Tomber amoureuse d'un chaman est une entreprise risquée. L'hiver dernier, une poignée de femmes vivant à Montréal, Ottawa ou dans les Laurentides ont brutalement compris qu'elles avaient fait partie d'une sorte de harem. Toutes bernées par les yeux bleus et les cheveux longs d'un faux guide spirituel.

Loin de s'entredéchirer, certaines se sont liguées pour faire enquête. Et ce qu'elles ont découvert les a sidérées. Leur supposé chaman a séjourné six mois en prison; il leur a menti sur ses liens de parenté; il s'est mis des autochtones à dos, en empochant de l'argent qui ne lui était pas destiné. Pire encore, avant de se faire payer pour «purifier» des maisons, il en a cambriolé. Et a même incendié la sienne, pour toucher l'argent des assurances.

En marge, il multipliait les conquêtes, puis vivait à leurs crochets, sous prétexte que sa quête spirituelle ne lui laissait aucun répit. «Il a déjà déjeuné chez une fille, dîné chez une deuxième et soupé chez une troisième!», résume Ariane *, une Montréalaise de 38 ans qui a connu l'homme dans un cours de neurocoaching, où il était superviseur. Pleine d'aplomb, elle a découvert la triple vie de son ancien amoureux en retraçant ses appels. «Partout où j'appelais, des femmes répondaient, se souvient-elle. J'ai fini par faire changer les serrures.Sur le coup, on vit un choc post-traumatique. On n'arrive plus à dormir, on tremble, on se sent violée dans son âme et ses rêves.»

Quelques mois plus tard, Émilie tombe dans le panneau à son tour. Lors d'une soirée à Mont-Tremblant, une amie lui présente l'homme de 45 ans comme un grand sage. L'écrivaine de 30 ans boit ses paroles jusqu'à 3 h du matin. «Mon coeur battait super fort, comme si j'avais pris de la drogue, raconte-t-elle. Il me regardait droit dans les yeux en répétant des mots-clés. Il disait: les gens ne te comprennent pas, moi, je sais qui tu es. Baisse tes barrières.»

«J'étais une proie facile, précise-t-elle, parce que je venais de faire une grossesse extra-utérine. J'avais tout perdu: mon bébé puis mon chum...»

Après trois rencontres, Raynault proclame qu'elle est la femme de sa vie, qu'elle a un don, qu'il va tout lui apprendre et qu'ils offriront des soins énergétiques ensemble. Conquise, Émilie l'héberge, nettoie l'appartement de sa fille et le conduit partout où il le désire.

En parallèle, son amoureux enseigne la sexualité tantrique à d'autres femmes. Au restaurant, il dévisage les beautés. «Quand je protestais, raconte Émilie, il disait les regarder pour libérer les entités autour d'elles!»

Un jour, en lui répondant au téléphone, Raynault lui annonce qu'il se trouve à l'aéroport. Il part vivre en Europe avec une autre. Il veut y relancer sa carrière de chaman.

Une ancienne cliente n'en revient toujours pas. «Il est disparu du jour au lendemain en laissant son adolescente chez moi et ses objets supposément sacrés dans mon cabanon. Pour un maître spirituel, ce n'est pas très fort!», dit la résidante des Laurentides.

Raynault affirmait pourtant que son calumet et son tambour lui permettaient de chasser les mauvais esprits chez ses clientes. Il se disait «gardien de feu sacré» et petit-fils du chef algonquin William Commanda, que certains initiés comparent au dalaï-lama.

Pour peaufiner son personnage, l'homme s'est apparemment rapproché d'une communauté d'Ottawa, a observé leurs rituels et mémorisé leurs histoires.

Aujourd'hui, ces gens crient au vol. D'après eux, en 2011, Raynault a amené une quinzaine de Montréalais dans leur tente de sudation, en leur faisant croire que la communauté s'attendait à recevoir un don de 150$ par personne. «Premièrement, c'était faux! Deuxièmement, il a gardé l'argent sans jamais en glisser un mot! tonne une source haut placée.Il salit notre réputation. On ne peut pas vendre les choses sacrées et le nom de nos aînés comme il le fait.»

Lorsque La Presse l'a informé de son enquête, Raynault a tout nié, jusqu'au fait qu'il a oeuvré comme chaman, alors qu'on l'associe à cette pratique sur le moteur de recherche Yatedo. Un profil Facebook le présente plutôt comme un «coach à Great Spirit».

L'homme se dit victime d'une campagne de salissage de la part d'amoureuses déçues.

Ce qui est certain, c'est qu'il a un long casier judiciaire. On l'a condamné sept fois pour vol, en Montérégie et dans Lanaudière. La demeure qu'il a incendiée en 1992 se trouvait dans cette dernière région.

Ironiquement, Raynault semble avoir trouvé son filon suivanten prison, puisque c'est là que des bénévoles l'initient à la spiritualité amérindienne.

Sur YouTube, un diaporama intitulé Le faux prophètemet toute la francophonie en garde. Un blogue, Le cercle des déesses, tente de faire la même chose. Car Raynault, qui est rentré à Montréal, a du charisme. En Outaouais, une jeune mère a apparemment quitté son mari, vendu sa librairie ésotérique et acheté une nouvelle maison pour vivre avec lui... avant de faire faillite et d'être remplacée par Ariane.

«La première fois que je l'ai vu dans mon cours, je me sentais envahie, se souvient cette dernière. Mais quand il nous parle, sa force, c'est de créer un lien immédiat. C'est un caméléon et un radar; il lit les gens.»

À son avis, avec ce genre de dons, son ancienne flamme aurait pu se rendre véritablement utile. «Son problème, dit-elle, c'est son absence totale d'éthique.»

*Les prénoms ont été changés pour protéger l'identité des victimes.