Parce qu'elle est très risquée, la technique thérapeutique du rebirth a été dénoncée avec virulence aux États-Unis, où elle fait des ravages depuis les années 70.

«Plutôt que d'aider les clients à devenir plus forts et plus indépendants, le rebirth entraîne une abdication de responsabilité et un état de dépendance maladive à l'égard du thérapeute», révèle le livre Crazy Therapies, de la psychiatre Margaret Thaler Singer, professeure émérite à l'Université de la Californie à Berkeley.

Deux morts

Dans certains États américains, une forme extrême de rebirth est carrément interdite depuis la mort d'une fillette de 10 ans, Candace Newmaker, en 2000. Pour la forcer à renaître, ses thérapeutes l'avaient enfouie sous des couvertures et s'étaient assis sur elle. L'enfant est morte étouffée.

À Prévost, au milieu des années 2000, un week-end de thérapie avancée baptisé «La Puissance» a aussi tourné au drame. Un dimanche matin de fin d'hiver, avant le petit-déjeuner, les participants ont dû courir dans les bois voisins du centre de croissance personnelle La Source, tandis que les autres les encourageaient à se surpasser.

La course s'est bien déroulée mais, après la pause, ce fut le choc. Un des participants a été trouvé mort dans l'escalier menant au stationnement. L'homme dans la cinquantaine venait d'être foudroyé par une crise cardiaque.

Une fois les ambulanciers alertés, une adepte aurait entendu le maître du centre, Jean-Claude Gallant, donner une curieuse directive à l'un de ses assistants. «Fais vite disparaître sa fiche», lui aurait-il glissé dans la cuisine.

Gallant soutient au contraire que l'homme ne prenait pas ses médicaments, était déjà «pris du coeur», «prenait un coup et fumait son joint», et ne l'avait pas dit. «Il y a un enquêteur qui est venu chez nous, pis tout le monde a dit pas mal les mêmes affaires, ce qui fait que c'est tombé entre deux chaises», ajoute-t-il. Lorsqu'un déserteur a dénoncé les agissements du gourou à la Sûreté du Québec, quelques années après cette mort, il a toutefois découvert que les policiers avaient conservé un rapport sur l'événement.

Le teint bleu

Pour les nouveaux clients, il n'est pas immédiatement question de jogging. Gallant se contente d'abord de leur proposer un rebirth classique. Ils sont invités à respirer à pleine bouche, sans arrêt, pendant une heure. L'objectif: se libérer des blocages émotionnels, dit-il. Dans le document de formation que nous avons obtenu, il précise que l'exercice peut provoquer crampes, sanglots, colère, rire, claquements de dents, transpiration, douleurs et vomissements. Le teint peut devenir bleu, est-il aussi écrit, et, parfois, «le corps se met à trembler, froideur, il y a souvent régression».

Selon le professeur de psychologie Conrad Leconte, spécialiste de l'efficacité des thérapies, les gens qui se livrent à pareil exercice se placent dans un état de vulnérabilité extrême. Totalement submergés par les émotions, ils perdent temporairement toute capacité de réflexion. Ils deviennent alors faciles à manipuler et si sensibles à la suggestion qu'ils se retrouvent souvent avec de faux souvenirs.

Dans certains cas, le sujet peut «décompenser», c'est-à-dire voir s'effondrer toutes ses défenses psychologiques, précise M. Leconte, retraité de l'Université de Montréal.

Une petite étude menée auprès de 12 personnes pendant 3 mois laisse tout de même croire que le rebirth peut aider les dépressifs et les anxieux. Son efficacité n'a toutefois jamais été solidement prouvée. Seule la réaction physiologique est garantie.

«Ce n'est pas parce qu'on a suivi une thérapie qu'on peut devenir thérapeute et résoudre les problèmes des autres», prévient par ailleurs la présidente de l'Ordre des psychologues, Rose-Marie Charest.

C'est pourtant ce que Jean-Claude Gallant et ses assistants prétendent. Leur approche viole par ailleurs tous les interdits imposés aux psychothérapeutes membres d'un ordre professionnel. Pour éviter les conflits d'intérêts, ils ne peuvent se lancer en affaires avec leurs clients, ni leur vendre de propriétés, ni les faire travailler. Ils ne peuvent les fréquenter socialement, ni parler d'eux et de leurs problèmes à quiconque - encore moins pour exercer des pressions.

Maintenant illégal

De toute façon, tout indique que Gallant agit désormais illégalement en offrant ses ateliers de rebirth au Québec.

Depuis quatre mois, quiconque prétend alléger la souffrance d'autrui en changeant ses pensées doit détenir un permis de l'Ordre des psychologues du Québec, peu importe comment il se présente.

Or, le maître du Centre de croissance personnelle La Source ne répond à aucune des conditions requises pour obtenir un permis. Et même s'il ne se dit pas «psychothérapeute», dans son dépliant, il dit pouvoir aider les gens à se libérer de l'angoisse, de la jalousie, de la peur, du manque de confiance, de l'agressivité et des problèmes nuisibles à l'épanouissement. En entrevue, il nous a dit qu'il peut «guérir les traumatismes enfouis dans l'inconscient», offrir «un style de psychothérapie» et «changer plein de comportements».

«Ses promesses sont des promesses de traitement. Avec la nouvelle loi, on peut examiner cela de près», estime Rose-Marie Charest.

Jogging, bain et nudité

La facture monte vite pour les fidèles de Jean-Claude Gallant. Chacun des quatre ateliers d'un week-end coûte 350$. La formation complémentaire coûte 3100$. Il faut tout refaire à répétition, et accompagner sa démarche de dizaines de rebirths privés à 75$. Au fil des ans, la facture totale atteint facilement 15 000$ ou 20 000$.

À La Source, «la base» d'un week-end et ses deux soirées de suivi permettent de faire quatre premiers rebirths entrecoupés d'exercices.

L'atelier suivant, «L'Aquarelle», suppose de renaître dans un grand bassin, sous l'eau, en respirant avec un tuba.

Le troisième atelier, «La Puissance», passe par une course exténuante dans les bois. Un quinquagénaire est mort durant la pause qui a suivi. Un septuagénaire et de nombreuses femmes d'un certain âge ont survécu au même exercice. Elles arrivaient toutefois livides ou écarlates, d'après les adeptes de l'époque.

Le dernier atelier, «Corps en accord», n'est pas annoncé sur le site internet du centre. Les participants s'y livrent au rebirth pratiquement nus. «C'est pour ceux qui veulent travailler la nudité», nous a dit Gallant.