Mardi soir dernier, les électeurs américains ont élu le premier président noir de l'histoire de leur pays. Cet événement qui a secoué la planète toute entière survient 143 ans après l'abolition de l'esclavage. Et si Barack Obama était québécois, aurait-il des chances d'être élu premier ministre ? Une question à laquelle il n'existe pas de réponse facile.

Passionnée de politique, Christine Mitton n'oubliera jamais la campagne de Claudel Toussaint. D'origine haïtienne, le Montréalais était candidat péquiste aux élections partielles du printemps 2001. «Les propos racistes que j'ai entendus pendant cette campagne m'ont fait friser les oreilles», raconte aujourd'hui Mme Mitton.Supporter à l'époque de M. Toussaint, Christine Mitton a vu la campagne de ce dernier dérailler quand il a été rendu public que M. Toussaint avait été en cour pour une question de violence conjugale où il avait été libéré des accusations qui pesaient contre lui. «Tout à coup, des gens parlaient du Noir qui avait battu sa femme. Beaucoup de préjugés remontaient à la surface», se souvient celle qui a été l'attachée de presse de Louise Harel.

Quelques années plus tard, c'était à son tour d'arpenter les rues du Plateau-Mont-Royal, à titre de candidate au conseil municipal dans l'Équipe Tremblay. Son parti a fait bonne figure. Tous les candidats ont été élus sauf un : Christine Mitton, la seule candidate noire. «Pourquoi ? Je ne le saurai jamais. Moi, j'ai fait la meilleure campagne que je pouvais faire», dit-elle aujourd'hui. Elle refuse de croire que la couleur de sa peau a joué un rôle dans cette histoire.

Dur, dur, la politique

Est-il toujours difficile de faire de la politique quand on est noir au Québec ? Journaliste et documentariste, Russell Ducasse s'est posé la question et en a fait un film qu'il a intitulé Allez voir le Nègre que les gens viennent d'élire. Cette phrase assassine avait été lancée par un attaché politique frustré après que le comédien Maka Kotto, d'origine camerounaise et candidat du Bloc québécois, eut défait une candidate libérale sortante dans Saint-Lambert.

«À la lumière du travail que j'ai fait, je ne crois pas que nous soyons prêts à élire un premier ministre noir. Les gens ne sont pas ouvertement racistes, mais il y a beaucoup de non-dit », croit le cinéaste. Et le non-dit s'exprime souvent dans l'isoloir, au moment du vote. «Pour un Noir, un représentant d'une minorité ou une femme, la barre est toujours plus haute.»

Des progrès visibles

Fils du premier employé noir de l'Assemblée nationale, Russell Ducasse reconnaît cependant que les Noirs du Québec ont fait pas mal de chemin en politique en une génération. Aujourd'hui, toutes les grandes organisations politiques cherchent activement des candidats issus des minorités visibles. Des députés noirs - dont Maka Kotto et Marlene Jennings - siègent autant à Ottawa qu'à Québec. Âgée d'à peine 30 ans, Yolande James est la première Noire au conseil des ministres du Québec. Née en Haïti, Michaëlle Jean est gouverneure générale depuis 2005.

De récentes études statistiques indiquent aussi que les Québécois ne sont pas fermés à l'idée d'avoir un Noir aux commandes. Un sondage sur les élections américaines publié dans nos pages le mois dernier indiquait que 77,8 % des Québécois voteraient pour Barack Obama s'ils en avaient l'occasion. Dans le reste du Canada, ils étaient un peu moins de 72 % à penser la même chose.

En 2005, lors de la course à la direction du Parti québécois, la maison de sondage CROP avait demandé aux Québécois s'ils seraient en faveur d'un premier ministre femme, noir, anglophone ou homosexuel. Plus de 80 % des répondants disaient n'avoir aucune réticence à l'égard d'un premier ministre à la peau noire, alors que 56 % avaient la même position à l'égard d'un anglophone.

Responsable de ce sondage, le vice-président de CROP, Claude Gauthier, estime qu'il faut cependant relativiser cette statistique. «Au moment où nous avons posé la question, la candidature d'un Noir n'était pas dans le collimateur. C'est plus facile dans ces circonstances de dire oui, oui, je serais prêt à élire un Noir. Personne n'aime montrer sa propre intolérance», remarque-t-il.

M. Gauthier croit néanmoins que la population québécoise fait preuve d'une ouverture certaine. «On n'a qu'à allumer la télévision. Il y a beaucoup de personnalités publiques et médiatiques noires au Québec, qu'on pense à Gregory Charles, à Luck Mervil ou à Dany Laferrière.»

Directeur du centre de recherche en éthique de l'Université de Montréal, Daniel Weinstock est du même avis. Selon lui, la race n'est pas un obstacle majeur dans la vie politique québécoise. «Chaque société a son point chatouilleux. Ici, ce n'est pas la race, c'est la religion. Je crois que le Québec serait prêt à élire un premier ministre noir, mais peut-être pas un premier ministre juif ou musulman, tout blanc qu'il soit», avance l'expert, qui a notamment fait partie du comité des sages de la commission Bouchard-Taylor.

Professeur en sociologie à l'Université du Québec à Montréal, Rachad Antonius ne croit pas pour sa part que le Québec soit prêt à élire son propre Obama. «On n'est tout simplement pas encore au point où un parti politique serait prêt à élire à sa tête un membre d'une minorité. Cette personne serait perçue comme ne défendant pas l'identité québécoise face au Canada anglais», estime le sociologue.

Toutes ces analyses n'empêchent pas des politiciens noirs de rêver de lendemains brillants pour la génération montante, née au Québec. C'est le cas de Vivian Barbot, ancienne députée bloquiste dans Papineau, récemment battue par Justin Trudeau. «Oui, en politique, la couleur est un élément qui compte, être une femme aussi. Mais les plus jeunes qui nous suivent n'attendront pas comme nous leur retraite pour faire de la politique. Ils vont se lancer plus tôt, avoir le temps de gravir les échelons. Quand ils arriveront au sommet, ce sont leurs idées qui vont compter, pas leur race.» Et avec l'exemple de Barack Obama au sud de la frontière, Vivian Barbot est convaincue qu'ils seront nombreux à tenter leur chance.