Les incidents et accidents dans les établissements de santé ont entraîné la mort de 91 personnes en six mois dans l'ensemble du Québec, démontre le deuxième registre du gouvernement du Québec, qui sera dévoilé aujourd'hui, et que La Presse a obtenu. Par ailleurs, plus de la moitié (51%) des événements déclarés, quelque 225 000, ont touché des personnes de plus de 75 ans. Et il appert que les chutes et les erreurs de médication demeurent les causes les plus fréquentes d'événements.

Entre le 1er octobre et le 31 mars derniers, 225 642 événements, des plus banals à ceux causant la mort, ont été déclarés par 268 établissements publics et privés dans l'ensemble de la province, tant des hôpitaux que des centres d'hébergement de longue durée ou des centres de réadaptation. C'est la deuxième fois que le gouvernement compile ces données et rend son analyse publique dans un rapport. Au total, 97,76% des établissements ont consenti à faire parvenir leurs données à Québec, ce qui représente une hausse de 20% par rapport à la première compilation dévoilée en décembre 2011. Cette hausse se traduit aussi par la déclaration de 16 accidents mortels de plus que dans le premier registre.

En plus de constater que les personnes âgées demeurent les plus touchées par des accidents, le rapport démontre qu'un peu plus de la moitié des événements touchent les femmes. On s'attarde ensuite sur les causes. Dans 65% des cas, on constate que les déclarations sont liées à des chutes ou à des erreurs de médication. Les erreurs dans le traitement arrivent en troisième position, mais représentent seulement 2,20% des déclarations.

Dans le cas des chutes, le patient a été trouvé par terre dans plus de la moitié des cas (51,53%) ou lorsqu'il circulait dans l'établissement (22,19%). Au total, 77 739 chutes ont été enregistrées. Elles ont entraîné la mort de 56 personnes. Il a fallu intervenir pour maintenir en vie 6 patients, et 85 accidents ont entraîné des séquelles permanentes. En ce qui concerne les erreurs de médication, elles sont la plupart du temps à l'origine d'une omission (39,74%) ou d'une erreur dans le dosage (18,47%). Les établissements en ont répertorié 71 553 durant cette même période. À ce chapitre, on constate que les erreurs ont été mortelles pour deux personnes, et qu'elles ont nécessité cinq interventions in extremis chez cinq patients. Sans être en mesure d'expliquer les circonstances en détail, le ministère de la Santé a constaté que les médicaments le plus souvent à l'origine des accidents servent à traiter des chocs et des problèmes vasculaires, sont des opiacés et des amphétamines ou encore liés à la prise d'antipsychotiques.

Malgré ces données inquiétantes, on souligne dans le registre que dans la majorité des cas, que ce soit pour des chutes ou des erreurs de médication, les accidents ont été sans conséquence pour le patient. En raison d'informations qui n'ont pu être précisées ou de certains champs non remplis dans des formulaires, 28 morts sur les 91 compilées ont été classées dans la catégorie «autres». Cette catégorie englobe une vingtaine de «types d'événements», allant d'une blessure inconnue à une erreur liée au dossier, en passant par une erreur dans le décompte chirurgical ou un bris de stérilité.

Plan d'action national

Me Jean-Pierre Ménard, avocat spécialisé dans les erreurs médicales, salue la publication de ce deuxième registre, mais, selon lui, il est clair qu'il y a une «sous-déclaration» des accidents. «Vous remarquerez que les chutes et les médicaments concernent le personnel en soins infirmiers, explique-t-il. Presque rien n'apparaît concernant les traitements prodigués par des médecins. Je vois pourtant plein de cas dans mon cabinet, et quand on fait venir les dossiers médicaux, ils sont vides. Il n'y a pas de rapport d'accident.» Selon Me Ménard, il est impératif que la province se dote d'un «plan d'action national de prévention des accidents». «Je donne un exemple comme ça, mais ce plan d'action pourrait par exemple nous permettre de découvrir qu'un manque de personnel en CHSLD est à l'origine d'un grand nombre de chutes, dit-il. Ce qui est dommage, à l'heure actuelle, c'est que le gouvernement voit ces données comme une fatalité. Le ministre Yves Bolduc n'était même pas présent au dévoilement du premier registre. Et je me demande ce que le gouvernement entend faire avec celui-là.»

Selon nos informations, aucun point de presse concernant la publication de ce registre n'est prévu aujourd'hui, ni par le gouvernement ni par le ministre de la Santé. En vertu de la loi, le ministère de la Santé et des Services sociaux a l'obligation de rendre le rapport public d'ici à la fin du mois de juin, donc aujourd'hui au plus tard.

Depuis 2002, tous les établissements de santé ont l'obligation légale de compiler aux fins d'analyse les accidents et incidents survenus durant la prestation de soins de santé et de services sociaux. À ce jour, six établissements ne se conforment pas à cette obligation. Après de nombreuses discussions, le gouvernement s'est entendu pour ne pas parler «d'erreurs médicales». On parle plutôt «d'accident» quand l'événement pourrait avoir entraîné des conséquences sur l'état de santé ou le bien-être du patient. Et «d'incident» quand l'événement n'entraîne pas de conséquences pour le patient, mais est d'une nature inhabituelle.