Le changement de gouvernement fait une victime collatérale au Bureau d'audiences publiques sur l'environnement (BAPE). Son patron, Pierre Renaud, a été congédié par le nouveau ministre du Développement durable, Daniel Breton.

«C'est un choc pour tout notre personnel, a réagi la porte-parole du BAPE, Diane Paquin. M. Renaud était compétent et intègre. Il faisait un travail remarquablement engagé pour le développement durable.»

Son mandat prenait fin le 8 octobre. En mai dernier, le gouvernement libéral avait renouvelé à l'avance son mandat pour cinq ans. Son deuxième mandat devait débuter aujourd'hui. Au conseil des ministres mercredi dernier, le gouvernement péquiste a abrogé ce décret. M. Renaud l'a appris par téléphone alors qu'il voyageait en Norvège. Il en a informé ses employés aujourd'hui avant de quitter définitivement.

M. Renaud n'a pas voulu répondre à nos questions. M. Breton n'était pas disponible non plus. Il se prépare à une rencontre des ministres de l'Environnement qui se déroulera dans les prochains jours à Lake Louise.

Conflit avec Breton

Alors qu'il militait dans son mouvement Maîtres chez nous - 21e siècle, M. Breton avait attaqué l'intégrité de M. Renaud.

Ancien avocat pour Hydro-Québec et pour le ministère de l'Environnement, M. Renaud a aussi déjà été vice-président de l'organisme Conservation de la nature de 2001 à 2007. Il avait été nommé à la tête du BAPE en 2007.

En 2010, le gouvernement Charest a donné au BAPE le mandat d'examiner les études sur le gaz de schiste. Conservation de la nature avait déjà reçu des dons de sociétés gazières et pétrolières. Un des membres du conseil d'administration était André Caillé, alors président d'Hydro-Québec, et promoteur du gaz de schiste durant l'étude du BAPE. Aux yeux de M. Breton, cela aurait discrédité la présence de M. Renaud au BAPE.

Il y a deux semaines, la nouvelle ministre des Ressources naturelles, Martine Ouellet, a mis en doute l'indépendance de l'étude environnementale stratégique sur le gaz de schiste. Elle souhaitait la confier au BAPE. Mais cette décision relève du ministre du Développement durable, et non des Ressources naturelles, ont rappelé les libéraux. M. Breton avait dit partager l'opinion de Mme Ouellet.

Le BAPE avait réagi. Sa porte-parole, Mme Paquin, avait rappelé que le mandat du BAPE ne lui permet pas de réaliser des études. L'organisme ne peut que colliger les données recueillies par des études.

Bonne nouvelle, disent les environnementalistes

Ce n'est pas une surprise, dit André Bélisle de l'Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique. «C'était un libéral notoire», dit l'environnementaliste, sans pouvoir donner d'exemple. «Quand il avait été nommé en 2007, on s'était dit: le gouvernement libéral l'a choisi parce qu'il est en train de perdre la bataille de Rabaska. Dans le dossier du gaz de schiste, M. Renaud nous avait aussi déçus», a-t-il ajouté.

Christian Simard de Nature Québec partage son opinion. «Le problème, selon nous, c'est plutôt la façon dont le gouvernement libéral avait renouvelé son mandat au printemps. On l'avait renouvelé plusieurs mois à l'avance, parce qu'on savait qu'une élection s'en venait.»

Il y aurait eu une «dérive» au BAPE dans les dernières années, soutient M. Simard. Il donne plusieurs exemples. «Le BAPE avait négocié lui-même la composition du comité de suivi de l'étude sur le gaz de schiste. Or, il aurait dû demeurer à l'écart, en tant que tribunal administratif. Pour les éoliennes, on avait conclu à l'avance des ententes avec les municipalités avant les études, le BAPE n'avait travaillé que pour la forme. M. Renaud avait aussi eu une rencontre privée avec des dirigeants d'Osisko avant que le BAPE ne siège sur leur projet à Malartic, et les audiences siégeaient pendant qu'on déménageait la ville. Bref, on sentait l'influence du gouvernement depuis plusieurs années», soutient-il.

Il ajoute que deux membres du BAPE, Michel Germain et le vice-président Pierre Fortin avaient déjà travaillé dans des cabinets politiques sous un gouvernement libéral.

Harvey Mead, qui était devenu en 2007 le premier Commissaire au développement durable du Québec, n'est pas déçu non plus. «Tant mieux», a-t-il réagi en apprenant la nouvelle. «Ça fait un bout que les nominations au BAPE nous semblent un peu politiques. J'avais été déçu à l'époque d'apprendre sa nomination. Ce n'était pas un scandale, mais il n'était certainement pas la meilleure personne pour faire ce boulot. Lors des quelques occasions où je l'avais rencontré, il me semblait confondre les intérêts des entreprises avec la protection de l'environnement», avance-t-il.

«Totalement faux», dit le BAPE

La porte-parole du BAPE a vivement dénoncé ces critiques. «C'est totalement faux», a lancé Mme Paquin. Au sujet des éoliennes, elle indique que les compagnies «avaient le droit de négocier avec les municipalités». Quant au dossier Malartic, M.Renaud avait rencontré les dirigeants de la minière Osisko pour s'assurer qu'ils puissent répondre aux demandes des audiences. Enfin, le BAPE a «conseillé» le gouvernement Charest pour vérifier les connaissances scientifiques du comité sur le gaz de schiste. «C'est tout, on n'a jamais rien exigé ou négocié», dit Mme Paquin.

La nouvelle critique libérale en matière d'Environnement, Yolande James, abonde dans le même sens. «Je suis préoccupée que M. Breton n'explique pas sa décision. On l'apprend par la bande, en cachette. Est-ce que c'est parce que c'est un règlement de compte ? La question se pose», dit-elle.

Elle ajoute que M. Renaud «a toujours respecté son devoir de neutralité».

Le gouvernement Marois n'a pas encore choisi le successeur de Pierre Renaud. M. Fortin assure l'intérim en attendant.