Chaque semaine, Nathalie Collard rencontre un acteur de l'actualité et lui pose 10 questions liées à la couverture dont il a été l'objet. La 11e question vient du public. Cette semaine, notre journaliste s'entretient avec Véronique Hivon, ministre déléguée aux Services sociaux et à la Protection de la jeunesse qui, cette semaine, a rendu public le rapport du comité d'experts sur la mise en oeuvre juridique des recommandations de la Commission sur la question de mourir dans la dignité.

1 Pouvez-vous nous dire quelle est la différence entre «aide médicale à mourir», «suicide assisté» et «euthanasie» ?

L'aide médicale à mourir est le concept qui est ressorti des travaux de la commission de l'Assemblée nationale. Il reflète l'importance du contexte médical et fait également référence au fait que la demande vient expressément de la personne. L'idée est que l'aide médicale à mourir se situe dans un continuum de soins en fin de vie, c'est en quelque sorte le soin ultime qui peut être donné à quelqu'un. Le suicide assisté est un geste beaucoup plus isolé qui ne présuppose pas le contexte médical, au même titre que l'euthanasie. Pour le suicide assisté, c'est la personne qui procède à l'acte alors que pour l'euthanasie, c'est une tierce personne qui pose l'acte.

2 On vous a reproché de jouer sur les mots et d'éviter l'emploi du mot «euthanasie», peut-être pour ne pas effrayer les gens. Que répondez-vous?

La commission de l'Assemblée nationale s'était donné comme mission de faire de la pédagogie et c'est pour cette raison que les deux rapports font le tour de tous les concepts, y compris celui d'euthanasie. À la différence de l'euthanasie, l'aide médicale à mourir est très balisée et se déroule dans un contexte médical.

3 Une personne qui demande une aide médicale pour mourir pourrait prendre une décision différente si elle avait accès à des soins palliatifs de grande qualité. Comment s'assurer qu'elle ne choisisse pas cette option par dépit, à défaut de meilleurs soins?

La réflexion en cours porte sur l'accompagnement de la personne en fin de vie en considérant deux éléments: le développement et l'accès aux soins palliatifs ainsi que l'aide médicale à mourir pour des cas exceptionnels, lorsque même les meilleurs soins ne peuvent endiguer les souffrances de la personne. Jamais une personne ne devra demander une aide médicale à mourir parce qu'elle n'a pas accès à de bons soins. Ce n'est pas quelque chose qui vient se substituer aux soins palliatifs - ce serait vraiment triste -, mais plutôt un complément de l'offre de soins en fin de vie, une mesure exceptionnelle pour des cas exceptionnels. On est d'ailleurs en train de faire l'inventaire de ce qui s'offre en matière de soins palliatifs afin de documenter les lacunes et les disparités et voir où on doit agir.

4 Dans les hôpitaux québécois, certains médecins acceptent déjà d'aider des personnes à mourir. Qu'est-ce qu'une loi changerait?

Elle protégera davantage les personnes vulnérables. Il reste une confusion entre l'aide à mourir comme telle et l'augmentation des doses de morphine, par exemple. Ce n'est pas la même chose. Un des objectifs de la loi est de clarifier et de baliser ces choses-là afin de protéger les personnes vulnérables.

5 Dans l'éventualité de l'adoption d'une loi, il reste l'obstacle du fédéral. Comment le contourner?

Le rapport Ménard est venu confirmer la marge de manoeuvre du Québec dans le domaine, compte tenu de ses compétences en santé, en matière de lois professionnelles et d'administration de la justice. L'encadrement en matière de santé est de compétence québécoise, on est donc sur notre terrain au Québec pour ce qui est d'encadrer les soins en fin de vie et nous sommes très confiants quant à nos assises juridiques.

6 Avons-nous collectivement les moyens d'offrir des soins palliatifs de qualité à tous les Québécois?

Contrairement à certaines croyances, ce ne sont pas des soins qui coûtent les yeux de la tête. L'accompagnement et le soulagement de la douleur ne sont pas des soins d'une grande complexité. Le grand défi, c'est qu'ils puissent être disponibles et que l'offre soit diversifiée. On veut privilégier les soins à domicile qui sont moins chers que les soins en institution. Avec le vieillissement de la population et le fait que nous vivons plus longtemps, il est important de faire le point et de développer les soins correctement.

7 Que prévoyez-vous dans le cas de gens qui souhaitent qu'on les aide à mourir, qui sont en train de perdre leur lucidité et qui n'ont pas écrit leurs volontés?

C'est un élément auquel je réfléchis toujours et que je prends très au sérieux. La Commission en est venue à la conclusion qu'il fallait un éclairage plus approfondi pour ces cas (démence, alzheimer, etc.). C'est complexe. Un comité d'experts - médecins, éthiciens, avocats - va se pencher sur la question.

8 Que faire devant un enfant ou un adolescent qui souffre terriblement et qui est condamné à mourir? Est-ce que le parent peut prendre une décision à sa place?

Tous les détails seront connus quand un projet de loi sera déposé. À ce jour, toutes les orientations ne sont pas arrêtées, mais l'élément au coeur de la réflexion, c'est le consentement personnel. La Commission avait recommandé de ne pas ouvrir la porte pour les mineurs, car ils n'ont pas l'âge de décider. Évidemment, une réflexion peut être faite, mais c'est une question très délicate.

9 Pourquoi ne pas inclure les gens atteints d'une maladie incurable?

Les critères n'excluent pas les malades incurables, mais il doit s'agir d'une maladie incurable grave. Il faut que les souffrances ne puissent pas être apaisées, qu'il y ait une déchéance de la maladie, et que la mort soit incontournable à relativement brève échéance. Cela n'exclut ni la maladie dégénérative ni le cancer.

10 En quoi votre perception de ces questions a-t-elle changé depuis que vous travaillez sur ce dossier?

J'ai vu à quel point c'est d'une grande complexité. Quand j'ai déposé la motion pour créer la Commission, je voulais que le débat se fasse au sein de la population, de la manière la plus sereine possible, plutôt que ce soit les tribunaux qui viennent nous dicter la ligne de conduite. Je me disais qu'on avait cette maturité-là au Québec. Le défi était de trouver le consensus. Or, les réactions aux deux rapports m'ont démontré que le consensus était plus présent qu'on avait pu l'anticiper. Comme gouvernement, il faut en prendre acte et ne pas être en retard sur la société.

TWITTER "1 David Lussier (@LussiD sur Twitter)

Pourquoi ne pas favoriser #VivreDansLaDignité plutôt que #mourirdansladignité?

Un n'exclut pas l'autre. On a raison de dire qu'il y a encore beaucoup de travail à faire pour vivre dans la dignité, mais la question de mourir dans la dignité n'empêche pas de travailler sur d'autres fronts. Je ne vois pas au nom de quel principe on refuserait à une personne souffrante d'avoir une fin de vie conforme à ses valeurs.