La construction de l'amphithéâtre de Laval, appelé Place Bell, devait coûter 92,6 millions, mais les récentes estimations l'établissent plutôt à 150 millions, dont près de 80 millions proviendront des goussets des contribuables lavallois. Le ministre des Affaires municipales, Sylvain Gaudreault, se dit inquiet de la situation et a demandé à des vérificateurs externes de faire enquête. Leur rapport est attendu la semaine prochaine.

Le ministre des Affaires municipales, Sylvain Gaudreault, estime qu'«il y a urgence d'agir» et qu'il est «en droit de se questionner» à propos du projet d'amphithéâtre à Laval. En joignant le geste à la parole, il a demandé à ses vérificateurs de se pencher immédiatement sur ce projet.

«Nous devons regarder la conformité des actions posées par la Ville, justifie-t-il. C'est ma responsabilité de m'assurer que l'argent des contribuables est bien utilisé.»

En entrevue à La Presse hier, le ministre a servi un avertissement à peine voilé à l'administration du maire Alexandre Duplessis après avoir pris connaissance de l'explosion des coûts de construction de la future Place Bell.

La facture se chiffre désormais à près de 150 millions, et non 120 millions comme l'assurait pourtant encore Alexandre Duplessis il y a quelques jours. Cette somme inclut les demandes supplémentaires du gestionnaire de l'amphithéâtre, evenko, en l'occurrence une vingtaine de loges de plus.

Il s'agit d'une «bonne nouvelle pour les Lavallois», estime pourtant le nouveau maire. Mais le ministre Gaudreault lui rappelle que depuis qu'il a été nommé ministre, il n'a jamais hésité à prendre son téléphone et à «corriger» ce qui devait l'être. Le maire de Montréal l'a constaté cette semaine à la suite de la controverse sur la suppression, par son DG Guy Hébert, de certains mécanismes anticorruption.

Le projet a peu à voir avec celui annoncé en 2009. L'amphithéâtre a récemment changé d'emplacement et la part assumée par les contribuables lavallois a bondi de 30 millions à 74 millions en trois ans.

Le droit de se questionner

«Les citoyens de Laval sont en droit de se questionner, de remettre le projet en question et d'avoir des réponses à leurs questions, insiste le ministre. De mon côté, j'ai demandé que nos deux vérificateurs qui sont à Laval depuis trois semaines regardent attentivement tout ce qui entoure le projet. Et je ne me gêne pas pour leur dire de faire le maximum. J'ai déjà eu quelques réponses, j'attends un rapport de leur part la semaine prochaine.»

La confusion la plus totale règne aussi lorsqu'on cherche à savoir qui paiera quoi entre la Ville et evenko. Alexandre Duplessis a affirmé hier à La Presse que «le projet a toujours été le même projet et que dans le montage financier, la bonification d'evenko vient en deçà de la construction. Les 120 millions sont vraiment pour bâtir l'infrastructure». Or, sur le site web de sa Ville, il est écrit que la somme de 120 millions inclut la «participation du gouvernement du Québec via les programmes existants, de partenaires privés et de la Ville de Laval».

Le ministre en prend acte, mais avertit déjà qu'il est «hors de question que la part du Québec augmente au-delà des 46 millions prévus».

Qu'adviendra-t-il si le rapport de ses vérificateurs est dévastateur? Est-il prêt à interrompre tout le processus et forcer le retour à la case départ? Le ministre reste prudent dans sa réponse à une question jugée encore «hypothétique» tant qu'il n'a pas toutes les données sur son bureau.

«Oui, je peux faire des choses... Mais il va falloir que l'on regarde les conditions du contrat à cet égard et le protocole de subvention.»

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Près de 80 millions à l'abri des regards

Pour construire la Place Bell, Laval a versé près de 80 millions à un organisme créé en 2009 et sur lequel les contribuables n'ont aucun droit de regard. La situation contrarie le ministre des Affaires municipales.

La Cité de la culture et du sport de Laval, dont le conseil d'administration ne compte aucun élu, n'est en effet pas assujettie à la Loi sur l'accès à l'information et n'a jamais divulgué ses états financiers.

«On les a demandés, on nous les a toujours refusés, précise David De Cotis, porte-parole du Mouvement lavallois, parti de l'opposition. On ne sait même pas combien ils ont reçu exactement. Ils ont carte blanche pour jouer avec notre argent.»

Le plus inquiétant, ajoute-t-il, c'est qu'on n'a jamais eu copie de l'entente liant l'organisme à but non lucratif (OBNL) à ses partenaires privés Bell et evenko. Pour Robert Bordeleau, chef du Parti au service du citoyen et candidat à la mairie depuis 2006, la Cité a été créée «pour cacher l'argent des contribuables, empêcher toute forme de reddition de comptes».

Il s'agit d'une formule «particulièrement appréciée de l'ex-maire [Gilles] Vaillancourt», précise M. Bordeleau, qui cite notamment l'exemple des Services animaliers de Laval, autre OBNL créé par la Ville. Il évalue qu'en plus des 73,6 millions accordés à la Cité de la culture et du sport cette semaine, «entre 5 et 6 millions» lui ont déjà été versés depuis 2009. Cette somme n'a pu être confirmée. On sait que 1,9 million de dollars ont été payés à la firme de génie-conseil CIMA + pour la préparation du premier terrain retenu.

Engagement de transparence

Le ministre des Affaires municipales, Sylvain Gaudreault, dit «être en train d'examiner si cet OBNL est redevable d'un point de vue municipal» et s'il est possible pour son ministère de «vérifier ses livres et demander des comptes», car cela n'est pas systématiquement possible lorsqu'il s'agit de ce type de structure.

Le nouveau maire de Laval, Alexandre Duplessis, assure qu'il n'y a pas lieu de s'inquiéter. «L'OBNL suit les mêmes règles que si c'était la municipalité. On a voulu aller chercher des compétences autres que des gens à l'interne. On est allés chercher des gens des sports, des spectacles. Infrastructure Québec est là depuis le jour 1.»

Le porte-parole de la Cité, Jean Gosselin, affirme que l'organisme s'est engagé à être transparent dès sa création. «Lorsque les documents seront disponibles, lorsqu'ils pourront être rendus publics, ils le seront. Ça inclut nos états financiers, et l'entente avec evenko qui n'est pas encore terminée. Ce n'est pas une question de cacher les choses: il faut prendre le temps de bien les faire.»

En ce qui concerne la gestion des fonds publics, il précise que c'est la Ville de Laval qui en assume la comptabilité, car l'OBNL n'a aucun employé. Son représentant est Me Pierre Lambert, de la firme

Dunton Rainville.

À demi-mot, le ministre Sylvain Gaudreault concède que son gouvernement aurait agi différemment, c'est-à-dire en suivant l'exemple de la Ville de Québec, qui pilote la construction de son amphithéâtre. «Mais la subvention est liée à un protocole signé par l'ancien gouvernement avant le déclenchement

des élections.»

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Québecor insiste pour avoir un nouvel appel d'offres

Après son emplacement qui déménage près du métro, voilà que l'amphithéâtre de Laval passe de 20 à 40 loges, comme l'a révélé La Presse jeudi. Un deuxième changement au projet depuis le choix d'evenko comme gestionnaire qui incite Québecor Média à continuer de demander un nouvel appel d'offres par l'entremise des tribunaux.

«Avec ce que nous avons lu [hier matin] sur les 20 nouvelles loges de l'amphithéâtre, nous sommes encore plus déterminés à aller de l'avant, car nous pensons que nos droits ont été bafoués. Ces 20 nouvelles loges font en sorte que l'amphithéâtre aura un plus grand potentiel de revenus», dit Martin Tremblay, vice-président des affaires publiques de Québecor Média, qui a perdu l'appel d'offres pour gérer l'amphithéâtre de Laval devant le duo Bell/evenko. Le 27 novembre dernier, Québecor Média a déposé une requête en Cour supérieure pour forcer la Cité de la culture et du sport de Laval à lancer un nouvel appel d'offres, cette fois-ci avec l'emplacement actuel près du métro Montmorency. La Ville de Laval a décidé, au cours d'une réunion extraordinaire du conseil municipal tenue le 12 octobre dernier, d'opter pour un terrain près du métro Montmorency au lieu de l'emplacement désigné dans l'appel d'offres de novembre 2011, le Carré Laval, dont le sol avait des problèmes de contamination et d'instabilité.

La Cour supérieure a rejeté la requête d'injonction interlocutoire qui aurait empêché Laval de signer le contrat de gestion avec evenko, mais le litige doit toujours être débattu sur le fond. «La décision de changer de site est significative, dit Martin Tremblay. Être à côté d'une station de métro est un avantage indéniable. Ce changement de site signifie que les entreprises intéressées auraient pu mettre plusieurs millions de plus, des sommes auxquelles les contribuables ont droit.»

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Novembre 2009

Le maire Gilles Vaillancourt remporte facilement les élections municipales lavalloises. Au cours de la campagne, il promet de doter sa ville d'un nouvel amphithéâtre à grande capacité.

2010-2011

Le projet accumule les retards. La fermeture de l'appel d'offres destiné à trouver un gestionnaire pour le projet est reportée à plusieurs reprises.

Juillet 2012

La Presse révèle qu'un rapport d'ingénieurs met la Ville de Laval en garde contre le niveau de contamination et l'instabilité du terrain prévu, une ancienne carrière très profonde et remblayée au moins en partie avec de la terre contaminée.

Octobre 2012

Laval confirme les informations de La Presse selon lesquelles la Place Bell sera finalement construite tout près de la station de métro Montmorency.

Novembre 2012

Québecor exige la réouverture de l'appel d'offres qui a fait d'evenko le gestionnaire de l'amphithéâtre. Le changement d'emplacement modifie considérablement le montant de la soumission qui aurait pu être déposée, soutient l'entreprise.

- Philippe Teisceira-Lessard