Un groupe d'épanouissement personnel qui fonctionnait comme une secte vient d'éclater à Prévost, dans les Laurentides. Prêtes à engloutir des milliers de dollars pour «grandir» grâce à la thérapie controversée de leur maître à penser, Jean-Claude Gallant, quelques dizaines de personnes ont vécu dans la soumission, à l'ombre de son palais. Elles ont renié leur famille, quitté des emplois payants, flirté avec l'illégalité et perdu tous leurs repères. Démolies, la moitié d'entre elles ont fui. Et elles veulent sauver les jeunes et les enfants qui sont restés derrière.

Véronique tremble de tout son corps. Elle a peur, terriblement peur, mais elle n'en peut plus. Cette nuit, c'est décidé, elle s'enfuit. Son frère l'attendra bientôt en haut de la côte. La jeune femme de 33 ans ouvre la petite fenêtre du sous-sol et vide sa chambre, un sac à la fois.

À l'étage, le couple qui l'héberge ne doit surtout pas découvrir qu'elle quitte Prévost pour toujours.

Vers 1h30, Véronique plaque son oreiller contre sa poitrine, monte l'escalier et s'aventure dans le noir, le coeur battant. Dehors, le gravier crisse sous ses pas. Aussitôt, c'est la catastrophe: dans la maison, une lumière s'allume.

Le souffle coupé, Véronique s'effondre contre sa voiture, certaine que ses anciens amis viendront lui bloquer la route pour la traiter de traîtresse et la vouer aux enfers. «J'ai démarré avec le coffre de l'auto ouverte. Mes mains tremblaient sur le volant. Je vérifiais mes rétroviseurs sans arrêt. On aurait dit une évasion de prison», dit la jeune femme, dont nous avons changé le nom, comme celui de ses camarades.

Depuis un an ou deux, Véronique est à peu près la 20e à fuir la même prison invisible: un groupe d'épanouissement personnel nommé La Source, qui fonctionne comme une secte. Plusieurs déserteurs ont accepté de nous raconter leur drame des dernières années. D'autres sont trop démolis ou ont trop peur - peur, surtout, pour leurs proches restés derrière.

Véronique a fui en septembre 2011, neuf longues années après être entrée dans le groupe, à 24 ans. Sa cousine a vite suivi, mais pas sa soeur, précise-t-elle en ravalant ses larmes. Ni une vingtaine d'autres - hommes, femmes et enfants -, qui semblent toujours subjugués par leur gourou-thérapeute.

Grand seigneur

Ce gourou, c'est Jean-Claude Gallant, un quinquagénaire ventru qui a peu à peu envahi leur quotidien et en a profité pour empocher des dizaines de milliers de dollars. Sa recette: leur promettre une vie «remplie d'amour».

Au début du mois de mars, lors d'une soirée d'information au centre du boulevard Curé-Labelle, son ascendant était palpable. Pour accueillir trois recrues potentielles - dont une journaliste incognito -, une vingtaine de vétérans remplissaient un petit salon. Gallant parlait, tandis que ses disciples écoutaient, comme chaque mois, un baratin de vente qu'ils connaissent par coeur. Satisfaction garantie ou argent remis, promet-il.

Au quotidien, Gallant règne aussi en seigneur. Certaines femmes du groupe ont l'habitude de lui masser la tête et les mains. Il les assoit sur ses genoux, leur donne des claques sur les fesses et emmène ses favorites en vacances.

L'homme voyage dans le Sud deux fois par année et vit à quelques kilomètres du centre, dans une demeure qu'il qualifie lui-même de «maison de pacha». Elle est dotée d'une grande porte flanquée de colonnes, d'une tourelle et d'une fontaine entourée de sculptures.

Il roule en Acura MDX tandis que sa femme de 48 ans, Lyne Collin, vient d'abandonner son Audi A4 au profit d'une BMW X1. Artiste amateur, celle-ci passe ses soirées à peindre dans son manoir, tente d'écouler ses toiles dans un café et écrit des chansons, qu'elle rêve de vendre à Céline Dion.

Il y a une vingtaine d'années, Gallant était encore chef d'équipe dans une usine de pain Weston et faisait des ménages pour arrondir ses fins de mois. Il s'est recyclé en guide spirituel après avoir essayé le rebirth, technique d'hyperventilation extrêmement controversée, censée libérer l'humain de ses blocages en faisant remonter ses émotions enfouies. Gallant dit qu'elle l'a guéri de sa haine des homosexuels.

Depuis, plus d'un millier de Québécois ont fait au moins une séance avec lui: un urgentologue de l'hôpital Notre-Dame, des ingénieurs, des informaticiens, des comédiens, des agents hypothécaires, des étudiants, etc.

Un petit nombre d'entre eux se sont mis à enchaîner les séances - parfois nus, parfois immergés au fond d'une baignoire à remous et respirant avec un tuba.

Jean-Claude Gallant ne dit jamais que, en submergeant les gens d'émotions, sa technique favorise la manipulation mentale. Il convainc plutôt ses clients que la planète est peuplée d'«inconscients», tandis qu'eux peuvent enfin cesser de pourchasser de faux bonheurs. Il leur vend ultimement l'idée d'une vie communautaire, sous son aile et celle de ses assistants, qu'il a formés lui-même.

Conquis par cette image rassurante, une vingtaine d'adeptes ont quitté Montréal, la Rive-Sud ou la couronne nord pour rejoindre le groupe. Ils ont acheté des bouts de terrain à Gallant, alors propriétaire d'une grande terre à Prévost, et construit leur maison à l'ombre de son palais. Sans se douter qu'ils deviendraient très vite ses otages psychologiques.

Le piège se referme

Lorsque son conjoint de l'époque l'a amenée à La Source, il y a 11 ans, jamais Annie n'aurait pu deviner ce qui l'attendait. «Au début, c'est subtil et respectueux», dit-elle.

«L'attention qu'ils te donnent, tu n'as jamais ressenti ça avant, explique Jean, autre ex-adepte. Ils te valorisent beaucoup. Tu te sens comme si tu avais gagné la 6/49. J'ai mordu à l'hameçon!»

Mais la lune de miel est éphémère. Pour rester dans les bonnes grâces de Gallant le sauveur, ses protégés doivent convaincre leurs proches d'essayer le rebirth. «On leur disait: si je ne vaux pas deux jours de ta vie, ce n'est plus la peine de se voir. On a renié nos familles du jour au lendemain», résume Jean.

Gallant profitait apparemment des séances de rebirth pour convaincre ses clients qu'ils n'avaient jamais été vraiment aimés par leurs parents.

Un Noël, Annie s'est risquée à visiter sa famille. «Ma rebirther l'a su et m'a appelée, en colère, pour me dire que je n'avais aucun amour-propre d'aller voir des gens aussi ignobles», raconte-t-elle.

Au fil des ans, la Montréalaise a fini par plaquer le bureau de son père et une carrière de conseillère financière qui lui rapportait 250 000$ par année. Elle a alors lancé une maison de production avec la femme du gourou, Lyne Collin. L'organisation d'un festival a mal tourné et Annie a tout perdu - sa maison et ses économies de 400 000$. Depuis, chacune rejette la responsabilité sur l'autre.

Une autre membre a sacrifié sa carrière d'enseignante pour empocher un petit salaire au Café 4 sucres, dont Jean-Claude Gallant est copropriétaire. Le soir, elle aide la benjamine du gourou à faire ses devoirs.

Car Gallant a l'art de faire travailler les gens pour sa cause. Qu'il s'agisse de repeindre, de nettoyer ou de pelleter. Et, bien sûr, de séduire les recrues potentielles.

À l'occasion, Gallant va jusqu'à solliciter des prêts afin d'acheter des terrains ou de l'équipement. Tout cela pour le bien commun, clame le gourou à ses fidèles, alors qu'il est le premier à s'enrichir grâce à eux.

«Tu ne peux pas avoir de vie, tous tes week-ends passent en corvées, raconte Jean. Sinon, on te traite d'égoïste, alors que tu ne lui dois rien, puisque tu paies pour ses services!»

En privé, Gallant n'a lui-même rien d'un modèle. Il traite des clients de «criss de chialeux» et de «grosses tabarnak» ou dit des choses comme: «La vieille crisse, elle peut crever, ça fera une tache de moins sur la planète.»

Au bord du suicide

Quand Annie a enfin ouvert les yeux, fuir le groupe lui semblait si compliqué qu'elle s'est mise à préparer son suicide. Au début de 2011, à 44 ans, elle venait de se faire enlever une tumeur cancéreuse à un sein, combattait une infection virulente et ne dormait plus. Mais plutôt que de prendre ses comprimés de morphine, elle les mettait de côté. «Je me tenais prête à tout avaler d'un coup. J'avais rompu avec ma famille; je ne voyais pas d'autre issue», dit-elle.

Une escapade chez sa tante la sauve. Annie décide alors de ne jamais remettre les pieds à Prévost. La nuit suivante, la femme de Jean-Claude Gallant la bombarde d'une dizaine de courriels: «Je te trouverer, c est sure [sic]», «ton ame mourra et tu le sais [sic]».

Le cauchemar dure des semaines. «Après ma sortie, je me promenais avec ma mère et on faisait juste pleurer, se souvient-elle. Je dormais 20 heures d'affilée. Je faisais des sauts effrayants quand le téléphone sonnait. J'avais peur de sortir...»

Aujourd'hui, la Montréalaise tremble pour les jeunes restés derrière, dont deux bébés nés récemment. Plusieurs ont grandi dans le groupe et ne connaissent rien d'autre. Ils diabolisent les déserteurs et sont parfois poussés à couper les ponts avec eux, même lorsqu'il s'agit d'un de leurs parents.

En vieillissant, ils se mettent à faire du recrutement. «La fille d'une rebirther a amené ses amis de 18, 19 ou 20 ans. C'est épouvantable», s'inquiète Annie.

Désireux de repeupler, à Mille-Isles, un nouveau terrain cinq fois plus grand que celui de Prévost, Jean-Claude Gallant a organisé récemment un nouveau week-end de rebirth. L'homme a plus que jamais besoin d'adeptes. «Il nous blâmait parce qu'on n'amenait pas assez de nouveaux, rapporte Véronique. Il disait: "Toi aussi, tu penses qu'on est une secte?"»

Aujourd'hui, la jeune femme et ses amis osent dire que c'en est une. Plusieurs ont eu besoin de consulter un psychologue. D'autres se battent seuls contre leurs démons, de crainte d'être manipulés à nouveau. «On se sent brainwashés, dit l'un. Ça va me prendre des années à voir clair, avant d'être sûr que ce que je fais, ça vient de moi.»

La plupart pleurent leurs années perdues. Mais aucun ne regrette son départ. Leurs familles leur ont rouvert grand les bras. Ils se sentent beaucoup plus proches les uns des autres maintenant qu'ils sont libres. Véronique ose enfin sourire aux inconnus.

«La première fois, mon visage a failli craquer tellement ça ne m'arrivait plus, dit-elle. Je n'en reviens toujours pas, comment il y a plein de gens gentils dehors.»

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