, pain, beurre, jus et dessert) à 4,90$, fait-il valoir. Je fais moins de 1% de profit. Il faudrait que les restaurants rapides soient au minimum à 1 km des écoles.»

Faut-il réglementer?

La Ville de Beauharnois semble ouverte à l'idée de limiter les restaurants-minute autour des établissements scolaires. «Les règlements de zonage de Beauharnois ne prévoient pas actuellement de restriction pour la restauration rapide près des écoles, puisque la situation ne s'était pas présentée auparavant, indique Mme Nantel. Mais il va de soi que le conseil se penchera sur le sujet et que la question sera traitée dans le cadre de la révision des plans d'aménagement d'urbanisme.»

Châteauguay n'a pas, non plus, de réglementation à ce sujet. «Nous avons une école secondaire anglophone en plein coeur de la ville, près des artères commerciales, donc des restaurants, dit Nathalie Simon, mairesse de Châteauguay. Ce serait assez difficile de légiférer.»

D'autant que la croissance économique liée à la 30 est désirée depuis longtemps. «On a attendu la 30 pendant plus de 40 ans, souligne Mme Simon. Elle apporte la possibilité d'avoir d'importants investisseurs à Châteauguay, qui viennent enfin alimenter un peu l'assiette fiscale.»

«Dans un monde idéal», la mairesse préférerait qu'il n'y ait pas de McDonald's à proximité d'une école secondaire. «Mais on ne peut pas changer la réglementation après coup, ajoute-t-elle. Les gens auraient dû se mobiliser il y a 10 ans, pas quand la machine est lancée, que les permis sont donnés.»

Photo: Martin Chamberland, La Presse

Richard Talbot, enseignant en éducation physique, regrette qu'un McDonald's ouvre près de son établissement scolaire. «Je veux sensibiliser les gens au fait que les restaurants rapides n'ont pas leur place près des écoles», dit-il.