Tony Tomassi a été congédié hier du conseil des ministres par Jean Charest, qui a même demandé à la Sûreté du Québec de faire enquête sur le député de LaFontaine.

Plongé dans la controverse depuis des semaines au sujet de l'attribution de places en garderie, le ministre de la Famille a été atteint sur un autre front: ses liens avec l'agence de sécurité BCIA, dirigée par un de ses amis, Luigi Coretti.

En fin de journée hier, le premier ministre Charest a fait savoir que M. Tomassi avait reconnu avoir eu en sa possession et utilisé une carte de crédit Petro-Canada appartenant à BCIA pour payer des factures d'essence, à l'époque où il était simple député - une période qui s'étend de 2003 à 2008. Des «faits troublants... inacceptables», qui nécessitent d'être soumis immédiatement à la Sûreté du Québec, a dit hier M. Charest.

Les députés n'ont pas le droit de recevoir de tels avantages. De surcroît, comme élu, M. Tomassi avait droit à une allocation de l'Assemblée nationale pour l'utilisation d'une automobile. Enfin, BCIA, qui a largement bénéficié des décisions du gouvernement Charest, a vraisemblablement déduit de ses revenus ces factures d'essence illicites.

Tony Tomassi a dû démissionner de son poste de ministre de la Famille et ne fait plus partie du caucus libéral. C'est la titulaire de l'Immigration, Yolande James, qui assurera l'intérim.

En matinée, M. Tomassi s'était de nouveau trouvé au coeur de la tempête. Les révélations de La Presse sur l'utilisation de prête-noms dans une campagne de financement du député libéral avaient soulevé un tollé dans l'opposition. Luigi Coretti, patron de BCIA et ami de M. Tomassi, avait distribué à des cadres de son agence de sécurité 10 billets à 500$ pour un cocktail de financement auquel le premier ministre Charest devait prendre la parole. Le Directeur général des élections, Marcel Blanchet, a décidé sur-le-champ de faire vérifier les faits, passage obligé pour une enquête en bonne et due forme.

M. Tomassi est ainsi devenu le quatrième ministre à se trouver sous la loupe des enquêteurs du DGE, après Julie Boulet, Michelle Courchesne et Norm MacMillan. Hier, Mme Boulet a brandi une lettre du DGE précisant qu'elle n'est pas en cause dans l'enquête sur le financement du PLQ dans sa circonscription de Laviolette.

Le PLQ sur la défensive

Hier, le premier ministre a encore une fois passé l'essentiel de la période des questions à défendre le ministre de la Famille, déjà sur le gril depuis des semaines pour l'attribution de places de garderie à des sympathisants libéraux. Avec la cascade de controverses entourant M. Tomassi, de nombreuses journées difficiles étaient encore à prévoir à l'Assemblée nationale - il reste cinq semaines de session avant l'ajournement du 11 juin.

Sylvie Roy, députée de l'ADQ, a apporté des faits nouveaux: en additionnant les contrats octroyés à BCIA par la Société des alcools, la Société de l'assurance automobile du Québec et le ministère de la Sécurité publique, plus les prêts qui lui ont été accordés par les FIER et Investissement Québec, on arrive à plus de 8,3 millions de dollars de fonds publics «versés à cette firme en faillite» a-t-elle lancé.

D'une seule voix, les partis de l'opposition ont soutenu que M. Charest évitait d'aller au fond des choses. «M. Charest fait du déni. Le problème est le financement du Parti libéral», a lancé Stéphane Bédard, leader parlementaire du PQ. Les entreprises contribuent au financement du PLQ pour obtenir des décisions gouvernementales, a-t-il dénoncé.

Avant l'annonce du départ du ministre Tomassi, Pauline Marois avait soutenu voir «tous les indices d'un gouvernement corrompu». Devant une telle «déliquescence», la chef de l'opposition a exhorté les ministres à se «ressaisir» et à forcer Jean Charest à ordonner une enquête publique.

Gérard Deltell, chef de l'ADQ, et Amir Khadir, de Québec solidaire, ont abondé dans le sens de Mme Marois: «Le gouvernement Charest est corrompu par l'argent et il n'a d'autre choix que de déclencher une enquête publique», a déclaré M. Khadir, qui a invité les professionnels forcés de cautionner le financement illicite au PLQ à dénoncer cette situation.

Inacceptable, selon Charest

En point de presse, M. Charest a indiqué que son cabinet avait été informé des gestes reprochés à M. Tomassi après la période des questions, hier matin. Le ministre a été convoqué au bureau du premier ministre et «a confirmé avoir utilisé cette carte pendant un certain temps aux frais de BCIA». «Comme chef du gouvernement, je ne peux accepter une telle situation», a déclaré M. Charest, qui s'est dit «profondément attristé par cette situation». «J'éprouve de l'amitié pour M. Tomassi, que je connais depuis plusieurs années», a-t-il ajouté. Le père de Tony Tomassi, Donato, est un organisateur libéral bien connu de l'est de Montréal et un acteur important dans le financement du PLQ.

Dans l'entourage du premier ministre, on expliquait hier que c'était le cabinet de M. Tomassi qui avait transmis au cabinet du premier ministre l'information au sujet de la carte de crédit. L'animateur Paul Arcand, de la station de radio 98,5FM, avait tenté à l'origine de valider cette information, qu'il avait reçue par courriel d'un correspondant anonyme (voir autre texte).

En début de journée, M. Tomassi avait confirmé ses liens avec Luigi Coretti: «C'est un ami, comme j'ai beaucoup d'autres amis au sein de la communauté italienne.» Il avait soutenu ne pas se souvenir que le patron de l'agence de sécurité BCIA s'était servi de ses cadres pour verser des milliers de dollars au PLQ et rendre service à son ami Tomassi.

Prête-noms

«Le DGE va faire des vérifications sur les allégations qui ont été publiées pour vérifier s'il y a matière à enquête», a indiqué une porte-parole du DGE, Cynthia Gagnon. Ce qui préoccupe le plus le Directeur général des élections, ce sont les allégations selon lesquelles «des cadres auraient peut-être servi de prête-noms» afin de contourner l'interdiction faite aux entreprises de verser de l'argent aux partis politiques.

M. Tomassi a reconnu qu'il était «possible» qu'il ait remis à M. Coretti des billets pour un cocktail de financement du PLQ. «Je ne peux pas me rappeler», a-t-il dit avant d'ajouter: «Je le rencontre à quelques occasions. Est-ce qu'à l'une de ces occasions, je lui ai apporté des billets pour une activité de financement? Je ne me rappelle pas. Mais ça se pourrait. C'est possible.»

Comment expliquer que des cadres de BCIA qui n'ont pas payé eux-mêmes leur billet se retrouvent à une activité de financement du PLQ? «Ce sont des gens qui participent à des activités de financement. Moi, je n'ai aucun contrôle sur les personnes à qui M. Coretti donne ses billets», a-t-il répondu. «J'ai lu l'article (de La Presse) ce matin. Ils n'ont pas dit qu'ils ont été remboursés pour une contribution qu'ils ont faite.» Est-il possible que des employés de BCIA aient servi de prête-noms? «Le DGE va venir. Laissons le travail au DGE», a dit M. Tomassi.

Tony Tomassi estime que le financement de son association de circonscription «se fait selon les règles». «Jusqu'à preuve du contraire, c'est ça qu'il y a.»

- Avec la collaboration d'André Noël

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Chronologie de l'affaire Tomassi

1er décembre 2009 Le porte-parole péquiste en matière de famille, Nicolas Girard, déclare en Chambre qu'un grand nombre de nouvelles places en garderie ont été attribuées à des établissements privés administrés par des donateurs du Parti libéral. Le ministre Tomassi rétorque que les cas soulevés par le PQ ne sont que le fruit du hasard.

11 février 2010 Nicolas Girard revient à la charge en révélant que Joe Magri, ami d'enfance de Tomassi et ex-maire de l'arrondissement de Rivière-des-Prairies, a obtenu 70 places subventionnées en 2008, et ce, malgré une mauvaise évaluation de son projet par le Ministère.

10 mars 2010 L'attribution de subventions à une vingtaine de garderies à vocation religieuse fait l'objet d'un débat houleuxà l'Assemblée nationale, au cours duquel la ministre de la Culture, ChristineSt-Pierre, traite Nicolas Girard de raciste. Le lendemain, le ministre Tomassi déclare que l'enseignement religieux ne sera plus toléré dans les garderies subventionnées.

18 mars 2010 Le Parti québécois met le ministre dans l'embarras une fois de plus en révélant que six membres du comité de direction de l'association libérale de LaFontaine, la circonscription de M. Tomassi, ont obtenu des places subventionnées sous le gouvernement Charest.

28 avril 2010 Le gouvernement libéral se retrouve encore sur la sellette lorsque Nicolas Girard demande en commission parlementaire si des entreprises appartenant à la famille Tomassi ont construit ou rénové des garderies subventionnées. Le lendemain, le réseau TVA révèle que le Groupe Genco, qui est présidé par Donato Tomassi - père de Tony Tomassi et organisateur libéral influent - a obtenu un contrat de 200 000$ en 2006 pour rénover les locaux d'une garderie privée.

4 mai 2010 La Presse révèle que le ministre aurait attribué au moins une soixantaine de places à des garderies privées administrées par des proches ou des donateurs du Parti libéral et alloué 60 places à un projet dans Montréal-Nord que ses fonctionnaires avaient rejeté. Tomassi, qui avait toujours nié avoir accordé de nouvelles places, a indiqué que ces places avaient plutôt été «réaffectées».

Hier

Jean Charest demande à Tony Tomassi de quitter ses fonctions ministérielles et de se retirer du caucus libéral. Le premier ministre aurait pris cette décision après qu'il eut été informé que M. Tomassi avait utilisé une carte de crédit appartenant à l'entreprise de sécurité BCIA alors qu'il était député. Plus tôt dans la journée, La Presse avait révélé que le patron de l'agence de sécurité BCIA, Luigi Coretti, s'était servi de ses cadres pour verser des milliers de dollars au Parti libéral du Québec et ainsi rendre service à son ami Tony Tomassi.

- Daphné Cameron