Il y a eu quelques témoins chez les députés. À la fin du mois de janvier, Raymond Bachand s'est inquiété à voix haute du manque d'intérêt à l'égard de la course à la direction du Parti libéral du Québec (PLQ): «Il faudrait que je me chicane avec Couillard!»

Quelques heures plus tard, coïncidence, les deux pugilistes ont jeté les gants et, d'un air convenu, se toisaient sur la glace. Bachand a accusé Couillard d'avoir tenté de dégommer un Jean Charest minoritaire, en 2007. Couillard a exigé des excuses qui ne sont jamais venues. Le temps de quelques manchettes, la course libérale a capté un peu d'attention.

Après cinq débats et des assemblées de choix de délégués qui ont duré plus d'un mois, l'issue de la course à la succession de Jean Charest a suscité un intérêt bien relatif. À la onzième heure, l'hypothèse d'une alliance entre Raymond Bachand et Pierre Moreau, dans un bien éventuel second tour de scrutin, a pu réveiller les observateurs. Pourtant, les jeux sont faits et, à moins d'une tempête de neige aussi importante qu'improbable, Philippe Couillard sera couronné chef libéral demain.

Unanimes, les sondages indiquent qu'il reste la «meilleure carte» du PLQ pour battre Pauline Marois. À la fin du mois de février, même ses adversaires lui concédaient 45% des délégués (son clan s'en attribuait 55%). Depuis le 1er mars, l'ancien ministre de la Santé a accru son avance et obtenu plus des deux tiers des délégués des 24 circonscriptions qui ont tenu leur assemblée, selon une compilation faite par La Presse. Raymond Bachand, en deuxième position, a fait des appels du pied à Pierre Moreau, mais ce dernier compte bien voir quel score fera finalement Philippe Couillard avant de se commettre. Il est bien délicat de se ranger dans le camp des ennemis de celui qui sera couronné.

Cette course à «délégués», plutôt qu'au suffrage universel des membres, sera assurément la dernière. Tous les partis peinent désormais à mobiliser les troupes pour des assemblées. Celles du PLQ étaient souvent clairsemées, et surtout âgées. Après 15 ans, Jean Charest a laissé un parti mal en point. Même à Montréal, les présidents régionaux sont recrutés parmi les employés des bureaux de députés. Dans Abitibi-Ouest, on a trouvé seulement 11 délégués pour le congrès sur une possibilité de 24. C'était la même chose dans Sainte-Marie-Saint-Jacques. Sur un potentiel de 3000 délégués, le PLQ en a élu 2636. Il y avait une possibilité de 1000 jeunes délégués, 710 ont été élus. Dans les 75 circonscriptions qui n'ont pas élu un libéral le 4 septembre, on a trouvé en moyenne que quatre jeunes sur une possibilité de huit.

En matière de financement, les trésors de guerre illustrent aussi l'avance de Philippe Couillard. Hier, il avait 439 000$ en poche, Raymond Bachand, 351 000$, et Pierre Moreau, 176 000$. Le camp Moreau a fébrilement passé le chapeau dans les derniers jours, des avocats de Montréal ont été sollicités pour trouver, d'urgence, 30 000$ supplémentaires. Pour Raymond Bachand, à la fin du mois de février, le manque d'engouement a forcé l'annulation d'un cocktail de financement.

Ces disparités paraîtront aujourd'hui. Philippe Couillard paie la bière aux délégués dans des suites au Delta, rue Saint-Jacques, tandis que Raymond Bachand offre un cocktail dans un resto près de l'auditorium de Verdun. Pierre Moreau, plus discret, réunit ses partisans dans un restaurant sportif du centre-ville. Bien des délégués ne viendront que demain, le temps d'un vote. On craint déjà les images des bulletins d'information ce soir: quelques centaines de délégués semblant perdus dans un aréna pour la soirée hommage à Jean Charest.

Dans la famille libérale, la course laissera des traces. Celle de 1983 avait scellé une haine fratricide entre les clans de Daniel Johnson et de Pierre Paradis, une rancoeur qui a condamné le baron de Brome à l'arrière-ban, même sous le règne de Jean Charest. Paradis avait fini deuxième contre toute attente - loin en avance, Robert Bourassa lui avait envoyé des délégués pour refroidir l'ambitieux Johnson.

Raymond Bachand a clairement joué son va-tout. Il partira aux prochaines élections et, comme il n'avait rien à perdre, il a été le plus agressif à l'endroit du futur chef. Mais, bien qu'embarrassantes, les relations entre Philippe Couillard et le Dr Arthur Porter n'ont pas percé la cuirasse du «bon docteur» Couillard.

Sur le terrain, les camps de Raymond Bachand et de Pierre Moreau se sont ligués à quelques reprises pour battre les slates de leur adversaire. Plusieurs accrochages ont eu lieu, cependant. Dans Mont-Royal, irrité devant une défaite inattendue - le député Pierre Arcand était un allié -, le camp Moreau a bêtement tenté de destituer une déléguée pro-Bachand, la femme de l'ex-premier ministre Robert Bourassa. Dans Mercier, le camp de Couillard a empêché la fille de Raymond Bachand de devenir déléguée. Le même sort attendait son fils dans Notre-Dame-de-Grâce, même si l'ex-ministre des Finances s'est rendu à la réunion des militants. Dans Bourassa-Sauvé, circonscription acquise à Raymond Bachand, la démissionnaire Line Beauchamp a fait grincer des dents en se présentant à l'assemblée pour cabaler en faveur de Philippe Couillard, un appui inattendu, car ce dernier avait vite passé par-dessus bord le fils de son ex-conjoint, l'organisateur Alexandre Bibeau, dès que son nom avait été cité à la commission Charbonneau.

Pierre Moreau, qui compte faire une longue carrière politique, a lancé un pavé dans la mare en déclarant, dès décembre, que la population aurait des doutes quant à l'intégrité de ses deux adversaires - l'un proche du Dr Porter, l'autre associé au Fonds de solidarité FTQ. Il s'est fait plus prudent dans les dernières semaines. Surtout que la course lui a permis de se distinguer comme un papabile éventuel. Habile politicien, c'est lui qui a marqué le plus de points dans les débats entre les aspirants. Avec le départ de Raymond Bachand, fin stratège, il deviendra un incontournable pour Philippe Couillard.