Adrian Dix est étonnamment calme et discret pour un homme qui s'apprête à prendre, d'ici quelques semaines, les commandes de l'une des provinces les plus prospères du Canada.

Il entre dans le café de sa circonscription, et personne ne le reconnaît. Il s'assoit et, dans un français impressionnant, il parle de la chute du Parti communiste français, passe au rôle qu'il pourrait jouer dans un éventuel débat sur la souveraineté du Québec et termine la conversation une heure plus tard en vantant la biographie du journaliste et auteur Ryszard Kapuscinski, qu'il lisait dans le train avant d'arriver.

On est loin de l'idée qu'on pourrait se faire d'un politicien de l'Ouest canadien. Lunettes, jeans, blouson sport, ce fils d'un immigrant irlandais, marié à une écrivaine de Vancouver, projette plutôt l'image d'un stratège habile, à la fois modeste et prudent.

Lors d'une entrevue avec La Presse en janvier, le chef du NPD refusait toujours de crier victoire, malgré les sondages qui laissent - encore aujourd'hui - prévoir une importante vague orange dans la province.

«Nous avons gagné 3 des 21 dernières élections, fait-il remarquer. La situation normale en Colombie-Britannique, c'est qu'on fait très bien et on perd de justesse.»

Maniant statistiques et exemples historiques avec aisance, il se contente d'évoquer la stratégie qu'il a déjà commencé à déployer contre ses adversaires, stratégie qui n'est pas sans rappeler celle des troupes de Thomas Mulcair au fédéral. «Nous allons faire campagne sur les questions économiques, dit-il. Nous allons essayer de gagner les élections sur le terrain du Parti libéral.»

Éviter de vouloir « tout faire »

Selon lui, les néo-démocrates ne souffrent pas d'un déficit de crédibilité en matière économique, mais plutôt de vouloir trop en faire, sur tous les sujets. «Nous devons nous concentrer sur trois ou quatre choses. Les gouvernements du NPD dans le passé ont eu des problèmes parce qu'ils ont tenté de tout faire d'un seul coup», insiste celui qui a pris la tête du parti il y a à peine deux ans, après avoir été adjoint politique à Ottawa et à Victoria, puis directeur d'une association régionale de parents pour l'immersion française.

Mais être élu est une chose, gouverner en est une autre. Avec des dossiers chauds comme le pipeline Northern Gateway, auquel il est opposé, Adrian Dix pourrait rapidement se retrouver au coeur d'une bataille politique avec Ottawa et l'Alberta. Il espère néanmoins entretenir des relations constructives avec les conservateurs qui règnent sur la capitale fédérale. «Il faut travailler ensemble, dit-il. Il y aura des questions sur lesquelles on n'est pas d'accord, c'est évident. Mais je ne veux pas être le chef de l'opposition de Stephen Harper.»

Le détenteur d'une maîtrise faite à Dijon, en France, deviendrait ainsi le septième premier ministre provincial bilingue du Canada.

Il souhaite maintenir des relations tout aussi diplomatiques avec le reste du pays, dont le Québec. Surtout si la province en venait à tenir un référendum sur la souveraineté.

«C'est très important de gagner le vote et de démontrer que le Canada est en mesure de marcher pour le Québec et pour tout le monde, insiste M. Dix. Je pense qu'il va y avoir des gens, que ce soit Alison Redford (de l'Alberta), moi ou d'autres, qui vont parler de cela.»

«Mais il faut être modeste, quand même, s'empresse-t-il d'ajouter. Ça va être un débat comme la dernière fois, et comme en 1980: entre les Québécois.»

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Le déclin libéral

À l'image de ce qui se passe ailleurs au pays, le Parti libéral (PLCB) est en déclin en Colombie-Britannique. ThreeHundredEight.com, qui fait la moyenne des sondages publiés, rapportait des intentions de vote de près de 49,9% en faveur du NPD et de seulement 30,4% pour les libéraux... Les néo-démocrates pourraient ainsi rafler 64 des 85 sièges de la province, selon le site web, contre seulement 20 pour le PLCB. L'usure du pouvoir (les libéraux forment le gouvernement depuis 2001), la controverse entourant l'harmonisation des taxes de vente, le mécontentement provoqué par Northern Gateway et les nombreuses volte-face de la chef Christy Clark dans le dossier sont quelques-unes des raisons évoquées pour expliquer les difficultés du parti. Des libéraux influents ont même réclamé le départ de la nouvelle chef à quelques semaines de la campagne, et d'autres ont proposé que le parti change purement et simplement de nom. «Il est assez clair que ce sera un raz-de-marée du NPD en Colombie-Britannique», prédit Andrew Weaver, candidat-vedette du Parti vert sur l'île de Vancouver.

Le gros Trans Mountain

À 890 000 barils par jour, le projet d'expansion du pipeline Trans Mountain de Kinder Morgan dépasserait en capacité tous les autres projets qui défraient actuellement la manchette. Keystone XL, qui suscite une vive opposition au sud de la frontière, en acheminerait environ 60 000 de moins jusqu'au sud des États-Unis; Northern Gateway tablerait sur 525 000 barils par jour; et même TransCanada, qui entend transporter du brut jusqu'au Nouveau-Brunswick en passant par le Québec, n'a jusqu'ici évoqué qu'une capacité d'environ 850 000 barils. Kinder Morgan n'a toujours pas présenté de demande d'autorisation officielle à la Régie de l'énergie. Cette capacité proposée pour cet oléoduc de plus de 60 ans qui transporte pour l'instant environ 300 000 barils pourrait donc être encore appelée à augmenter.

Superpuissance du gaz naturel ?

L'économie, la santé, l'éducation... Les enjeux qui animeront la campagne électorale de la Colombie-Britannique pourraient être semblables à ceux que l'on retrouve au Québec. Même le gaz de schiste promet d'avoir sa place. Il y a quelques semaines, le ministre des Communautés de la province prédisait un boom gazier semblable à l'explosion qu'a connue l'industrie pétrolière de l'Alberta. L'industrie s'y prépare et envisage de construire un immense terminal de gaz naturel liquéfié au nord-ouest de la province. Mais le chef du NPD, Adrian Dix, se montre prudent devant ces prédictions. «Il faut être modeste, quand même, dit-il. Nous n'avons pas de contrat avec la Chine ou avec qui que ce soit pour ce qui est produit actuellement.» Sur le plan environnemental, il entend commander une étude d'impact de l'extraction gazière s'il prend le pouvoir et promet d'en respecter les conclusions. «La fracturation est différente ici qu'au Québec. La nature de la ressource est différente», note-t-il. Mais aux yeux des écologistes, c'est insuffisant. Le Parti vert, qui aimerait bien faire élire quelques députés, souhaite que le NPD aille plus loin. «Ça doit être jumelé à un moratoire», insiste le professeur Andrew Weaver, candidat-vedette de la formation.

Superpuissance pétrolière

Le Canada détiendrait la troisième réserve pétrolière du monde, après l'Arabie Saoudite et le Venezuela. Et l'industrie pétrolière entend bien en profiter. Selon les prédictions les plus récentes, elle devrait doubler sa production de brut d'ici 2030. Elle passerait d'environ trois à six millions de barils par jour. Pour l'économie canadienne, les retombées pourraient être importantes. D'ici 20 ans - et à condition de construire les oléoducs nécessaires -, l'apport des sables bitumineux au PIB du Canada pourrait dépasser les 2,8 billions, selon une évaluation de l'Institut canadien de recherche sur l'énergie.