Le Curateur public a demandé un réexamen complet de tous les dossiers de désinstitutionnalisation en santé mentale, à la suite d'un rapport du coroner Pierre Guilmette. Ce dernier craint en effet que la désinstitutionnalisation soit allée «trop loin» et qu'elle risque maintenant de mettre des malades en danger.

Cinquante ans après que le gouvernement du Québec eut décidé de sortir les malades des asiles, c'est toute la prise en charge des personnes atteintes de maladies mentales qui est remise en question par le rapport du coroner. Le Dr Pierre Guilmette s'est penché sur cet enjeu, encore aujourd'hui controversé, à la suite de la mort de Charles-Auguste Saint-Louis, 53 ans, schizophrène et déficient intellectuel, qui s'est suicidé alors qu'il était hébergé dans une résidence «où il n'aurait jamais dû se retrouver». Dans son rapport daté du 18 juillet dernier, le Dr Guilmette recommande que soient «révisés tous les dossiers de désinstitutionnalisation au Québec, particulièrement ceux des cinq dernières années, afin d'y dépister des cas similaires».

«On peut se demander si la fermeture des asiles n'a pas pris le dessus sur la sécurité de certaines personnes. Il faut savoir ce que sont devenus ces gens», a confié le coroner lors d'une entrevue avec La Presse.

Le Curateur public a choisi d'obtempérer. «Nous avons procédé à l'analyse des dossiers. Nous rencontrerons les gens qui sont dans des situations comparables au cours des prochaines semaines pour s'assurer qu'ils ont les soins adéquats», assure Sébastien Downs, adjoint aux communications.

Selon le Dr Pierre Guilmette, l'histoire de Charles-Auguste Saint-Louis n'est pas un cas isolé. «Tous les médecins sont au fait de dossiers douteux en santé mentale. On n'a qu'à s'assoir quelques minutes autour d'un café pour en trouver plus d'un», dit-il.

Le 16 août 2011, M. Saint-Louis est mort à l'hôpital de Saint-Georges de Beauce à la suite de complications d'une fracture du fémur. Deux semaines plus tôt, il s'était jeté du balcon du deuxième étage de la résidence en milieu familial où il était hébergé contre son gré. Malgré des années en institution, des troubles sévères et plusieurs tentatives de suicide antérieures - dont une fois où il a voulu sauter d'une fenêtre -, le patient avait été placé dans ce qu'on appelle dans le milieu une «ressource intermédiaire». Une résidence très peu sécurisée «où il n'y a pas de barreaux aux fenêtres ou de verrous aux portes», précise le Dr Guilmette.

Même si les médecins traitants étaient opposés à un tel transfert et estimaient que la victime avait besoin «d'un niveau d'encadrement et de surveillance adapté à son niveau intellectuel», le Curateur public a autorisé le déménagement.

Selon ce qu'a découvert le coroner, le dossier du Curateur public contenait de fausses informations, notamment celle voulant que l'équipe médicale ait été en accord avec le transfert. «C'est très inquiétant», estime le Dr Guilmette, qui se demande si on trouve de telles discordances dans des rapports qui concernent d'autres patients.

«Maintenant qu'on est rendu à la fin du processus de désinstitutionnalisation et que les asiles sont presque tous disparus, il faut se poser des questions», croit le coroner, qui reprend ainsi les inquiétudes exprimées dernièrement par de nombreux médecins. «Les derniers malades à être sortis étaient plus difficiles à placer et ne se sont peut-être pas retrouvés où ils auraient dû, selon lui. Il faut se demander si nous sommes allés trop loin.»