Jean Charest nie être intervenu pour que la Sûreté du Québec (SQ) cesse la filature de l'ancien dirigeant de la FTQ-Construction Eddy Brandone, un militant libéral que le premier ministre connaît depuis 20 ans.

L'équivalent d'un missile Scud a frappé la caravane libérale, mercredi, lorsque Radio-Canada a révélé que la SQ aurait abandonné la filature tout de suite après une discussion entre M. Brandone et le premier ministre, le 6 mars 2009.

«Jamais, jamais, jamais, je ne suis intervenu. Jamais», a lancé M. Charest aux journalistes, en soirée, avant de rencontrer des militants à Saint-Léonard-d'Aston. «Depuis que je suis premier ministre du Québec, je n'ai jamais été informé d'enquêtes policières, et je ne suis jamais intervenu dans des enquêtes policières.»

Visiblement furieux, le chef libéral a qualifié d' «épouvantable» le reportage de Radio-Canada. «On parle beaucoup d'éthique de politiciens. Je pense qu'on devrait parler d'éthique de journalistes de Radio-Canada», a-t-il affirmé. Il a notamment déploré les «insinuations» du reportage. «Comment se fait-il que ça sort aujourd'hui, après une semaine de campagne électorale, pour une affaire qui s'est passée en 2009?», s'est-il demandé.

Selon lui, le reportage est «insultant» pour la SQ, puisqu'il laisse croire qu'elle a mis fin à une opération en raison de la rencontre du 6 mars 2009. Est-ce que le corps de police vous protège?, lui a-t-on demandé. «Non», a-t-il répondu sèchement.

Jean Charest n'a pas de souvenirs précis de la conversation du 6 mars 2009. Le premier ministre ne pouvait expliquer la présence de M. Brandone, ce jour-là, dans un hôtel où il rencontrait des représentants des communautés inuites, en compagnie de ministres fédéraux et provinciaux.

Eddy Brandone aurait profité de la pause du midi pour s'approcher du premier ministre. Les deux hommes auraient échangé quelques mots pendant deux minutes, selon une source de Radio-Canada.

Dans l'après-midi qui a suivi cette rencontre, la SQ aurait reçu un «B/O» (black-out, dans le jargon policier), c'est-à-dire un ordre de mettre fin à la filature. Certains enquêteurs auraient trouvé «bizarre» et «inhabituel» qu'une opération soit ainsi interrompue. «De façon générale, il y a un principe non écrit de protection du gouvernement. Il ne faut pas laisser l'impression qu'une enquête criminelle s'approche du premier ministre», a dit un autre enquêteur.

Un des responsables de l'époque à la SQ a plutôt indiqué à La Presse que la filature avait été arrêtée parce que les enquêteurs avaient trouvé les informations qu'ils cherchaient. «Le bout avec le premier ministre n'avait pas rapport avec la transaction qu'on voulait établir cette journée-là», explique-t-il.

Des sources policières, très proches de l'enquête du printemps 2009, ont affirmé à La Presse que la filature d'Eddy Brandone visait à établir l'existence d'un vaste système de commissions secrètes dont auraient bénéficié certains dirigeants de la FTQ. Les policiers qui supervisaient l'enquête étaient Denis Morin et Sylvain Tremblay. Le premier est devenu patron de l'escouade Marteau, alors que le second est allé travailler avec Jacques Duchesneau lorsqu'il était responsable de l'Unité anticollusion, au ministère des Transports.

Les enquêteurs ont produit un dossier en bout de course, mais leurs constats n'ont pas passé la rampe au niveau des procureurs de la Couronne. Bien des enquêteurs étaient frustrés que leur travail reste lettre morte.

«Je savais que Jean était pour être là»

En 2010, un journaliste de Radio-Canada a confronté Eddy Brandone. Celui-ci a soutenu qu'il savait que «Jean» était à l'hôtel le 6 mars 2009. Il a ajouté qu'il était présent pour «faire du PR [relations publiques] avec les Indiens», afin de leur vendre des roulottes de chantier.

Une source a toutefois affirmé que M. Brandone n'était pas invité à la rencontre, et qu'il s'était présenté dans le seul but de croiser le premier ministre. Mardi, M. Brandone a tout simplement nié avoir rencontré Jean Charest à l'hôtel de Dorval, selon Radio-Canada.

Jean Charest connaît Eddy Brandone depuis 1993. Celui-ci avait contribué à sa campagne à la direction du Parti conservateur, au fédéral. En 2009, Eddy Brandone militait aux côtés de Tony Tomassi, ancien ministre libéral accusé de fraude. Il a confié à Radio-Canada être un ami de Johnny Bertolo, ancien membre de la mafia assassiné en 2005. Il a aussi affirmé connaître Raynald Desjardins, mafieux accusé de meurtre. Eddy Brandone n'a pas retourné nos appels.

La SQ a assuré qu'il n'y avait «pas eu d'intervention politique». «C'est une décision purement opérationnelle. [...] La SQ est complètement indépendante», a déclaré Guy Lapointe, lieutenant aux enquêtes criminelles. Il n'a pas voulu commenter davantage et a affirmé que la filature avait été faite dans le cadre d'un dossier qui se trouve devant la cour. Il s'agit des accusations de fraude portées contre Jocelyn Dupuis, ex-directeur général de la FTQ-Construction.

La FTQ-Construction et la FTQ ont affirmé qu'Eddy Brandone n'était plus en poste au moment des faits, et ont refusé de commenter.