Après sept mois d'existence, la clinique de procréation assistée du Centre hospitalier de l'Université de Montréal (CHUM) ne fonctionne toujours qu'au quart de sa capacité, a appris La Presse. Pourtant, Québec persiste dans son projet de construire à grands frais un nouveau centre de fertilité public à l'hôpital Sainte-Justine, à moins de sept kilomètres. Un projet «prématuré» qui «gaspillera les fonds publics», affirme le Dr Jacques Kadoch, directeur médical de la clinique de procréation assistée du CHUM.

«On va faire rire de nous, prévient le médecin. Ça va coûter super cher, alors qu'on pourrait simplement concentrer les traitements dans un seul centre en attendant qu'il y ait suffisamment de demandes pour en ouvrir un deuxième.»

La clinique de fertilité du CHUM, ouverte en grande pompe en février dernier, est l'une des plus grosses au Canada. Elle a été conçue pour réaliser 1500 cycles de fertilisation par année dans des locaux de quelque 40 000 pieds carrés. Malgré cela, seulement 200 cycles ont été entrepris en sept mois, et 150 ont été menés à terme. «Ce n'est pas parce qu'on manque d'espace ou de personnel, assure le Dr Kadoch. On pourrait facilement augmenter le volume, mais la demande ne suit pas. On n'a même pas vraiment de liste d'attente.» Le médecin prévoit que sa clinique n'aura fonctionné, au mieux, qu'à 25% de sa capacité durant sa première année. «Il arrive qu'on se tourne les pouces», dit-il.

Cela n'a toutefois pas empêché le ministère de la Santé d'annoncer en août un investissement de 5,1 millions pour lancer la première phase du centre de procréation assistée de l'hôpital Sainte-Justine. Des rénovations majeures permettront d'aménager l'accueil, des salles d'échographie, des salles d'opération et de réveil, ainsi que des laboratoires.

Beaucoup plus petite que celle du CHUM, cette clinique permettra de réaliser jusqu'à 400 cycles par an. La fin des travaux est prévue pour 2013, mais l'établissement acceptera ses premières patientes dès les prochaines semaines dans des locaux temporaires.

La clinique de l'hôpital Sainte-Justine deviendra ainsi la septième à Montréal. En plus de celles du Centre universitaire de santé McGill et du CHUM, Montréal compte quatre cliniques privées où les traitements sont remboursés par la Régie de l'assurance maladie, soit OVO, Procrea, le Centre de reproduction de Montréal et le Centre de fertilité de Montréal. Deux autres cliniques doivent également ouvrir leurs portes au cours des prochaines années aux centres hospitaliers universitaires de Québec et de Sherbrooke.

«Je crois qu'ils ont surestimé les besoins», affirme le Dr Kadoch, qui pratique aussi chez OVO, où il a observé une diminution de la fréquentation. Pourtant, selon des chiffres du ministère de la Santé, la demande pour des traitements de fécondation in vitro a dépassé toutes les prévisions au Québec. «On s'attendait à 7000 cycles en 2014-2015 et on a déjà dépassé ce nombre cette année», a noté la porte-parole Noémie Vanheuverzwijn.

Phase de développement

Qu'est-ce qui explique alors le manque de popularité de la clinique du CHUM? «On est encore dans une phase de développement en milieu hospitalier», répond Mme Vanheuverzwijn. Selon elle, la construction d'un nouveau centre dans la métropole est nécessaire, même si celui dirigé par le Dr Kadoch pourrait accepter beaucoup plus de patientes à moindre coût. «C'est important pour la recherche et l'enseignement, dit-elle. Et comme Sainte-Justine détient une expertise en génétique, ils pourront offrir des services spécialisés aux citoyennes de toute la province.»

Même le Dr Gaétan Barrette, président de la Fédération des médecins spécialistes et ex-candidat caquiste, pourtant féroce critique du programme gratuit de procréation assistée - notamment parce qu'il trouvait son implantation trop rapide -, est favorable à la nouvelle construction. «C'est ce qui avait été prévu de longue date», rappelle-t-il. «Le but est qu'il y ait une migration des cliniques privées conventionnées [où la RAMQ rembourse les traitements] vers les hôpitaux. Si les médecins trouvent que ça ne va pas assez vite, ceux qui travaillent dans les deux systèmes à la fois n'ont qu'à transférer leur clientèle vers leur pratique hospitalière.»

Jacques Kadoch croit plutôt qu'il faut attendre avant de dépenser des millions pour un nouveau centre. «Je ne suis pas contre son existence. Je trouve simplement que c'est prématuré», dit-il. Il suggère d'accueillir les médecins de Sainte-Justine au CHUM pour rentabiliser la clinique en attendant que la demande augmente suffisamment dans les centres hospitaliers pour justifier un nouveau centre d'expertise.