Le gouvernement Marois avait renoncé à l'application de la loi 101 pour l'admission aux cégeps anglophones et consenti à ne pas modifier les dispositions sur l'affichage, en dépit des pressions de groupes plus nationalistes. On a même mis de côté le dossier des écoles passerelles, qui fera l'objet d'un projet de loi distinct - qui ne sera pas adopté de sitôt. Autant de concessions rapides qui visaient à obtenir l'appui de la Coalition avenir Québec (CAQ).

À la veille de la commission parlementaire sur le projet de loi 14, Québec a aussi stratégiquement changé la direction de l'Office québécois de la langue française et rendu public un rapport constatant le manque de transparence des inspections de cet organisme, ridiculisées sur la place publique.

La ministre Diane De Courcy se retrouve ce matin en commission parlementaire avec une autre liste de demandes du parti de François Legault. Elle soulignera peut-être qu'il aurait mieux valu attendre les commentaires des 85 groupes qui comparaîtront sur le projet de loi 14 au cours des cinq prochaines semaines. Mais il faut prévoir que le gouvernement devra laisser tomber quelques propositions «irritantes» s'il espère faire adopter son projet de loi.

Compromis

Des sources fiables indiquent que Québec ne tiendra pas mordicus aux dispositions qui retireraient aux élèves des bases militaires l'accès au réseau scolaire anglophone. Susceptibles de déménager ailleurs au pays, ces élèves avaient obtenu une exception dans la loi 101 adoptée par le gouvernement de René Lévesque. On pourrait même mettre de côté les dispositions qui permettraient au gouvernement de retirer le statut de ville bilingue aux municipalités qui le détiennent. Ces deux questions faisaient partie de la liste de changements exigés par la CAQ la semaine dernière.

Une collision est toutefois à prévoir. La CAQ réclame que le gouvernement renonce aux dispositions qui forceraient la francisation des entreprises de 26 à 49 employés - des tracasseries administratives inutiles. Il faut d'abord accompagner les entreprises avec des mesures volontaires avant de passer à la coercition. Le gouvernement Marois ne voudra pas reculer sur ce point, puisqu'il a en poche un avis du Conseil supérieur de la langue, qui a proposé la semaine dernière que ces mêmes entreprises «soient soumises à une démarche de francisation obligatoire».

Yves Thomas Dorval, du Conseil du patronat, qui témoignera aujourd'hui, y va sans détour. «On avait déjà une paix linguistique, pourquoi mettre le trouble là-dedans? Il y a déjà des problèmes d'interprétation avec la loi actuelle, on ajoute de la lourdeur administrative pour les entreprises de 26 à 49 employés», observe-t-il. En outre, les employeurs auront à «justifier dans le détail à des fonctionnaires leurs besoins de bilinguisme pour certains postes, c'est exagéré. En plus, cela sera revu aux trois ans!», lance-t-il. «Les études ne montrent pas qu'on s'anglicise, mais illustrent l'augmentation du bilinguisme. Or, c'est la tendance partout dans le monde.»

À l'autre bout du spectre, Mario Beaulieu, du Mouvement Québec français (MQF), juge que le projet de loi ne va pas assez loin. «On a de sérieuses réserves, il y a des choses intéressantes, mais, selon nous, ce n'est pas suffisant pour modifier la tendance actuelle et préserver l'avenir du français.»

À son avis, Québec devrait «aller beaucoup plus loin pour "débillinguiser" les services gouvernementaux». Ainsi, le MQF est favorable à ce que le gouvernement puisse retirer le statut de ville bilingue à celles qui ne le sont plus réellement. Présent à la commission parlementaire aujourd'hui, le maire de Mont-Royal, Philippe Roy, proposera à l'inverse que le gouvernement renonce au droit de retirer le statut bilingue d'une ville. «Ce devrait être aux municipalités de décider», tranche-t-il. Dans sa ville, où les anglophones forment de 30 à 40% de la population, «il n'y a aucune pression pour revoir le statut bilingue. Le projet de loi crée un débat où il n'y en a pas, personne ne veut raviver de possibles tensions linguistiques».