Depuis 25 ans, c'est dans le domaine des cancers pédiatriques que la science a fait des bonds de géant. Deux fois moins d'enfants meurent de cancers qu'en 1985. Mais ce matin, à Sainte-Justine, ces statistiques réjouissantes ne veulent rien dire.

«Je suis encore heurtée, désolée. J'ai perdu une patiente, cette nuit», dit la Dre Caroline Laverdière, hémato-oncologue, en m'accueillant dans son bureau.

Ça n'arrive pas souvent. Plus de 82% des petits cancéreux survivent après cinq ans. La moyenne, tous âges confondus: 62%. «On n'en perd pas tous les jours, ajoute la Dre Laverdière. Mais on ne s'y fait jamais. On pleure tous dans nos bureaux.»

Dans son petit bureau, elle me fait le portrait de cette petite révolution, en cancers pédiatriques. D'abord, ce qui aide cliniciens et chercheurs, c'est qu'il y a moins de formes de cancer chez les enfants. Ensuite, les grands centres d'onco-pédiatrie nord-américains ont regroupé leur expertise au sein du Children Oncology Group (COG).

«De Québec à Los Angeles, on applique les mêmes protocoles de traitement. Aux trois ou quatre ans, on évalue les données. On voit ce qui marche, ce qui ne marche pas. On modifie les traitements au gré des découvertes. C'est ce qui fait que la courbe de survie monte.»

Mais le Dr Michel Duval, chef d'hémato-oncologie de Sainte-Justine, voit des nuages dans ce paysage ensoleillé: «On devrait être 19. Nous sommes 12. Pour les quatre centres du Québec, nous devrions être 39 oncologues, selon les normes canadiennes. Nous n'avons pas la moitié de ça.»

Résultat: les oncologues qui oeuvrent auprès des petits québécois cancéreux sont débordés. Il faut traiter les patients, tout en faisant de la recherche. Car le Children Oncology Group n'est pas un bar ouvert. Pour puiser dans l'expertise nord-américaine, il faut y contribuer selon des normes précises. Sinon, on risque l'expulsion. C'est ce qui est arrivé, brièvement, à l'Hôpital de Montréal pour enfants.

«C'est partout pareil, ajoute le Dr Duval, on assure les traitements cliniques, mais nous avons de la difficulté à améliorer les traitements futurs. On n'a pas le temps de le faire.»

Une bonne partie du fonctionnement de l'unité oncologique de Sainte-Justine est assurée par le financement de Leucan. Un financement crucial: «Si Leucan fermait, nous perdrions notre expertise. Nous ne serions plus un réseau de pointe, on perdrait ce lien avec le Children Oncology Group et nous donnerions des traitements vieux de cinq ans.»

Au milieu de ces défis bureaucratiques et scientifiques, il y en a un autre: rester humain. Le cancer d'un enfant n'est pas un cancer ordinaire.

Michel Duval: «Il y a un investissement émotionnel. Ce matin, je tenais un grand monsieur de 35 ans dans mes bras. Pourquoi je l'ai pris dans mes bras? Il était en détresse. Il venait de perdre sa fille...»

Caroline Laverdière: «Les gens s'attendent à ça.»