La Montréalaise Paule Mongeau n'est pas une psychologue comme les autres. Sur son blogue, il lui arrive de parler de vies antérieures.

Le 3 février, elle a écrit avoir amené une cliente, Martine, à remonter dans le temps jusqu'à ce qu'elle se voie entourée de parents d'une autre vie. En septembre 2011, elle parle d'une autre patiente, Claudia, transportée en Égypte ancienne. Dans la même entrée, elle raconte que sa massothérapeute a refusé d'hospitaliser son fils de 5 ans en psychiatrie, tel qu'on le lui recommandait à l'hôpital Saint- Justine. PourMme Mongeau, l'enfant n'a pas d'hallucinations et il s'agit d'un «phénomène [] normal chez certains enfants: la reconnaissance d'images d'autres vies dans leur imaginaire».

Nous avons interrogé l'Ordre des psychologues à ce sujet et tous ces passages ont ensuite subitement disparu. Mme Mongeau a refusé de nous dire si le syndic l'avait exigé. Elle déclare ne pas exposer ses clients à ses croyances, ne pas faire de thérapie par les vies antérieures, mais employer à l'occasion une simple technique d'imagerie qui permet d'entrer dans la peau de personnages d'«autres vies».

Il y a moins d'un an, elle a pourtant publié une annonce invitant les gens à venir «écrire une nouvelle à partir d'une imagerie de vie antérieure».

Difficile, dans les circonstances, de savoir ce que fait la psychologue dans l'intimité de son bureau. «Les gens nous interrogent régulièrement au sujet de membres de leur ordre professionnel, qui veulent les guérir avec de l'encens ou leur donner des massages énergétiques », rapporte la directrice du Centre d'information sur les nouvelles religions de l'Université de Montréal, Marie-Ève Garand.

D'autres professionnels de la santé mentale prétendent guérir avec les chakras, la lumière, les vibrations du corps ou encore, des tapotements.

Alors qu'elle était toujours membre de l'Ordre des psychologues, Danielle Fecteau a même publié un livre disant qu'on pouvait guérir les maladies des autres par notre pensée autrement dit, qu'on pouvait influencer le corps d'autrui en se concentrant. Elle y parle aussi de télépathie et de guérison à distance.

Indigné, un chercheur de l'Université de Montréal, Serge Larivée, a dénoncé ce livre dans la Revue de psychoéducation, en soulignant qu'il pourrait amener des gens à se détourner des méthodes éprouvées. Il faut savoir que le code de déontologie des psychologues leur impose de se baser «sur des principes scientifiques généralement reconnus en psychologie».

Mme Fecteau n'a pas rappelé à la suite de nos messages. Une de ses connaissances nous a dit qu'elle n'était plus psychologue et voulait tourner la page.

Une épidémie

D'après la psychoéducatrice Natacha Condo-Dinucci, les idées du genre se répandent comme une épidémie, même dans le milieu de la santé mentale. «À Montréal, une intervenante m'a confié que son CLSC avait invité des charlatans pour apprendre au personnel à communiquer avec les anges, raconte-telle. Et c'est payé avec nos taxes!»

Lors d'une rencontre au sujet d'une préadolescente psychotique, elle a elle-même entendu une collègue dire à la mère: «Vous savez, ça existe, des enfants médiums.»

«Certains évoluent après leurs études, mais on ne peut être dans chaque bureau pour vérifier ce qui se passe», dit Marie-Ève Garand.

Le chercheur Serge Larivée voudrait qu'on soit plus sévère avec les déviants. «Quand les ordres professionnels les laissent démissionner en douce, au lieu de les sanctionner publiquement, ils protègent leurs membres, pas le public», dit-il.

Le conseil de discipline de l'Ordre professionnel des travailleurs sociaux nous a déclaré n'avoir jamais «eu à se prononcer sur des pratiques questionnables au plan scientifique ». Il a reçu quelques demandes d'enquête, mais a conclu que les techniques en cause se situaient «à la limite de l'acceptable». Malgré nos demandes répétées, on n'a pas voulu nous préciser la nature de ces approches «limites».

L'Ordre des psychologues est plus transparent. Depuis 10 ans, une demi-douzaine de ses membres (sur 6000) ont été sanctionnés pour dérives ésotériques.

Claudette Nantel, de Hull, a proclamé, à la radio, qu'elle faisait régresser ses patients dans leurs vies antérieures. Le comité de discipline lui a reproché de discréditer l'ensemble de sa profession. Cela ne l'a pas empêchée de récidiver, quelques années plus tard, en reparlant de vies passées, de télépathie et de chamanisme à une patiente.

Autre cas : avant de renoncer à son titre, le Montréalais Yvan Grenier mêlait déjà ésotérisme, astrologie, magnétisme et chamanisme pour donner des «traitements énergétiques». D'après le syndic, il passait deux fois plus de temps à «lire le corps» de ses clients qu'à les écouter. Lors de ses visites à domicile, ces derniers devaient porter un simple peignoir et se mettre ensuite en sous-vêtements, y compris une femme ayant déjà subi des sévices

sexuels.

Depuis, il donne des conférences, enseigne et affiche sa formation de psychologue. En entrevue, il nous a dit qu'exiger la pratique scientifique de la psychothérapie n'avait aucun sens puisqu'«on est de toute façon dans le subjectif», qu'on s'offusque trop de la «semi-nudité» et que sa méthode est reconnue ailleurs dans le monde.

Sur le Plateau Mont-Royal, l'expsychologue François Lesage parlait lui aussi des astres et s'endormait dans les bras de ses patientes en pleine séance. Pire encore, il a eu des relations sexuelles avec trois d'entre elles un problème qualifié de chronique chez lui, alors qu'il se spécialisait auprès des victimes de stress post-traumatique et d'agression sexuelle.

Choqué par son «incapacité d'introspection » et par son «manque important de jugement professionnel », le comité de discipline l'a radié à vie en juillet 2009.

Peine perdue. François (devenu François-Gilles) Lesage a ouvert un «centre de thérapie» qu'il annonce sur l'internet. Il propose des séances d'hypnose, vante ses 30 ans d'expérience comme psychologue et son «savoir intuitif».

Depuis le printemps dernier, l'Ordre des psychologues a le pouvoir de poursuivre les imposteurs du genre pour exercice illégal de la psychothérapie.

Lorsque nous l 'avons mis au courant de notre enquête, François-Gilles Lesage nous a dit qu'il s'informerait et cesserait sa pratique au besoin. Quelques semaines plus tard, son site internet était toujours actif.