Une enquête publique sur les ramifications entre les politiciens, tous ordres confondus, et leurs bailleurs de fonds de l'industrie de la construction s'impose. C'est le cri d'alarme de Benoit Labonté, qui vient d'être éjecté de son poste de numéro deux de Vision Montréal.

«C'est tellement gros, tellement gangrené, il faut absolument une enquête publique dans les meilleurs délais», a soutenu M. Labonté dans une longue entrevue diffusée en partie par Radio-Canada, jeudi soir, dans le cadre de son enquête sur l'industrie de la construction. M. Labonté a été limogé par Louise Harel en fin de semaine dernière après qu'on eut appris qu'il avait eu des contacts avec l'entrepreneur Tony Accurso, des liens qu'il avait niés formellement dans un premier temps.

Le problème du copinage entre politiciens et entrepreneurs ne se limite pas à l'ordre municipal, a prévenu l'ancien bras droit de Louise Harel. «C'est tellement les mêmes joueurs... Cela dépasse la Ville de Montréal. La construction, les travaux publics, il faut arrêter de se mettre la tête dans le sable. Il y a trop de collusion potentielle, ça touche le financement des partis politiques. On ne peut faire l'économie d'une enquête, on est rendu là... Cela s'impose», a-t-il lancé, sans équivoque.

Jeudi encore, à l'Assemblée nationale, le premier ministre Charest a repoussé les demandes pressantes de l'opposition péquiste et adéquiste, qui réclame toujours le déclenchement d'une enquête publique sur la construction. Les libéraux ont défait une résolution en ce sens venue de l'opposition.

Jean Charest a encore soutenu préférer attendre le résultat des enquêtes policières amorcées depuis un bon moment. «On est en plein coeur d'un certain nombre d'enquêtes. On n'a pas exclu la possibilité d'aller plus loin, mais il faut prioriser les enquêtes (policières)», a-t-il lancé.

La Presse a révélé jeudi que certaines enquêtes policières étaient terminées, et que les dossiers avaient été transmis au bureau du Directeur des poursuites criminelles. Elles devraient déboucher sur des arrestations «d'ici peu».

Cependant, a-t-on appris, ces accusations ne viseront pas des personnalités connues, ni du monde syndical ni des entrepreneurs en vue à Montréal.

Trois ministres

À l'Assemblée nationale jeudi, la chef intérimaire de l'ADQ, Sylvie Roy, a créé une commotion en soutenant que M. Charest connaissait le nom des trois ministres de son gouvernement qui s'étaient rendus sur le luxueux yacht de l'entrepreneur Tony Accurso.

De sources sûres, La Presse a appris que Mme Roy avait alors ciblé la ministre des Transports, Julie Boulet, le ministre délégué des Transports, Norm MacMillan, ainsi que l'ancien titulaire du Travail David Whissell.

Les trois ont nié à maintes reprises le printemps dernier s'être rendus sur le bateau de l'entrepreneur controversé. MM. Whissell et MacMillan ont répété leurs dénégations jeudi. Mme Boulet était à l'extérieur du Québec, mais elle a déjà soutenu, publiquement, ne jamais avoir rencontré l'entrepreneur montréalais.

Mise au défi d'identifier les ministres, Mme Roy a répliqué à Jean Charest : «Si le premier ministre veut connaître ces trois noms, s'il ne les sait pas, qu'il appelle une commission d'enquête publique», a lancé l'adéquiste.

«M. Taillon - le nouveau chef de l'ADQ - devrait prendre ses responsabilités et congédier Mme Roy. Il y a des limites à salir la réputation des gens quand ce n'est basé sur rien», a rétorqué M. Charest dans les couloirs de l'Assemblée.

Plus tard, le ministre Claude Béchard a aussi réclamé la tête de Mme Roy. Selon M. Béchard, des vérifications minutieuses ont été faites et ont permis d'affirmer que personne, parmi les élus libéraux, ne s'est rendu sur le yacht de l'entrepreneur Accurso.

En entrevue jeudi soir à Radio-Canada, M. Charest a également soutenu que les vérifications avaient lavé les trois ministres de tout soupçon. «On a vérifié auprès de ces personnes-là et dans les trois cas l'information est fausse», a fait valoir le premier ministre, qui a nommé lui-même les trois ministres en question.

Avertissement

Dans son entrevue à Radio-Canada, Benoit Labonté a indiqué qu'il avait prévenu Jean Charest en mars dernier. Dans un premier temps, dans une rencontre à Montréal le 5 mars, celui qui était alors chef de l'opposition à Montréal avait indiqué que certains ministres pourraient être éclaboussés par les problèmes apparus à la Société d'habitation et de développement de Montréal.

Quelques jours plus tard, M. Labonté avait informé M. Charest que des sources «politiques et policières» crédibles l'avaient informé que trois ministres québécois s'étaient retrouvés sur le bateau de M. Accurso.

M. Labonté a refusé d'identifier les individus dans le cadre de son entrevue. La réaction de M. Charest : «Il était agacé, pas content... c'était tout à fait normal comme réaction.» Après cette réaction «d'étonnement», M. Charest a soutenu que la police serait tout de suite saisie de ces informations.

Moins de trois jours plus tard, Dan Gagnier, le chef de cabinet de M. Charest, a rappelé Benoit Labonté pour l'informer qu'il avait rencontré les trois ministres, «qu'il les avait cuisinés en long et en large... et que les trois niaient formellement avoir fait un voyage en bateau» avec M. Accurso.

- Avec La Presse Canadienne