Après des années de silence, l'homme qui avait orchestré le retour de Robert Bourassa en 1983 reprend du service. Mario Bertrand a décidé «de refaire une incursion en politique», mais pas chez les libéraux. Il se joint à François Legault, le chef de la Coalition avenir Québec.

«Il faut passer à autre chose, et François Legault peut nous mener à autre chose. Je n'ai pas l'âme d'un transfuge ni le sentiment d'en être un», prévient d'emblée M. Bertrand, qui agira à titre de «conseiller spécial», sans rétribution, du chef de la CAQ.

Mais il ne se contentera pas d'être une éminence grise que l'on pourra consulter au téléphone sur des questions particulières. «Je compte bien être présent aux réunions, intervenir régulièrement», a-t-il précisé dans une entrevue accordée en exclusivité à La Presse. Il se dépeint comme une sorte de Jean-Roch Boivin, qui fut pendant des années l'alter ego de René Lévesque.

Il entend participer plus régulièrement à la prise de décision que les John Parisella et Michel Bissonnette, devenus conseillers bénévoles de Jean Charest lors du gouvernement minoritaire de 2007-2008.

«Depuis la fin décembre, j'ai démissionné de tous les conseils d'administration dont j'étais membre au Québec - Juste pour rire, Cogeco, Léger Marketing - en prévision de cette adhésion. On ne pourra pas dire que je fais trois choses en même temps.»

Après avoir quitté la politique, en 1990, il a dirigé la chaîne de magasins M, puis il est passé à la direction de TVA. Par la suite, il s'est trouvé dans l'orbite de Charles Sirois à Télésystème et a déménagé en Europe pour développer la téléphonie cellulaire dans les pays de l'Est. M. Sirois appuie Legault depuis la première heure.

Bertrand se défend d'appuyer la CAQ à la demande de Charles Sirois: «J'ai travaillé 10 ans pour lui, cela fait 6 ans. C'était un bon patron, mais il n'a rien à voir dans ma décision, ce n'est pas une commande!»

Le style impératif de Mario Bertrand lui a valu d'être qualifié d'«abrasif» lorsqu'il était directeur du cabinet de Robert Bourassa, de 1985 à 1990 (moins un bref séjour d'un an dans le secteur privé). Auparavant, M. Bertrand, communicateur pour la brasserie Labatt, avait été le principal artisan du retour de Robert Bourassa en 1983. Il avait été introduit dans les cercles libéraux par Pierre Desjardins, le patron de la brasserie, qui était le responsable de la campagne de M. Bourassa pour le poste de chef du Parti libéral.

«Je reprends le poste de bénévole intéressé que j'avais en 1983», explique-t-il.

Ses liens avec le PLQ se sont distendus avec le temps, dit-il. En 16 ans, il n'a assisté qu'à deux activités du PLQ, toutes deux associées à la mémoire de M. Bourassa. «Je ne suis pas un transfuge, cela fait 16 ans que je ne suis plus membre du PLQ.» «Ils vont tous être surpris, certains vont être choqués, dit-il en parlant des vétérans libéraux. Mais je connais ces gens-là depuis 25 ans, ils ne vont pas me fermer la porte. Je suis un homme libre!»

«Une erreur de parcours» de Rebello

M. Bertrand connaît François Legault depuis des années; les deux se voient régulièrement depuis près d'un an. Il ne craint pas que la cohabitation d'un souverainiste comme François Rebello et d'un fédéraliste comme Gérard Deltell dans le même parti ne donne lieu à une foire d'empoigne.

«J'ai la conviction profonde que François Legault ne fera pas la promotion de la souveraineté. Il ne fera pas la souveraineté. Si j'avais un doute, je ne me serais pas embarqué là-dedans», insiste-t-il. Il n'y a pas là d'opportunisme: «C'est une coalition de gens qui veulent passer à autre chose», résume-t-il.

Le conseiller de Robert Bourassa est toujours aussi tranché et transparent quand il pose un verdict. La sortie de François Rebello, l'ex-péquiste qui a soutenu qu'une victoire de la CAQ augmenterait les chances de voir le Québec devenir souverain, est «une erreur de parcours qui aurait mérité un certain cadrage».

Si François Legault prend le pouvoir, Mario Bertrand n'a pas l'intention de devenir chef de cabinet: «Je faisais la même chose il y a 25 ans, j'aurais l'impression de remettre de vieux souliers», lance-t-il.

M. Bertrand reconnaît que François Legault n'a rien d'un tribun électrisant. Il défend ses idées «ad nauseam», laisse-t-il tomber, «avec aisance... en privé». «Je ne ferai pas de comparaisons entre François Legault et M. Bourassa. M. Bourassa n'avait pas toujours tout ce qu'il fallait pour faire de grandes prestations devant 3000 personnes, mais il savait où il s'en allait. Legault sait où il s'en va et tient à ses idées», explique Mario Bertrand.

La CAQ soulève une vague d'intérêt: «Dans certaines circonscriptions, on a 26 candidats potentiels.» Après avoir amassé bien des idées pour un programme de parti, M. Legault doit se comporter désormais comme «un chef de parti». Surtout, «il doit se définir lui-même et ne pas attendre que d'autres le fassent», conseille-t-il.