Les antibiotiques donnés aux animaux qu'on mange - notamment aux poulets du Québec - soulèvent des inquiétudes. Il s'agit d'un «vecteur majeur de la propagation de la résistance» aux antimicrobiens, selon l'OMS et la FAO. Bonne nouvelle: 160 000 poulets québécois sont actuellement élevés sans antibiotiques, dans le cadre d'un projet pilote réalisé avec l'Université de Montréal. La Presse a visité un poulailler où les coqs grandissent en santé, sans médicaments.

C'est une première au Québec: 160 000 poulets de chair sont élevés sans antibiotiques, habituellement donnés à petites doses pour prévenir les maladies et maximiser la croissance. «Le but de ce test, c'est de voir si l'on peut élever en grande quantité des poulets sans antibiotiques, à un prix intéressant pour le marché», a dit à La Presse Christian Dauth, directeur du marketing des Éleveurs de volailles du Québec.

Le succès est au rendez-vous jusqu'à maintenant, même si le défi est grand. Le taux de mortalité dans les élevages industriels sans antibiotiques est élevé: de 20% à 30%, selon la littérature. «Les principaux problèmes observés, ce sont des entérites et des problèmes digestifs», a expliqué Martine Boulianne, titulaire de la Chaire de recherche avicole à la faculté de médecine vétérinaire de l'Université de Montréal. Ces pertes peuvent être minimisées «en optimisant la qualité de l'élevage», a indiqué Marie-Lou Gaucher, autre vétérinaire travaillant au projet.

Huit agriculteurs élèvent des poulets sans antibiotiques depuis juin, dont Louis-Philippe Rouleau, de la ferme Lophika à Bécancour. «Au début, j'avais peur d'avoir beaucoup de problèmes», a reconnu le sympathique gaillard, qui participe aux compétitions d'hommes forts. Ses deux premiers lots sans médicaments l'ont rassuré: il a produit autant de poulets qu'à l'habitude, du même poids, «en 40 jours au lieu de 39», a-t-il précisé. Taux de mortalité: 1,5%, comme pour ses poulets ordinaires.

Améliorer les conditions d'élevage

Lors du passage de La Presse, 17 500 coqs âgés de neuf jours, élevés sans antibiotiques, pépiaient dans un vaste poulailler à deux étages de la ferme Lophika. «C'est le bruit d'oiseaux à l'aise», a assuré Mme Boulianne. Sans cages, les poussins se déplacent, mangent et boivent à volonté, mais n'ont pas accès à l'extérieur avant de partir pour l'abattoir.

La clé de la réussite, «c'est de traiter les poussins aux petits oignons», a indiqué Mme Gaucher. Le poulailler doit être plus chaud qu'à l'habitude, la moulée plus digeste et accessible, l'eau acidifiée et renouvelée quotidiennement pour éviter la prolifération bactérienne. Des huiles essentielles aux vertus antimicrobiennes sont aussi testées dans les rations.

«Il faut bien observer les poulets, faire deux ou trois tournées par jour dans chaque bâtisse, chaque étage, pour tout bien vérifier, a fait valoir M. Rouleau, troisième génération dans la famille à élever de la volaille. On travaille avec du vivant.»

Bilan provisoire «très positif»

Le bilan actuel des élevages sans antibiotiques? Il est «très positif», a assuré Mme Boulianne. Des 16 lots de poulets complétés (sur une cinquantaine prévus dans le projet), seulement deux ont eu des problèmes d'entérite nécrotique ou de diarrhée. «Je suis optimiste, mais sur mes gardes, a dit la vétérinaire. Il faut voir comment va se passer l'hiver, les changements de saison et la répétition des lots, qui établit une nouvelle flore intestinale dans les poulaillers.»

En cas de maladie, les poulets sont traités avec des produits alternatifs (extraits de plantes, huiles essentielles, etc.). Si cela échoue, un vétérinaire peut autoriser l'emploi d'antibiotiques, mais le poulet perd alors son appellation «sans antibiotiques».

Un budget de 385 000 $, financé à 80% par Agriculture Canada par l'entremise du Conseil pour le développement de l'agriculture du Québec et à 20% par la filière avicole du Québec, a été alloué au projet.

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St-Hubert est intéressé

Les Rôtisseries St-Hubert, qui servent 120 000 poulets par semaine, aimeraient offrir des cuisses et des poitrines élevées sans antibiotiques. « On sait qu'il y a un marché pour le poulet sans antibiotiques et qu'un client important est intéressé », a confirmé Christian Dauth, directeur du marketing d'Éleveurs de volailles du Québec.

Mais il faudra attendre la fin 2012 pour savoir si les éleveurs élargiront le projet pilote. « Ce serait une conversion majeure, a souligné M. Dauth. Nous sommes en train de déterminer quelles en sont les conditions gagnantes. »

En attendant, il est possible de déguster l'un des 160 000 poulets sans antibiotiques produits cette année... si on a de la chance. Ils sont vendus avec les poulets ordinaires, sans étiquette particulière permettant de les distinguer!

Point positif : des retombées sont à prévoir même sur l'élevage courant. « L'optimisation des pratiques, mise en place pour le poulet sans antibiotiques, risque de faire boule de neige dans l'industrie », a souligné Martine Boulianne, professeure à la faculté de médecine vétérinaire de l'Université de Montréal.

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Quels poulets peut-on acheter au Québec?

Poulet ordinaire: environ 97% de la production

Reçoit de petites doses d'antibiotiques, «un moyen sûr et efficace de prévenir les maladies et les problèmes de digestion», selon les Éleveurs de volailles du Québec. Peut aussi être traité avec des antibiotiques en cas de maladie. La viande mise en marché ne contient aucun résidu d'antibiotiques, assurent les éleveurs. Le poulet ordinaire mange une ration composée à 90% de grains et de sous-produits céréaliers, à 8% de farines et graisses animales et à 1,5% de vitamines et minéraux. Élevé hors cage, mais confiné au poulailler.

Tout végétal: de 1 à 2% de la production

Reçoit aussi de petites doses d'antibiotiques à titre préventif et lors de maladie. Différence: son alimentation est composée à 100% de grains ou de sous-produits céréaliers, sans farines animales. Jusqu'en 2010, de 20% à 25% de la production québécoise de poulet était du «100% végétal». «Ça pourrait revenir, on ne sait jamais», a dit Christian Dauth, des Éleveurs de volailles du Québec.

Sans antibiotiques: moins de 1%

Ne reçoit aucun antibiotique. Mange une ration ordinaire, avec farines animales. 160 000 poulets sans antibiotiques sont actuellement produits dans la cadre d'un projet pilote.

Biologique: moins de 1%

Ne reçoit aucun antibiotique. Nourri à 100% de grains certifiés biologiques, sans farines animales. A accès à l'extérieur et à des perchoirs dans les poulaillers.

Photo: Alain Roberge, La Presse

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Antibiotiques à titre préventif: déjà interdit pour les poules pondeuses

Les 3,5 millions de poules pondeuses du Québec reçoivent-elles des antibiotiques à titre préventif? Non, a assuré à La Presse Denis Frenette, directeur de la production et de la recherche à la Fédération des producteurs d'oeufs de consommation du Québec. «C'est interdit depuis sept ou huit ans», a-t-il précisé.

Les poules pondeuses «sont des oiseaux plus équilibrés au niveau de la santé, qui croissent moins vite», a-t-il fait valoir. «On est capables de les gérer sans autre outil que l'alimentation, la ventilation, la vaccination, etc.»

Malades, les pondeuses peuvent toutefois être traitées avec des antibiotiques. Si le médicament est détectable dans les oeufs, ils sont jetés. «C'est arrivé deux fois en huit ans, que des producteurs doivent donner des doses qui ont obligé une période de retrait», a indiqué M. Frenette.

Dans l'élevage de poulets biologiques, l'usage d'antibiotiques est aussi défendu, même à des fins curatives. Les agriculteurs doivent choisir des races robustes, «puis ils vont s'assurer que le poulet a l'espace, la nourriture et la ventilation qu'il faut pour être en santé», a indiqué Yves Gélinas, du Conseil des appellations réservées et des termes valorisants, qui a autorité sur les aliments bios.

«Les poulets bios peuvent aussi aller à l'extérieur quand il fait beau, ce qui apporte une certaine immunité, a-t-il ajouté. C'est un peu comme nous: si on fait de l'exercice et qu'on se nourrit bien, on a une plus grande résistance aux maladies.»

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Résistance aux antimicrobiens: un problème de santé croissant

«La résistance aux antimicrobiens a émergé comme un problème de santé croissant avec l'usage répandu des antibiotiques à des fins vétérinaires ou en tant que promoteurs de croissance dans l'industrie du bétail, ont écrit l'OMS et la FAO dans un communiqué commun, publié en juillet. Il s'agit là d'un problème de sécurité alimentaire mondiale, car la nourriture est échangée dans le monde entier et peut être un vecteur majeur de propagation de la résistance parmi les humains et les animaux.»

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En chiffres

764 éleveurs de poulets de chair au Québec

169,6 millions nombre de têtes

222 035 têtes par éleveur, par an (moyenne)

Source: Les éleveurs de volailles du Québec, 2010.

Photo: Alain Roberge, La Presse

Pesant 50 g à leur arrivée au poulailler, ces poulets atteindront 2,3 kg au bout de 40 jours.