François Hollande se dépeint comme un président «normal». Sous sa direction, les relations avec le gouvernement Charest auront la même prévisibilité; les ponts existent, mais les rapports sont plus naturels entre les socialistes et le Parti québécois (PQ). Pour Jean Charest, le verdict des Français, dimanche, est une mauvaise nouvelle. Analyse.

Il reste beaucoup à faire avant de signer une entente de libre-échange entre le Canada et l'Europe. Stephen Harper prévoit une conclusion en 2012, mais l'élection de Hollande et l'arrivée probable d'une majorité socialiste à l'Assemblée nationale risquent de freiner le processus. L'axe France-Allemagne, moteur derrière cet accord, est cassé: Angela Merkel avait appuyé Nicolas Sarkozy. Au surplus, devant les graves problèmes économiques de la France, les socialistes pencheront naturellement vers le protectionnisme. Une fois l'entente conclue avec l'Union européenne, les pays devront la ratifier. Les socialistes parlent de «juste échange» plutôt que de libéralisation du commerce.

Non-ingérence, non-indifférence

Au PQ, on pavoise. Le retour en force des socialistes donnera une nouvelle vie à l'attitude de «non-ingérence, non-indifférence» de la France à l'égard du projet souverainiste. Sarkozy avait dit publiquement que cette formule n'était «pas son truc». Et, au début de 2009, en décernant la Légion d'honneur à Jean Charest, il avait pris à partie les souverainistes québécois: «Croyez-vous que le monde, dans la crise sans précédent qu'il traverse, a besoin de division, de détestation?»

Présent dimanche au quartier général des socialistes, Denis Coderre ne s'inquiète pas de voir la France cautionner la souveraineté du Québec. «La dette de la France équivaut à 90% du PIB, ils ont d'autres choses bien plus urgentes à s'occuper!»

M. Charest ne doit pas s'attendre à une grande proximité d'un François Hollande, avec qui il s'entretiendra probablement aujourd'hui, trois jours après son élection. Dès dimanche soir, M. Charest a eu Nicolas Sarkozy au bout du fil. Le courant passe très bien entre Jean Charest et tous les leaders de la droite, avec lesquels il avait créé un réseau solide depuis neuf ans. Un travail à refaire.

MM. Charest et Hollande ne sont pas des inconnus l'un pour l'autre. Ils se sont rencontrés deux fois, d'abord en 2004, puis en 2008 lors d'une visite privée à l'invitation du Québec, alors que M. Hollande était nouveau candidat aux primaires socialistes. À son arrivée au pouvoir, M. Charest n'était pas plus

près de Sarkozy, et «les liens étaient aussi à faire», rappelle-t-on.

Dimanche, le premier ministre a échangé au téléphone avec Pierre Moscovici, bras droit du nouveau président et directeur de sa campagne, qui aura probablement un portefeuille important. Il a rencontré l'été dernier Martine Aubry, future ministre ou même prochaine première ministre. Il a aussi de bons rapports avec Bertrand Delanoë, maire socialiste de Paris. Même si les liens sont moins anciens qu'avec le PQ, il y a quand même des communications: un des projets socialistes, le Contrat de génération, a des relents du Fonds des générations québécois, et le candidat Hollande a cité en entrevue le Québec comme un exemple à suivre pour rééquilibrer les finances publiques.

Un allié pour le PQ

Pour le PQ, c'est une tout autre affaire. «On entretient des relations très fortes avec le Parti socialiste (PS), et depuis longtemps», résume Alexandre Cloutier, député péquiste, qui a été invité au quartier général socialiste, rue Solférino, le soir du premier tour de scrutin. On ne trouvait pas de représentant du gouvernement du Québec. Par ailleurs, M. Moscovici, futur ministre important, a assisté à titre d'observateur au congrès du PQ en avril 2011.

En octobre 2010, le PS a ramené dans son programme l'engagement de «non-ingérence, non-indifférence» à l'égard du projet souverainiste québécois.

On avait discuté de cette décision au bureau du secrétaire Hollande avec Louise Beaudoin. «Nos relations sont dans la continuité, avec François Hollande et avec le Parti socialiste», résume Louise Beaudoin. Dès le mois d'août, elle avait pris fait et cause pour François Hollande, qui tentait de prendre la tête de son parti. «Je ne suis pas une récente alliée! dit Mme Beaudoin. Pour Jean Charest, l'arrivée de François Hollande est une mauvaise nouvelle.»