Les enfants d'Hochelaga-Maisonneuve lui sautent dans les bras. Son expertise est reconnue au Canada comme en Europe. Pourtant, le Dr Gilles Julien doit constamment faire tomber des barrières.

Depuis une trentaine d'années, celui que l'on surnomme le père de la pédiatrie sociale au Québec porte sa cause à bout de bras. «J'ai une grosse frustration quand je me demande ce qui va arriver après. Il faut que la société reprenne cela comme un modèle», confie-t-il en entrevue à La Presse dans le cadre de la publication de son livre Dr Julien à hauteur d'enfant, qui paraît aujourd'hui

Le premier centre de pédiatrie sociale a vu le jour dans Hochelaga-Maisonneuve en 1997. Le second, dans Côte-des-Neiges en 2003.

Les enfants qui vivent des situations difficiles y trouvent médecin, infirmière, psychologue et autres spécialistes. Par la musique ou les arts, ils apprennent à s'exprimer. Ils trouvent une oreille attentive, un havre de tranquillité ou de l'aide pour leurs devoirs.

Le Dr Julien et son équipe travaillent avec les parents, l'école, la communauté, voire l'hôpital ou la Direction de la protection de la jeunesse pour améliorer le sort des enfants vulnérables dans le respect de leurs droits. On compte maintenant 13 centres au Québec, dont un à Lévis, fondé par l'une des filles du Dr Julien, Maude, infirmière de profession.

Selon des statistiques reconnues, 30% des enfants vulnérables échappent au système et tombent entre deux chaises. Ce sont eux que visent le Dr Julien et ses collègues.

Pour les aider, il faudrait toutefois 200 centres de pédiatrie sociale dans la province. Non seulement il n'y a pas assez de ressources, mais les services destinés aux enfants font constamment l'objet de coupes dans les écoles, les CLSC ou les hôpitaux, déplore le Dr Julien. «Les enfants ne représentent pas une priorité politique», dit-il.

De l'Afrique à Montréal

Enfant, le Dr Julien n'a manqué de rien, même s'il provient d'un milieu modeste. C'est au collège qu'il a pris conscience des iniquités qui existent et qu'il a réalisé qu'il voulait travailler auprès des enfants. Il a aussi découvert celui qui deviendra un modèle, le médecin et philosophe Albert Schweitzer, qui a ouvert un hôpital en pleine brousse.

Il suivra ses traces des années plus tard en s'installant aux Comores, en Afrique, avec femme et enfants. Il travaillera aussi avec les Inuits du Grand Nord et en Albanie avant de s'installer pour de bon à Montréal.

Il faut toute une communauté pour s'occuper d'un enfant, croit-il. C'est ce qu'il s'applique à faire lorsqu'il réunit tous les intervenants autour de la table.

Il va à contre-courant. Comme un grain de sable dans l'engrenage, il dérange. «Je ne fais pas l'unanimité. Quand j'entre dans une école, je vais contester des choses; quand la DPJ ne prend pas la bonne décision, je m'oppose; quand l'hôpital traite mal un enfant, je dénonce.»

Il se bat contre le système. Il se bat aussi pour boucler ses fins de mois. En 2010, le centre d'Hochelaga-Maisonneuve a traversé une crise financière majeure. Le Dr Julien a dû remercier la moitié de son personnel.

Depuis, le gouvernement s'est engagé à lui verser une subvention de 1 million de dollars par année au moins jusqu'en 2015, ce qui lui permet de souffler un peu. La guignolée de la Fondation du Dr Julien, qui fête ses 10 ans cette année, est aussi une réussite.

Mais tout est toujours à construire. Régulièrement, en raison de décisions administratives, il perd les services de professionnels prêtés par les CLSC et les hôpitaux.

L'amour des enfants et le sentiment de les aider lui permettent de continuer après toutes ces années. Sa paie, c'est lorsqu'il rencontre une ancienne du centre, devenue adulte, qui lui présente son bébé avec fierté ou quand des élèves organisent une campagne de financement à son intention.

«Ces reconnaissances me donnent l'autorisation de continuer et de parler pour eux (les enfants). Je ne pourrai jamais me passer de cela.»