Québec et ses médecins se liguent contre Ottawa et sa décision de faire des coupes dans les soins médicaux aux réfugiés. Tandis que les médecins des hôpitaux pour enfants montent au créneau et promettent de continuer à soigner gratuitement les jeunes demandeurs d'asile, Québec s'engage à payer lui-même les traitements qu'Ottawa cessera de rembourser.

«Pour des raisons humanitaires, nous avons demandé à la RAMQ de couvrir temporairement les services pharmaceutiques et médicaux des réfugiés jusqu'à ce qu'une solution à long terme soit trouvée», indique l'attachée de presse du ministre Yves Bolduc, Natacha Joncas Boudreau. Québec n'avait pas vraiment le choix. Totalement indignés par la réforme, les médecins étaient nombreux à menacer de ne pas la respecter et de continuer à offrir les traitements non couverts aux réfugiés. La dette accumulée aurait inévitablement été assumée soit par les établissements, soit par la province. «On aurait beau envoyer des factures aux patients, ils n'ont pas les moyens de payer», note le Dr Marc Girard, chef du département de pédiatrie du CHU Sainte-Justine.

Date butoir

Annoncée en avril, la réforme fédérale du programme de santé intérimaire pour les réfugiés, qui offre une couverture aux réfugiés qui ne bénéficient pas encore d'un régime d'assurance maladie provincial, mettra fin à compter du 30 juin au remboursement des médicaments, des soins dentaires, de la réadaptation, et de tout traitement jugé non urgent, comme les suivis de grossesse ou de maladies chroniques. Une «catastrophe», préviennent les professionnels de la santé.

«Les jeunes réfugiés sont particulièrement vulnérables. Ils ont besoin d'être suivis. Eux aussi sont l'avenir du Canada», martèle la directrice associée des services professionnels de l'Hôpital pour enfants, la Dre Micheline Ste-Marie. «Ils ne disparaîtront pas du système comme par magie parce que nous cessons de les traiter. Ils vont se retrouver aux urgences en crise d'asthme ou d'épilepsie et ça, ça va alourdir le système et coûter plus cher.»

Le plan B des médecins

Dégoûtés, les médecins organisent la résistance. Après avoir submergé le ministre de l'Immigration du Canada, Jason Kenney, de lettres plus virulentes les unes que les autres, signées par des associations, des directeurs d'hôpital et des sommités en médecine de l'enfance, ils passent maintenant au plan B. «Le gouvernement ne semble pas vouloir entendre raison», déplore la Dre Louise Auger, de la clinique multiculturelle de l'Hôpital de Montréal pour enfants, où quelque 700 consultations sont faites auprès de demandeurs d'asile. Le ministre Bolduc en personne a demandé à Ottawa de revoir sa réforme ou, au moins, de la suspendre le temps de trouver une solution. Mais rien n'y fait.

«Nous savons que des demandeurs d'asile refusés décident de ne pas quitter le pays parce qu'ils veulent continuer à recevoir les avantages offerts par le gouvernement tels que les soins de santé. C'est injuste pour les Canadiens et c'est pourquoi nous y mettons fin», répond l'attachée de presse du ministre Kenney, Alexis Pavlich.

À Sainte-Justine et à l'Hôpital de Montréal pour enfants, le mot d'ordre est de faire comme si rien n'avait changé. «Notre travail est de traiter tous les patients. Pas de demander d'où ils viennent ou de les trier selon leur couleur», rage Louise Auger. C'est exactement ce qu'elle continuera de faire. Mais la femme va plus loin. Inquiète que des patients n'arrivent pas à payer des médicaments essentiels, elle s'apprête à demander des remèdes expirés ou en voie d'expiration aux sociétés pharmaceutiques. «Je compte sur leur compassion», dit-elle.

Dans un rare geste de contestation publique, des collègues et elle font même signer des pétitions dans le hall de l'hôpital. «Bon nombre [de réfugiés] auront vécu d'horribles traumatismes et de la persécution, et leur famille aura enduré de pénibles épreuves pour venir dans un pays sûr. Si les parents n'ont pas d'argent pour payer les services de santé ou les médicaments, ils se priveront peut-être de traitements ou de visites chez le médecin», dit le texte.

La réforme en bref

Le programme offre une couverture de base aux réfugiés qui ne sont pas encore bénéficiaires d'un régime d'assurance maladie provincial, ainsi qu'une couverture supplémentaire qui comprend entre autres des médicaments et des soins dentaires.

À compter du 30 juin, la couverture supplémentaire sera abolie. Les réfugiés pourront toutefois être traités gratuitement en cas d'urgence ou si leur maladie représente un danger pour la santé et la sécurité publiques.

Ottawa entend économiser 20 millions par an pendant les cinq prochaines années et souhaite uniformiser la couverture offerte aux réfugiés avec celle des Canadiens.