Le choléra. Un accident vasculaire cérébral. Une menace de tumeur... Les pseudo-guérisseurs que nous avons consultés nous ont livré des diagnostics bizarres... et contradictoires. Compte rendu de visites troublantes, et des arguments qu'ils ont ensuite invoqués pour se défendre.

Une table de massage trône au milieu d'un petit local du quartier Côte-des-Neiges. Vêtue d'une blouse blanche, Misty Carranza s'affaire autour de sa cliente. La jeune magnétiseuse lui fixe des aimants autour de la tête, lui en dépose d'autres sur le ventre, les bras et les jambes.

Les aimants repèrent et «tuent les micro-organismes responsables des pathologies », explique Mme Carranza en observant, d'un air concentré, son écran d'ordinateur. Au bout d'une heure, son verdict tombe: c'est le choléra. Et sa cliente doit absolument cesser de manger du brocoli.

C'était le premier d'une série de diagnostics improbables, nous ayant été livrés de manière tout aussi improbable au printemps dernier. Nous avons alors passé trois mois à enquêter sur de supposés guérisseurs et à en joindre sous une fausse identité.

Premier constat, ils sont partout. À Montréal et à Québec, mais surtout en périphérie : sur la Rive- Sud, dans la couronne nord, dans les Laurentides et en Estrie.

Plusieurs ont leur propre site web. D'autres s'annoncent dans les journaux gratuits du métro de Montréal, les hebdos locaux ou dans le Journal vert, offert dans les magasins d'aliments naturels.

Ils fondent des ordres pseudoprofessionnels, tiennent des colloques et des salons.

À les entendre, aucune maladie n'est à leur épreuve. Sur les petites annonces de Kijiji.ca, un couple de Laval dit guérir la majorité des problèmes, des tendinites aux cancers. Sur son site, Misty Carranza indique que sa méthode traite, «avec grand succès », sida, méningite, herpès, épilepsie, diabète, pneumonie, hépatite, schizophrénie, infertilité...

En rendez-vous, la jeune femme ajoute qu'une fois « nettoyés », ses patients ne refilent plus leurs maladies héréditaires à leurs futurs enfants. Et qu'ils n'ont plus à craindre le cancer. L'important, dit-elle, c'est de ne surtout pas faire enlever sa tumeur, puisque c'est la poubelle du corps. L'enlever en ferait apparaître une deuxième, alors que des magnétiseurs auraient pu désintégrer la première sans peine.

Dans son salon de Saint-Bruno, au début du mois de mai, Antonin Poncik prétend lui aussi faire fondre les maladies. Mais il facture presque trois fois plus, soit 160$ au lieu de 60$. Sa technique: effacer les points bleus qui flottent autour de ses patients, et qu'il est seul à voir.

Son diagnostic n'a rien à voir avec celui de sa concurrente de Côte-des-Neiges. Vous avez eu un accident vasculaire cérébral, déclare-t-il, pour ajouter ensuite qu'un kyste nous encombre l'intestin, que notre vessie est trop basse et que nous sommes très débalancée.

Au téléphone, deux semaines plus tôt, l'ex-infirmière Nicole Ouellet se montrait tout aussi catégorique. «Vous avez le dos mou, je n'avais encore jamais vu ça ! », s'exclamait la résidante de Sherbrooke, sans nous avoir jamais rencontrée. Elle a plutôt scruté notre signature (scannée, puis transmise par courriel), qui lui a inspiré une liste de mots, à réciter à voix haute dans un diapason.

En suivant le son à travers votre corps, écrit-elle, «vous ressentirez le symptôme voire la maladie se dissoudre ». Elle non plus n'a pas peur des tumeurs. «Les gens très malades, qui veulent éviter la chimio et la radiothérapie vont demander trois traitements en une semaine », précise la sexagénaire au téléphone.

Pour guérir, le client doit y mettre du sien. Quand il ne s'agit pas de renoncer au brocoli, comme le conseille Mme Carranza, c'est fini l'eau chaude, fini les massages, ou interdit d'effleurer les zones traitées avant cinq jours.

Appareils bizarres et instruments invisibles

Pour apparaître crédibles, les guérisseurs se montrent de plus en plus inventifs. Ils offrent de pseudo-analyses de sang ou d'urine, utilisent des capteurs et des appareils étranges, constate le Col lège des médecins du Québec. Certains vibrent comme des outils de menuiserie. D'autres sont parcourus de courants électriques. Leur supposée utilité ? Voir à travers le corps, analyser les tissus, purifier le sang, tuer les tumeurs...

À l'inverse, le naturopathe/ magnétiseur Giulio Fioravanti n'utilise que ses mains. Lorsque nous l'avons rencontré, dans son bureau du nord de Montréal, il a dessiné de petits cercles sur notre dos, a appuyé à l'intérieur, puis agesticulé pour jeter leur contenu invisible dans une vraie poubelle. Nos « cuvettes » emmagasinent des énergies électromagnétiques, qui y vibrent et endommagent les cellules, nous a-t-il expliqué calmement. Il faut les nettoyer pour faire disparaître les pathologies.

Même chose pour éviter le retour du cancer : après avoir enduré chimio ou radiothérapie, il faut « ramener le taux de vibration cellulaire à la normale », expose l'ex-homme d'affaires.

Son dépliant annonce quelque chose de plus particulier encore :la «biochirurgie plasmique», une technique sans anesthésie, ni coupure. Cette technique lui a permis, dit-il, de « remplacer» le ménisque déchiré d'une cliente, qui a ensuite annulé son rendez-vous avec un vrai chirurgien.

Sur le web, un reportage français montre un autre magnétiseur en train de «remplacer» les vertèbres d'une dame âgée. Une table réunit ses outils invisibles, mais « énergétiquement là », dit-il. On pense aussitôt aux Habits neufs de l'empereur, le célèbre conte de Hans Christian Andersen celui d'un roi s'étant laissé convaincre qu'on lui avait tissé un habit magique, que seules les personnes intelligentes pouvaient voir.

Cela dit, contrairement à cet homme et à plusieurs autres, Giulio Fioravanti ne prétend pas remplacer les médecins et ne nous a rien diagnostiqué.

Miracles sur YouTube

Bon an, mal an, environ 200 personnes appellent le Centre d'information sur les nouvelles religions de l'Université de Montréal au sujet de guérisseurs solitaires ou issus d'un mouvement qui s'appuient sur des croyances plutôt que sur la science. Et le nombre d'appels va sûrement croître, prévoit la directrice du centre Marie-Ève Garand.

L'internet permet désormais de rejoindre les gens à domicile, explique-t-elle. Et son efficacité est redoutable, car les gens malades ne veulent pas rester impuissants et font donc beaucoup de recherches.

Sur YouTube, la vidéo promotionnelle de l'homme aux points bleus (Antonin Poncik) ressemble à un vrai documentaire. Celles de la femme au diapason sont baptisées: «Les miracles par Nicole Ouellet». La seconde vidéo, qui met en scène un certain «M. Jambes » et ses atroces varices, a été vue plus de 210 000 fois!

Au téléphone, l'ex-infirmière se vante de recevoir des appels de France et de Belgique. Et elle n'est pas la seule. Des deux côtés de l'océan, ses concurrents affichent souvent leurs prix en dollars et en euros. Logique, puisqu'ils jurent guérir à distance.

Un naturothérapeute montréalais, également prof de taï chi, se sert ainsi du téléphone pour traiter les vieilles dames. Sur son site, il vend un forfait à 400$ «payable en un seul versement dès la première séance». Il y offre aussi des reconnexions à l'univers à 333$.

D'autres facturent les appels téléphoniques aux 15 minutes.

Même s'il ne nous a trouvé aucune maladie, Giulio Fioravanti nous proposait pour sa part un plan de 7 rencontres qui nous aurait coûté, en fin de compte, 740 $. « J'ai nettoyé 2 cuvettes sur 11. Vous ne pourriez en supporter plus aujourd'hui», justifie-t-il.

D'autres magnétiseurs vont jusqu'à affirmer que leur chirurgie imaginaire pourrait laisser leur client paralysé.

Pour un hypocondriaque ou un grand malade, les risques sont assurément financiers. Une dame a payé près de 16 000$, et une autre a retiré son REER pour payer Nicole Ouellet, soulignait le juge ayant condamné l'ex-infirmière à payer 48 000 $ d'amende. Or, depuis l'époque, ses prix ont doublé. Elle réclame désormais 130$ par consultation, plus 130$ pour un diapason qui vaut 10 fois moins.

À ce prix, les promesses pleuvent. «On a beaucoup de plaisir avec les maladies dites inguérissables. On a prouvé que ça n'existe pas», prétend Nicole Ouellet.

De son côté, Misty Carranza parle de ses aimants comme d'une «thérapie médicale révolutionnaire et scientifique». Même si, d'après une méta-étude, publiée en 2006 dans le British Medical Journal, les aimants «thérapeutiques» (un marché mondial de 1 milliard de dollars, dont 300 millions aux États-Unis) ne servent à rien.

Les pseudo-guérisseurs ne jettent pas l'éponge. À Boisbriand, le naturothérapeute Sylvain Champagne jure que «des hôpitaux et des universités du monde entier consacrent temps et argent à essayer d'expliquer » les guérisons miracles de son mentor américain Eric Pearl.

C'est parce qu'on offre, dit-il, «quelque chose de nouveau, qui n'existait pas sur terre».