Il n'y a pas si longtemps, le personnel médical, horrifié, arrachait à leur mère la majorité des bébés nés drogués et les isolait à la pouponnière. Au Centre des naissances de l'hôpital Saint-Luc, on fait exactement le contraire depuis 2005.

Plus la mère demeure en symbiose avec son nouveau-né, moins le bébé est souffrant, explique la travailleuse sociale Marielle Venne. «On les installe dans la même chambre pour favoriser le contact peau contre peau et l'allaitement, qui apaisent le bébé», dit-elle. Le lait maternel contient des traces infimes de méthadone, qui contribuent à soulager le nouveau-né.

Dès que cette approche a été instaurée, les bébés auxquels il fallait administrer de la morphine ont été sept fois moins nombreux. Et la durée moyenne de leur séjour à l'hôpital est passée de 28 à 9 jours, alors que, selon l'Institut canadien d'information sur la santé, elle dépasse 15 jours dans le reste du Canada.

«Ça aide aussi les mères à se sentir utiles et à surmonter leur sentiment de culpabilité, qui leur donne seulement envie de fuir», constate Mme Venne.

L'objectif de son équipe est ambitieux: que la mère puisse garder son enfant pour de bon. Et cela arrive de plus en plus souvent, dit-elle. «Une de mes patientes très mal en point s'était fait arracher une demi-douzaine de bébés des bras. Sa réputation la précédait: ses désintox passées, ses surdoses. Entendre que son dernier enfant ne lui serait pas automatiquement enlevé à la naissance a été une vraie révélation. Il vient d'avoir 2 ans, et il a toujours vécu avec elle», illustre l'obstétricien Samuel Harper.

Au CHUM, ce n'est pas un cas isolé. De 2006 à 2009, la proportion de bébés nés de mère toxicomane dont la sécurité a été jugée compromise est passée de 84% à 62%. Parallèlement, la proportion de bébés placés dès leur naissance par la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) est passée de 22% à 6%.

Qu'est-ce qui a changé? Au lieu de travailler chacun de leur côté, le Centre des naissances et la DPJ ont ajusté leur philosophie et lancé, il y a cinq ans, le partenariat «Main dans la main», auquel participent aussi, depuis un an et demi, le CHU Sainte-Justine et l'hôpital Maisonneuve-Rosemont.

Il permet à l'hôpital d'inviter la DPJ à faire connaissance avec les parents pendant la grossesse, histoire d'avoir quelques repères et de mieux évaluer les risques. «Avant, les nouveau-nés étaient souvent placés pour 30 jours, et c'était une catastrophe! tranche le Dr Harper. Les mères réagissaient en allant consommer. La DPJ disait: "On savait bien qu'elles allaient rechuter." Mais c'est le fait de perdre leur enfant qui provoquait ça. On leur enlevait leur source de motivation!»

«Si tu as peur de perdre ton enfant à la naissance, tu te protèges, tu t'investis moins. Ça nuit au lien d'attachement, qui est vital», renchérit Marielle Venne.

«Même après, ajoute-t-elle, quand leur bébé est impossible à consoler, les parents pensent qu'il les rejette. Il faut travailler à ce qu'ils se sentent bien et importants.»

La travailleuse sociale rencontre des pères aux cheveux verts, qui débarquent en blouson de cuir bardé de chaînes, et des mères couvertes de tatouages et de piercings. Ni les agents de sécurité ni l'équipe des urgences ne doivent les regarder de travers, dit-elle. «Ils ont besoin d'être encouragés. Si les parents se sentent jugés, c'est sûr qu'ils ne reviendront plus faire leur suivi. On va les perdre.»