Un gouvernement minoritaire «souple dans les moyens, ferme sur les objectifs». Pauline Marois a levé le voile, mercredi, sur son équipe ministérielle, un gouvernement qui comporte des changements de structure laissant prévoir bien des frictions et dans lequel des régions sont complètement oubliées.

Mme Marois a promis qu'elle comptait «forger des consensus». Son équipe sera souverainiste, mais «dans le contexte d'un gouvernement minoritaire». Son gouvernement visera d'abord à «protéger chaque parcelle de souveraineté déjà entre nos mains, et à en acquérir de nouvelles». «Nous avons la conviction que l'avenir du Québec est celui d'un pays souverain. Plus encore, il nous apparaît que de demeurer une province du Canada constitue un risque inacceptable pour le Québec», a-t-elle affirmé pendant la cérémonie, qui s'est tenue au Salon rouge de l'Assemblée nationale.

Un seul front avec Ottawa

Pour le moment, un seul front est ouvert avec Ottawa. Le responsable de la Culture, Maka Kotto, doit monter au créneau pour exiger tous les pouvoirs en matière de communications - une négociation laissée en plan par le gouvernement Charest. Par ailleurs, les souverainistes les plus pressés - les Jean-François Lisée, Bernard Drainville, notamment - ne toucheront pas aux manettes de la «gouvernance souverainiste», que Mme Marois conserve.

Avec 23 ministres, Pauline Marois a opté pour la modération dans la distribution des limousines; avec 15 hommes et 8 femmes, elle reflète la composition du caucus élu le 4 septembre. Comme prévu, le Dr Réjean Hébert devient ministre de la Santé; il sera appuyé par Me Véronique Hivon, ministre déléguée à la Santé publique - probablement une déception pour elle, que plusieurs voyaient tout de suite à la Justice. C'est plutôt Me Bertrand Saint-Arnaud qui obtient la Justice. L'ancien chef de cabinet de Louise Beaudoin s'est fait valoir comme critique à la Sécurité publique à l'Assemblée nationale.

Sur le front économique, Nicolas Marceau devient «super ministre», aux Finances et à l'Économie. Les changements de structures importants qui sont proposés rappellent parfois d'anciens débats. En rattachant les deux portefeuilles, on refait le superministère économique construit par Bernard Landry sous Lucien Bouchard, en 1996. Élaine Zakaïb, issue du Fonds de solidarité FTQ, devient responsable de la Politique industrielle, mais à titre de ministre déléguée seulement, sans pouvoir de signature.

Le ministère de l'Éducation est de nouveau scindé, comme avant 1994. L'ancien journaliste Pierre Duchesne obtient l'Enseignement supérieur, avec le mandat d'organiser le sommet promis par le PQ sur le financement des universités. Marie Malavoy s'occupera de l'éducation primaire et secondaire, ainsi que du sport.

Un débat des années Lévesque

Jean-François Lisée devient responsable des Relations internationales, mais obtient en plus la responsabilité du Commerce extérieur, qui était jusqu'à maintenant au Développement économique - un autre vieux débat qui remonte aux années Lévesque. Il sera aussi responsable de Montréal, à titre de président du comité ministériel de la métropole - il n'y a pas de ministère attitré pour Montréal.

M. Lisée devra aussi rétablir les ponts avec la communauté anglophone. Sa collègue Diane De Courcy, ex-présidente de la Commission scolaire de Montréal - modérée -, aura la responsabilité de la Charte de la langue française, qu'elle devra mener de front avec l'Immigration et les Communautés culturelles. Les deux seront proches des platebandes de Bernard Drainville, ministre responsable des Institutions démocratiques ainsi que des questions identitaires. L'ancien journaliste aura aussi à s'occuper de la Charte de la laïcité; instigateur du concept de «référendum d'initiative populaire», il aura à déposer un projet de loi rejeté d'avance par l'opposition.

Autre changement de structure: on confie au même ministre les importantes responsabilités des Affaires municipales et des Transports. Sylvain Gaudreault devra transformer Transports Québec en agence et proposer une politique plutôt verte en transport afin de «réduire la consommation de carburant et soutenir la construction de logements sociaux».

Pour l'Environnement, Mme Marois a choisi un spécialiste en énergie, Daniel Breton. Elle lui devait une fière chandelle: il avait annoncé sa candidature au plus fort de la tempête qui a mené à la contestation de son leadership. À l'Énergie, Mme Marois a choisi une environnementaliste, Martine Ouellet, d'Hydro-Québec.

Louis Roy, président de la CSN, a affirmé mercredi que le porteur d'un dossier sur le transport électrique pourrait s'adresser à quatre ministres pour faire avancer son projet. Des fidèles n'ont pas été oubliées: Nicole Léger revient à la Famille, mais surtout Agnès Maltais, seule élue de Québec, obtient le Travail et l'Emploi. Elles ont toujours appuyé Mme Marois, même aux pires heures de la crise de l'an dernier.

Le poids des régions a compté, mais inégalement. François Gendron, pour l'Abitibi, devient vice-premier ministre et responsable de l'Agriculture. Mme Marois a aussi pensé à la Gaspésie: Pascal Bérubé, de Matane, devient ministre délégué au Tourisme, et son collègue de Gaspé, Gaétan Lelièvre, devient ministre délégué aux Régions.

Le pouvoir s'est installé au Saguenay. Stéphane Bédard devient le principal lieutenant de Mme Marois avec le Conseil du Trésor, un poste névralgique avec les années d'austérité qui s'annoncent. Surprise, le caustique leader parlementaire conserve cette fonction, même si on avait promis un changement de ton à l'Assemblée nationale.

Sylvain Gaudreault obtient les Transports et les Affaires municipales. La région a aussi eu droit à un troisième ministre: le jeune constitutionnaliste Alexandre Cloutier devient ministre délégué aux Affaires intergouvernementales canadiennes. Modéré, il hérite également de la «gouvernance souverainiste», où il prendra directement ses commandes de Mme Marois. Elle conserve aussi le dossier de la Jeunesse, où elle sera appuyée par Léo Bureau-Blouin, en tant qu'adjoint parlementaire.

La Montérégie aussi

La Montérégie n'est pas en reste: Stéphane Bergeron devient ministre de la Sécurité publique, et avec les Drainville, Duchesne, Ouellet, Malavoy, Zakaïb et Saint-Arnaud, la région obtient sept représentants à des postes importants.

Mais la région de Trois-Rivières est passée sous la table. «La Mauricie est furieuse», a lancé Noëlla Champagne, députée de Champlain, en évoquant les nombreux appels reçus à son bureau de circonscription.

On ne trouve pas plus de ministre sur la Côte-Nord. Marjolain Dufour, député de René-Lévesque, siégera au Conseil, mais à titre de président du caucus. Yves-François Blanchet, du Centre-du-Québec, y sera aussi, mais comme whip du gouvernement. Même chose pour Laval: Suzanne Proulx ne sera pas ministre, mais secrétaire parlementaire - une adjointe à la ministre De Courcy à l'Immigration.

Marois promet d'être intraitable sur l'intégrité

«Les Québécois ont choisi le changement, et ils ont choisi de le faire avec un gouvernement du Parti québécois. Sur plusieurs questions, un désaccord persiste, ce qui est tout à fait normal dans une démocratie», a souligné Mme Marois. Mais il y a un accord sur plusieurs autres enjeux, a-t-elle ajouté.

«Je veux voir 8 millions de personnes relever la tête, reprendre confiance et retrouver leur fierté commune d'appartenir à ce peuple», a-t-elle dit.

Son gouvernement aura quatre priorités: l'intégrité, la prospérité, l'identité et la solidarité. Elle a promis d'être «intraitable» sur les questions d'éthique. Elle s'attaquera rapidement à ce dossier, pour lequel elle aura l'appui de la Coalition avenir Québec. Les deux partis s'entendent notamment pour changer la loi sur les contrats dans l'industrie de la construction, pour imposer des élections à date fixe et pour plafonner les dons annuels aux partis politiques à 100$.

Pierre Duchesne à l'Éducation

Le ministère de l'Éducation a été scindé en deux: éducation primaire et secondaire, et éducation supérieure, science et recherche. C'est l'ex-journaliste Pierre Duchesne qui héritera de l'Éducation supérieure, un dossier délicat.

Mme Marois s'est engagée à annuler la hausse des droits de scolarité et à abroger la loi 12 par décret. La décision pourrait donc survenir très rapidement, mais la suite sera plus difficile. Le PQ s'est engagé à tenir dans les 100 jours un sommet sur le financement et la gestion des universités ainsi que sur l'endettement étudiant.

Mme Marois défendra l'indexation des droits de scolarité, alors que les fédérations étudiantes militent fermement pour le gel. Ce sommet serait composé à parts égales de représentants des étudiants, du gouvernement et de la «société civile», notamment de représentants des syndicats et du patronat.

Le député de Jonquière aux Transports

Surprise aux Transports, dont le ministre sera Sylvain Gaudreault, fidèle de Mme Marois et député de Jonquière. Il devra piloter des dossiers complexes qui touchent surtout la région de Montréal: la congestion routière ainsi que le prolongement du train de l'Est et de la ligne bleue du métro. Le PQ a déjà annoncé qu'il maintiendrait les budgets actuels mais qu'il allouerait une part plus importante aux transports en commun. Les travaux routiers jugés non critiques seraient par conséquents retardés.

De Courcy et la nouvelle Charte de la langue française

Un grand défi attend Diane De Courcy. Ex-présidente du Mouvement pour une école moderne et ouverte et de la Commission scolaire de Montréal, elle a été élue pour la première fois le 4 septembre. En plus de l'Immigration et des Communautés culturelles, elle sera responsable de la Charte de la langue française.  Le PQ a promis de déposer dans ses trois premiers mois au pouvoir un projet de loi pour une nouvelle Charte de la langue française. Il prévoit des mesures controversées, comme l'assujettissement des cégeps à la charte. L'opposition, qui est majoritaire, promet de s'y opposer. Le texte de loi s'annonce volumineux. L'opposition n'aurait pas de difficulté à le bloquer en commission parlementaire.

Le militant Daniel Breton à l'Environnement

Mme Marois a choisi un environnementaliste coloré comme ministre de l'Environnement et du Développement durable: Daniel Breton, ex-chef du Parti vert et cofondateur du groupe Maîtres chez nous 21e siècle. Il sera épaulé par un adjoint parlementaire, Scott Mackay, lui aussi ex-chef du Parti vert.

Le PQ a déjà promis de tenir ses nombreuses promesses en matière d'environnement. Selon des groupes écologistes, sa plateforme était la plus ambitieuse parmi les trois grands partis.

Ouellet et le défi des Ressources naturelles

Martine Ouellet, ingénieure, ex-chef des projets spéciaux à Hydro-Québec Production et porte-parole du groupe environnemental Eau secours, devient ministre des Ressources naturelles. Elle devra piloter plusieurs dossiers chauds, comme celui des redevances et de l'exploitation du pétrole en Gaspésie et au large des Îles-de-la-Madeleine, dans le gisement Old Harry.

Le PQ veut que les minières paient des redevances sur la valeur brute, et non sur la valeur nette. Un impôt additionnel serait aussi exigé sur le surprofit (rendement de plus de 8%). Des études financées par l'industrie minière dénoncent les périls d'une telle hausse. Les environnementalistes, eux, la réclament. Pendant ce temps, la voie est libre pour les minières, assujetties à une loi qui date des années 1880.

Autres dossiers délicat: la centrale nucléaire Gentilly-2 et le gaz de schiste. Le PQ a promis de déclasser puis de fermer la seule centrale nucléaire du Québec. La décision devra être prise d'ici à la fin de 2012, moment auquel le réacteur devra être mis en état d'arrêt, car il a atteint la fin de sa vie utile. Le PQ peut agir par décret, sans demander l'appui del'opposition.

Marceau à la tête de l'équipe économique

Il n'y a pas de surprise dans le ministère névralgique des Finances. Il sera occupé par l'économiste Nicolas Marceau, qui était critique des Finances dans l'opposition officielle. Âgé de 48 ans, M. Marceau est titulaire d'un doctorat en économie publique de l'Université Queen's. Avant de se joindre au Parti québécois, il a dirigé une équipe de quelque 40 chercheurs au Centre interuniversitaire sur le risque, les politiques économiques et l'emploi de l'UQAM.

Si le PQ tient sa promesse, il devra proposer l'équilibre budgétaire pour 2013-2014. Il devra toutefois freiner les dépenses, car un manque à gagner de 800 millions de dollars a depuis été découvert au ministère des Finances.

La recrue Élaine Zakaib devient ministre déléguée à la politique industrielle, un nouveau poste. Elle sera responsable du Développement économique et de la Banque de développement économique. La députée de Richelieu connaît ces questions, car elle a été présidente et directrice générale des Fonds régionaux de solidarité FTQ.

Drainville à la Réforme des institutions démocratiques

Bernard Drainville, qui a parfois eu des frictions avec Mme Marois, hérite d'un ministère sans portefeuille: la Réforme des institutions démocratiques. Il pilotera entre autres les dossiers du financement des partis politiques. Cela devrait se faire sans heurts, car la Coalition avenir Québec est d'accord avec le PQ pour plafonner à 100$ par année les dons individuels aux partis. Il gérera aussi entre autres les dossiers de l'accès à l'information et des référendums par initiative populaire. C'est en bonne partie sous son impulsion que le PQ a intégré à son programme ce type de consultation.

Mme Marois s'y opposait et était sortie de la salle lors du vote tenu par les militants. Le sujet a embarrassé Mme Marois durant la campagne électorale. M. Drainville sera aussi responsable d'un dossier très chaud, le projet de charte de la laïcité.

Pas d'ancien premier ministre dans la salle

L'ex-chef du Bloc québécois, Gilles Duceppe, et son successeur, Daniel Paillé, ont assisté à la cérémonie, de même que le maire de Québec, Régis Labeaume. Pas de trace toutefois des ex-premiers ministres péquistes Bernard Landry, Lucien Bouchard et Jacques Parizeau.