D'autres provinces, comme la Colombie-Britannique et l'Ontario, ont rejeté depuis longtemps la désorganisation qui caractérise la lutte contre le cancer au Québec.

Dans ces deux provinces, pas d'improvisation. En Colombie-Britannique, par exemple, si deux femmes ont le même cancer du sein à Vancouver ou à Prince George, séparés de 700 kilomètres, elles auront droit au même traitement chimiothérapique.

«Ces protocoles, me dit David Levy, président de la British Columbia Cancer Agency, sont constamment mis à jour. Il n'y a pas d'improvisation.»

La BCCA fait aussi une mise à jour constante de l'efficacité des médicaments payés par la province. Rien de comparable au Québec, selon le Dr Denis Soulières, hémato-oncologue au CHUM, admirateur impénitent du modèle de la Colombie-Britannique.

«Prenez l'Herceptin, utilisé contre le traitement du cancer du sein, dit-il dans son bureau vieillot du pavillon Notre-Dame. On s'est battus pour l'imposer, pour que Québec le paie. Mais a-t-on amélioré l'issue finale du traitement?»

Avec son index et son pouce, le Dr Soulières fait un zéro.

«Que dalle. On ne le sait pas. En l'absence d'une agence centralisée, comme la BCCA, c'est dur de répertorier les cas et d'évaluer la valeur des traitements.»

Au Québec, la lutte contre le cancer se décide en vases clos. D'un hôpital et d'un oncologue à l'autre, c'est le règne des silos. Pas de registre des cancers. Pas de leader qui permettre de coordonner les soldats et les ressources, sur le terrain.

Et pas de normes non plus. Pour les chirurgies, chaque hôpital, comme le CHUM, tolère des délais de chirurgie qui font sursauter les médecins. Ça arrange les bureaucrates: pas de normes, pas de dépassements...

«Il n'y a pas d'imputabilité», rage l'oncologue à la retraite Pierre Audet-Lapointe. Philippe Sauthier , oncologue au CHUM: «On n'impose rien. Alors on ne se fait pas prendre!»

Pour Denis Soulières la désorganisation des forces québécoises face au cancer sert bien les politiciens. «À cause du politique, le patient a droit à un traitement près de chez lui. Pourquoi? Parce que le trois-quart des élus d'un parti veulent que l'hôpital de leur comté continue à tout traiter! C'est pas vendeur s'il faut dire que l'hôpital X ne fera plus d'oncologie.»

Il y a des études claires, dit Denis Soulières (et David Levy de la BCCA m'a affirmé la même chose), qui montrent pourtant que l'oncologue ou le chirurgien qui traite beaucoup de patients cancéreux est meilleur que celui qui en traite moins. Traduction: il faut concentrer les soins, pas les disperser.

«Dans les années 1950, le duplessisme guidait la construction de routes. On fait la même chose, aujourd'hui, avec les hôpitaux», croit Denis Soulières.