Arrivé en politique sur un nuage en 2003, parti cinq ans plus tard dans la controverse, Philippe Couillard a décidé de replonger dans ce milieu impitoyable malgré les blessures de son premier séjour. Masochiste, Philippe Couillard? Non, entêté, disent ses amis, ses collègues et ses détracteurs. Notre chroniqueur trace le portrait de l'ex-ministre de la Santé qui veut maintenant succéder à Jean Charest à la tête du Parti libéral du Québec.

Le 4 septembre, jour des élections, Philippe Couillard faisait ce qu'il aime le plus au monde: taquiner le saumon à la mouche dans une rivière isolée en Gaspésie, coupé du reste de la planète.

C'est par sa radio transistor qu'il a appris le résultat du scrutin, mais jamais à ce moment, affirme-t-il, ne pensait-il à un retour en politique.

«J'étais convaincu moi-même que je ne reviendrais jamais en politique, surtout que mon séjour de cinq ans à la Santé a été très dur», dit-il en entrevue à La Presse.

C'est en revenant dans la civilisation que Philippe Couillard a réalisé qu'il avait 150 messages d'appui sur son BlackBerry et que d'anciens conseillers étaient déjà à pied d'oeuvre pour monter une équipe de campagne pour la direction du Parti libéral.

Une fois les pieds au sec, tout s'est déroulé très vite. M. Couillard a d'abord discuté avec sa femme, Isabelle, «qui n'a pas aimé du tout le premier passage en politique». Ils ont convenu de plonger, sans toutefois sacrifier leurs précieux week-ends à Saint-Félicien, résidence principale des Couillard.

Puis, Philippe Couillard a fait son premier appel, à Jean Charest, qui ne prendra pas position dans cette course, mais qui lui a néanmoins dit être heureux de voir des candidats de qualité comme lui, comme Raymond Bachand et comme Pierre Moreau sur les rangs pour sa succession.

Au lancement officiel de la campagne Couillard, mercredi, ses organisateurs régionaux ont dit être «en contrôle» dans 90% des 75 circonscriptions orphelines et être en bonne posture dans bon nombre des 50 autres occupées par un député libéral.

Devant un tel engouement, l'Ours - surnom de Philippe Couillard au ministère de la Santé - ne pouvait faire autrement que de sortir de sa tanière pour réapparaître au grand jour malgré les «blessures» (il emploie lui-même ce mot) de son premier passage en politique.

C'est que malgré son surnom, Philippe Couillard n'a pas la couenne aussi dure qu'un Jean Charest et ce n'est certainement pas une bête politique à la Jean Chrétien. Derrière cette grande assurance qui est devenue la marque de commerce de M. Couillard se cache un homme très sensible aux attaques, vulnérable même, et doté d'une longue mémoire.

Pourquoi revenir, alors?

«Il est fasciné par le monde politique et je crois qu'il ne voulait pas laisser le souvenir de son départ controversé vers le privé», avance Jean-Pierre Dion, ancien proche conseiller de M. Couillard.

Ce passage au privé, négocié lorsqu'il était toujours ministre, constitue la principale tache à une feuille de route par ailleurs impressionnante.

«La manière [lorsqu'il a quitté la politique] n'était pas la plus élégante, j'en conviens, et le traitement médiatique m'a traumatisé! dit-il. Mais c'est de ma faute, je ne me suis pas expliqué à ce moment-là comme j'aurais dû le faire.»

Ce n'est pas le seul «traumatisme» médiatique et politique vécu par M. Couillard.

Le suicide, en 2003, du directeur général de la résidence Saint-Charles-Borromée, Léon Lafleur, mis en cause dans une affaire de mauvais traitements dans son établissement, a été l'un des moments les plus pénibles du ministre Couillard, disent ses ex-conseillers.

Lorsque l'ex-recteur de l'Université de Montréal Robert Lacroix et le sociologue Louis Maheu ont publié leur livre intitulé Le CHUM, une tragédie québécoise en 2010, la politique est revenue hanter M. Couillard.

«Je me suis levé un matin avec cette grosse manchette de La Presse dans la face: «Le CHUM: un gâchis signé Couillard». Je l'ai encore sur le coeur! Le jour où on inaugurera le CHUM, est-ce que La Presse va titrer: «Le CHUM: un succès signé Couillard»?»

La confiance du chirurgien

Alliés et détracteurs de Philippe Couillard s'entendent: il est très intelligent, curieux et cultivé, sûr de lui-même, à la limite de l'arrogance selon certains et extrêmement déterminé. Entêté même.

«Comme beaucoup de médecins, il a toujours raison, dit Jean-Pierre Dion. C'est un de ses défauts. Par contre, il a des idées très claires, il assimile très rapidement les nouveaux dossiers et si vous voulez débattre avec lui, vous avez intérêt à vous préparer!»

«Philippe a une grande confiance en lui et s'il pense qu'il a raison, il peut résister longtemps», ajoute l'ancienne ministre des Finances Monique Jérôme-Forget, qui a dû batailler ferme contre M. Couillard pour qu'il accepte la construction du CHUM en PPP.

Vers la fin de sa longue bataille pour construire le CHUM au centre-ville plutôt qu'à Outremont, il avait décidé de quitter le gouvernement si on infirmait sa décision, dit un proche.

Arrogant, Philippe Couillard?

À propos du système de santé, Philippe Couillard peut aussi bien parler du réseau québécois que de l'organisation de la «cité» chez les Grecs, d'un article dans The Economist ou d'une étude de l'Organisation mondiale de la santé. Par ailleurs, dans une conversation à bâtons rompus, il peut tout aussi facilement parler de vin, de littérature, d'opéra, citant Molière au passage ou prononçant une citation latine, parler de Churchill ou de Napoléon, deux de ses références préférées.

Cet étalage de culture impressionne, mais il indispose aussi bien des gens, qui trouvent que M. Couillard est hautain, arrogant et loin du vrai monde.

«Philippe en impose, c'est vrai, mais il n'est pas arrogant. C'est un homme sophistiqué qui est, en plus, très solitaire, précise Monique Jérôme-Forget. Il m'a souvent expliqué le plaisir solitaire de la pêche à la mouche, ce que, honnêtement, je n'ai jamais compris!»

Un vrai «bolé»

Philippe Couillard est ce qu'on appelle, en bon québécois, un «bolé». Admis en médecine à 16 ans, diplômé à 20 ans, neurochirurgien à 25 ans. Le cheminement universitaire ne fait pas foi de tout, mais celui-ci démontre une capacité intellectuelle et scientifique hors du commun.

Ses proches reconnaissent d'ailleurs que M. Couillard a un petit côté nerd. Lorsqu'il était ministre de la Santé, il lui arrivait souvent de jouer à Génies en herbe, le midi avec son personnel, les hommes contre les femmes. «On gagnait toujours grâce aux connaissances scientifiques de Philippe!», raconte un ancien attaché.

S'il suscite l'admiration de ses partisans, Philippe Couillard compte aussi quelques détracteurs tout aussi passionnés, notamment en raison de son opposition au projet du CHUM à Outremont.

«Moi, j'ai tourné la page, mais pas lui puisqu'il revient en politique, dit Robert Lacroix. Voici un homme qui voulait la place de Jean Charest, et il l'aura.»

Ses adversaires politiques reconnaissent un talent inné de communicateur à M. Couillard, un talent qui cache même ses échecs et ses fiascos, comme le ruineux projet d'informatisation des dossiers de santé, soulignent-ils.

«Sa prestance, sa verve et son titre de docteur lui donnent une crédibilité instantanée, mais il peut aussi être très cynique et vous dire avec assurance que tout va bien alors qu'il sait qu'un dossier est un désastre», note un adversaire politique.

Son arrivée sur la place publique, en 2002, lui a aussi valu de coriaces adversaires dans sa propre profession. Alors directeur du département de chirurgie de l'Université de Sherbrooke, M. Couillard avait publié une lettre ouverte dénonçant les moyens de pression des médecins spécialistes, s'en prenant ainsi à sa propre fédération.

Dans le monde médical québécois, certains croient que c'est par rancune que le ministre Couillard a fait adopter, en 2006, une loi spéciale pour mettre fin aux moyens de pression des médecins spécialistes.

À la blague, Philippe Couillard racontait parfois à son entourage qu'il faisait souvent le même cauchemar dans lequel les médecins spécialistes le laissaient mourir sur la table d'opération, raconte une source.

Il faudra ajouter l'humour grinçant à la liste des traits de caractère de cet ours solitaire et entêté qui est de retour sur la scène politique.

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Philippe Couillard en vrac

La taxe santé? Contre. «Ça ne marche pas, pas plus que les tickets modérateurs. Ça donne deux ou trois ans d'oxygène au réseau, mais après, elle est intégrée dans l'ensemble du budget de la Santé et il faut sans cesse l'augmenter. Les gens sont frustrés parce qu'ils paient plus, mais ne voient pas d'amélioration.»

Le gaz de schiste et le pétrole Pour. «Je ne ferais rien avant d'avoir des études complètes, mais plusieurs pays exploitent les gaz de schiste, il doit bien y avoir des moyens sécuritaires de le faire. Je n'aime pas qu'on me donne toutes les raisons pour ne pas faire quelque chose. Au Québec, on ne cherche pas de pétrole, d'un coup qu'on en trouverait!»

Hausse des droits de scolarité Pour. «Je suis à l'aise avec la dernière position du gouvernement Charest, qui présentait un équilibre entre la hausse des droits de scolarité et l'aide financière. Tout gel ne fait que retarder l'inévitable affrontement. Ça vaut pour l'université, pour les garderies, pour les tarifs d'Hydro-Québec, pour tout ce qui est tarifé.»

Les PPP Ni pour ni contre. «Ce n'est qu'un outil. C'est parfois positif. On verra bien avec les centres hospitaliers universitaires. Ça va coûter plus cher, mais l'échéancier sera respecté et l'entretien à long terme est garanti.»