Quand Valérie, ravissante avocate, a annoncé à sa mère s'être enrôlée dans les «guerrières de lumière», cette dernière ne s'est pas trop inquiétée.

«Ses chandelles laissaient des cernes brûlés partout, raconte la retraitée. Son appartement était plein de livres Nouvel Âge. Mais fonceuse comme elle était, je pensais que c'était une béquille, qu'elle traversait juste une phase.»

À 30 ans, Valérie était épuisée. Elle venait de quitter son copain et refusait de goûter aux antidépresseurs.

À la place, la jeune Montréalaise a suivi une copine à Saint-Sauveur, chez les mystérieux «guerriers». Leur chef aux cheveux platine a enseigné le travail social pendant 20 ans au cégep du Vieux Montréal. Mais depuis 1998, Marie-Louise Lamothe prétend être médium et canaliser un archange qui doit l'aider à sauver la planète - l'aboutissement de nombreuses thérapies qu'elle écrit avoir entreprises pour «se libérer de blessures affectives profondes».

Lorsqu'elle initie ses adeptes au coût de 120$, elle leur demande de ne pas porter de noir pour ne pas bloquer les vibrations. Son but: intensifier le lien de ses fidèles avec le «rayon bleu» et parler au nom «de notre merveilleuse terre Gaïa».

Accro au plein air, Valérie s'est sûrement laissé séduire par de beaux discours sur la nature, imagine sa mère. Le reste la dépasse: «Ils lui ont dit qu'elle avait des dons de médium...»

Valérie y croit et glisse lentement dans la psychose. Elle pense communiquer avec son chat et «ramasser les déchets énergétiques des autres».

Des amis de Beloeil lui proposent d'enlever les mauvaises entités de sa maison. «Ils ont mis du gros sel au bord des fenêtres...», ironise son père.

Ce saupoudrage absurde illustre bien l'inutilité - et le danger - des bricoleurs de l'âme. Après quelques années, les guerriers ont abandonné Valérie, disent ses parents. Sans emploi, sans conjoint et sans espoir, l'ex-avocate a fini par se pendre, quelques semaines avant d'avoir 40 ans.

Son ancien groupe, lui, n'est pas mort. Ils sont désormais 60 membres, répartis dans cinq régions, et leur chef professe son désir de créer des «légions» partout dans le monde.

Dans un courriel envoyé à ses parents, six mois avant de mourir, Valérie dit avoir été trahie par son groupe, qu'elle qualifie de «secte». Elle regrette amèrement la femme qu'elle était jadis, se décrivant alors comme «propre, disciplinée, forte, très indépendante, positive, un brin sexy, amoureuse et heureuse»...

En entrevue, Marie-Louise Lamothe se défend d'exercer une emprise sur les gens, ou encore, d'avoir favorisé la mort de son ancienne admiratrice. Elle dit l'avoir invitée à consulter - sans succès - et l'avoir dirigée vers de nombreux guérisseurs. Ils étaient, dit-elle, «incapables de la libérer de ses entités parce qu'on ne peut forcer quelqu'un à aller vers la lumière».

À l'hôpital psychiatrique

Comme Valérie, des centaines de Québécois en proie au mal de vivre se fient chaque année à une amie, à une voisine ou à une petite annonce vantant les mérites d'une philosophie miracle. Et comme Valérie, plusieurs s'enfoncent.

Un Montréalais est resté hospitalisé en psychiatrie plusieurs semaines. Il avait disjoncté en suivant des ateliers d'épanouissement personnel beaucoup trop intenses, qu'un groupe l'avait amené suivre en Floride. «Quand c'est arrivé, ils l'ont remis dans un avion et ils l'ont renvoyé à Montréal. Tout seul et en crise. C'est cet abandon qui l'a le plus démoli», raconte la Dre Johanne Cyr, du programme des troubles anxieux et de l'humeur de l'hôpital Louis-H. Lafontaine.

La psychiatre n'a pas vu beaucoup d'autres cas du genre. Mais lorsqu'on fait le tour des établissements, le bilan s'alourdit. À l'autre bout de la ville, Ariane Duplessis a abouti à l'hôpital psychiatrique Douglas, anéantie par un psychothérapeute malsain, qui pleurait devant elle pour ne pas la laisser partir. Et ne l'aidait pas.

«J'avais des obsessions morbides, se souvient-elle. Je l'ai même appelé parce que je voulais laisser mon bébé geler dans la voiture. Il n'a jamais rappelé, ni avisé la police.»

Irina (dont nous avons changé le nom) a aussi abouti aux urgences. Tout a commencé lorsque le tout nouveau «guérisseur» de son mari a exigé de la voir, sous prétexte que le mal l'habitait. La jeune mère est aussitôt séduite. Éclairage tamisé, chandelle, encens... L'homme est parfumé et bien mis.

Dès leur deuxième rencontre, il lui réclame... 2300$. Ensorcelée, Irina talonne son mari pour qu'il accepte. Mais à chaque visite, le gourou teste un peu plus son pouvoir. Il lui demande d'abord d'uriner devant lui, puis de se dévêtir et de se caresser devant une rangée d'anges. Il finit par avoir des relations sexuelles avec elle.

C'est le choc. «La première chose que j'ai faite après, c'est de prendre mon bain et de me frotter tout le corps avec une brosse», raconte Irina.

Lors d'une séance de magasinage en famille, elle fait une crise de panique. Elle a des nausées, cesse de dormir, de manger et de travailler. Lorsque la Montréalaise trouve le courage d'affronter son agresseur, il la traite de folle possédée du démon. À chaque appel, il raccroche.

Encore aujourd'hui, Irina prend des antidépresseurs et se bat avec des flash-back. Incapable de tout avouer à ses enfants, elle refuse d'appeler la police. Sa seule consolation : dernièrement, la petite annonce du guérisseur semble avoir disparu. Sa première consultation était gratuite.

Culpabilisants

Au Centre perspectives, dans la couronne nord, la psychoéducatrice Natacha Condo-Dinucci doit souvent réparer les dégâts. «À entendre les gourous, ce n'est jamais leur méthode qui ne marche pas: c'est toujours toi qui ne l'as pas comprise», dénonce-t-elle.

Au départ, les faux espoirs entraînent la sécrétion d'endorphines. «Ça atténue la dépression, explique Mme Condo-Dinucci. Mais ça ne dure pas, et quand les gens s'en rendent compte, ils tombent encore plus bas.»

Les cyniques diront qu'on ne peut protéger les gens contre leur propre crédulité. «Mais ce n'est pas une question d'intelligence! s'indigne Mme Condo-Dinucci. Quand on est en détresse, notre cerveau ne fonctionne plus pareil. Ça crée des distorsions qui nous transforment en proie facile.»

Guérir à s'en rendre malade

Le compositeur et parolier Jean Robitaille en sait quelque chose. Abonné au succès (il a écrit 400 chansons, dont certaines pour Ginette Reno, et composé la musique de 18 films), il a vu tout basculé un mauvais jour, lorsqu'il s'est réveillé pétri d'angoisse. C'était le début d'une quête spirituelle rocambolesque, racontée en détail dans un livre, Guérir à s'en rendre malade.

«À l'époque, j'étais certain d'être en avance sur le reste de la planète», ironise-t-il.

Le musicien a écouté des 33 tours avec de supposés messages cryptés. Téléphoné au service des miracles d'un preacher américain (plus gros serait le chèque, plus vite allait survenir la guérison). Gobé des pastilles de charbon qui lui noircissaient les dents. Essayé le psycho-massage. Consulté un astrologue. Rencontré un conférencier disant avoir voyagé jusqu'au centre de la Terre.

Il a tenté de guérir avec des vibrations et des couleurs. S'est fait marcher dessus pour ouvrir ses chakras. A pris des bains d'eau glacée. Enduré des saunas étouffants. A lavé sept fois tout ce qu'il mangeait. Été hypnotisé par un homme se disant capable de le faire régresser dans des vies antérieures. Payé 100$ pour s'asseoir dans la salle d'attente d'un Polonais recommandé par son courtier d'assurances et censé le guérir sans même le voir.

Il a même acheté des granules à l'homéopathe Luc Jouret, puis a déménagé à l'ombre de son château des Laurentides, peu avant que son nouveau voisin n'orchestre les meurtres et suicides de l'Ordre du temple solaire.

À travers tout ça, tout aussi déboussolé qu'il puisse être, il a lui-même décroché un diplôme de thérapeute et traité une quinzaine de patients par semaine!

«Quand tu es désespéré, il y a toujours quelqu'un pour te dire d'essayer quelque chose d'autre», explique M. Robitaille. Et ça continue aujourd'hui, chaque fois que l'auteur présente son livre en conférence. «À la fin, des gens m'approchent avec un numéro de téléphone en me disant que j'aurais dû essayer telle autre affaire magique! Ils ne comprennent pas mon message: allez donc vers les voies normales!»

Avant d'échouer aux urgences de l'hôpital Louis-H. Lafontaine - au bord du suicide, du divorce et de la faillite -, Jean Robitaille a lui-même entraîné des tas de gens dans son sillage. «La crédulité est contagieuse, conclut-il. Trop de gens ont besoin de se geler avec des choses qu'ils croient moins nocives que les drogues.»

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Encore Fréchette

Malgré la mort d'une jeune mère de famille dans une maison de Durham-Sud et malgré l'arrestation de Gabrielle Fréchette, ses émules continuent d'accueillir des clients.

En écoutant l'iPod de sa fille de 19 ans, un Français a récemment trouvé 40 minutes de transe de Fréchette, «qui lui conseillait de couper les liens biologiques et lui prédisait un avenir dans la médiumnité et l'art», dit-il. L'accusée s'y exprime de la même façon glaciale que lors de l'exercice ayant causé la mort de Chantale Lavigne.

Entraînée par son copain et sa belle-mère, l'ex-étudiante française rentre tout juste du Québec, et a admis y avoir rencontré Fréchette et ses alliés. Elle affirme aussi que la fin aura lieu le 21 décembre et qu'il y aura alors des suicides, de la lumière, et que les deux tiers de la population seront éliminés.

En attendant, les émules français de Fréchette offrent leurs propres «guidances thérapeutiques» en Aquitaine, dans le sud-ouest de la France.