Pendant la campagne électorale de 2003, Jean Charest avait promis de décongestionner les urgences des hôpitaux. Huit ans plus tard, jeunes et très vieux doivent toujours patienter durant des heures sur de petites chaises droites dans des salles d'attente le plus souvent délabrées.

En pleine nuit, dans les hôpitaux pour adultes du CHUM et de McGill, il n'y a qu'un médecin de faction dans les urgences, bien que, en cas de catastrophe, on puisse appeler en renfort des médecins prêts à arriver très rapidement à l'hôpital. Est-ce suffisant? Quel est le problème? Le manque de médecins ou d'espace?

Quand on a cherché à connaître le nombre de médecins de garde par quart de travail au CHUM et au CUSM, le ministère de la Santé - qui dit avoir pour priorité de réduire le temps d'attente dans les urgences - nous a répondu qu'il ne disposait pas de cette donnée. Idem à l'agence de la santé et des services sociaux de Montréal.

C'est finalement auprès des hôpitaux eux-mêmes que certaines données ont été obtenues, mais le portrait est loin d'être complet: ainsi, au CHUM, impossible de savoir quel est le temps d'attente pour les cas les moins prioritaires. Au CHUM comme au CUSM, les données concernant les délais dans la salle d'attente - avant d'avoir vu le médecin - semblent introuvables.

Aux urgences de l'Hôpital général de Montréal et de l'hôpital Royal Victoria, il y a trois médecins de jour et trois de soir - dont l'un finit à 2 h du matin. Un médecin a un horaire qui chevauche l'horaire de jour et de soir, et un autre travaille de minuit à 9 h.

Du côté de l'Hôtel-Dieu et de Saint-Luc, il y a trois médecins entre midi et 20 h, deux entre 16h et minuit, et un seul entre minuit et 8 h. À l'hôpital Notre-Dame, on compte trois médecins de 8 heures à 16h, deux médecins de 16 h à minuit, un de minuit à 8h, auxquels s'ajoutent deux médecins, l'un de 10h à 18h et l'autre, de 14h à 22h.

Dans les hôpitaux du CUSM, grosso modo, il arrive par ambulance un patient et demi à l'heure. Est-ce à dire que, à moins d'un infarctus ou de quelque chose de très, très grave, les gens qui se présentent aux urgences à certaines heures du jour ou de la nuit en espérant être vus perdent totalement leur temps?

Jean-Marc Troquet, directeur des urgences du CUSM (le réseau McGill), assure que ce n'est pas le nombre de médecins qui influe sur le temps d'attente, mais que c'est le débordement généralisé qui a un effet domino. On manque de places en CHSLD et en réadaptation. Des personnes âgées ou accidentées occupent donc des lits qui devraient être occupés par des patients des urgences.

Ainsi, le plus souvent, les urgences sont surchargées de patients qui mettent beaucoup de temps à monter aux étages. À chaque quart de travail, les médecins qui se succèdent sont appelés à passer du temps auprès du même patient qui ne devrait plus être là, explique le Dr Troquet. «Sur neuf heures de travail, on en passe au moins deux à transférer des patients, en plus de faire le monitorage de ceux qui sont normalement admis (et qui attendent une place aux étages).»

«Le manque de médecins est un mythe. Ce qu'il manque surtout, ce sont des lieux physiques. Il arrive que les médecins des urgences se tournent les pouces parce qu'il n'y a plus de place pour voir un nouveau patient», dit le Dr Troquet.

«Pour être fonctionnelles, dit-il, les urgences devraient fonctionner à 80%. À ce taux-là, quand quelqu'un arrive, on a une place pour le recevoir. Le plus souvent, on est à 120%, 140%. Quand on dépasse les 140%, ça devient dysfonctionnel.»

Or, dit le Dr Troquet, pendant 50% des jours de cet hiver, «ça variait entre 150% et 200%. Et deux jours par mois, pendant l'hiver, on s'est trouvé au-dessus de 200%.»

C'est cet engorgement, plutôt que le flot réel de patients, qui pose problème, insiste le Dr Troquet. Si le médecin de nuit n'avait pas à réévaluer tous les patients admis (qui ne devrait plus être aux urgences), il suffirait à la tâche.

Un problème complexe

Du côté du CHUM, on se plaint aussi du fait que les patients en attente d'un lit en CHSLD ou en réadaptation restent à l'hôpital, ce qui empêche ceux des urgences de monter à l'étage et, partant, aux nouveaux patients de prendre leur place.

La Dre Michèle de Guise, conseillère à la direction des services professionnels pour la gestion des épisodes de soins, évoque aussi l'absence de maisons de soins palliatifs, les problèmes de santé plus complexes de la population vieillissante et le fait que les cliniques sans rendez-vous ou de médecine familiale doivent encore être bonifiées.

Actuellement, le CHUM se félicite du fait que les patients prioritaires - dans le jargon, les P1, P2 et P3 - sont vus à l'intérieur des normes établies, tandis que les P4 et P5 - les gens qui ont une infection des voies respiratoires et de la fièvre, par exemple - attendent plus longtemps que les délais prescrits (donnée qu'on a refusé de nous transmettre).

Le CHUM espère que l'ouverture, le 11 avril, d'une clinique d'hospitalisation brève - capable d'accueillir 12 patients qui seraient autrement restés sur une civière dans un couloir - aidera les choses.

S'il y avait plus de médecins aux urgences, cela n'aiderait-il pas? Ce qu'il faut surtout, dit Esther Leclerc, directrice générale adjointe aux affaires cliniques, «c'est que le bon patient soit au bon endroit» dans le réseau, et qu'il n'ait pas le réflexe de venir aux urgences quand il pourrait faire autrement.