À partir du 15 avril, la donne politique va changer considérablement au pays. Le Parti libéral du Canada, en mode de reconstruction depuis sa cinglante défaite aux élections de mai 2011, aura un nouveau chef, vraisemblablement Justin Trudeau.

Son arrivée à la tête des libéraux forcera les conservateurs et les néo-démocrates à ajuster leurs stratégies à la Chambre des communes et dans l'ensemble du pays.

Déjà, le premier ministre Stephen Harper semble avoir du mal à se faire à l'idée que le fils de Pierre Trudeau, à qui on doit l'adoption de la politique nationale sur l'énergie honnie par les Albertains dans les années 80, s'apprête à prendre la barre du Parti libéral.

Il y a trois semaines, en réponse à la question de Justin Trudeau aux Communes sur une possible réforme des programmes de formation de la main-d'oeuvre, M. Harper a dit être heureux de revoir «le ministre de Papineau» à deux reprises. Il s'est rapidement repris pour dire que «c'est un plaisir d'accueillir le député de Papineau à la Chambre des communes et de le voir, pour une fois, présenter le point de vue de ses concitoyens.»

À la reprise des travaux parlementaires, dans deux semaines, M. Harper devra donner la réplique aux attaques du député de Papineau après avoir passé les deux dernières années à répondre aux questions souvent lapidaires du chef intérimaire Bob Rae.

Engagé depuis la mi-novembre dans une longue course à la direction au cours de laquelle son statut de meneur n'a jamais été menacé, Justin Trudeau reconnaît que la pression sera énorme sur ses épaules pour qu'il fasse rapidement ses preuves. «Le premier mois sera le plus difficile», résume-t-on dans le camp Trudeau.

Les conservateurs sur le pied de guerre

Les stratèges libéraux s'attendent à ce que les conservateurs sortent encore une fois l'artillerie lourde pour démolir l'image de leur nouveau poulain. Stéphane Dion et Michael Ignatieff ont subi le même sort et ne s'en sont jamais remis. Mais ils comptent répliquer à tout blitzkrieg des conservateurs. Le Parti libéral dispose d'ailleurs d'une cagnotte de plus d'un million de dollars pour riposter.

Mais des stratèges conservateurs reconnaissent qu'ils devront peut-être faire preuve de retenue. En privé, ils disent craindre que Justin Trudeau n'affaiblisse davantage le Parti libéral au point d'éliminer la division du vote entre les partis dits progressistes - un facteur qui favorise le Parti conservateur dans certaines régions du pays, notamment au Manitoba, en Saskatchewan et en Colombie-Britannique.

En Saskatchewan, berceau du socialisme canadien, le NPD ne compte aucun siège depuis une décennie en raison de la division du vote sur le flanc gauche. Le Parti conservateur a encore une fois réussi à remporter 13 des 14 sièges de la province au dernier scrutin, parfois avec à peine 36% des suffrages dans certaines circonscriptions. Le Parti libéral détient l'autre siège. Mais un affaiblissement du vote libéral permettrait au NPD de faire des gains aux dépens des conservateurs. Compte tenu de la faiblesse des conservateurs au Québec, les sièges qu'ils détiennent dans l'Ouest sont cruciaux pour qu'ils conservent leur majorité aux Communes.

Un test pour le NPD

Pour sa part, le NPD sait que Justin Trudeau pourrait l'empêcher de former le prochain gouvernement s'il réussit à relancer le Parti libéral. Et il s'active déjà pour éviter un retour en force des libéraux, en commençant par l'élection partielle qui doit être déclenchée dans Labrador, à Terre-Neuve, à la suite de la démission du ministre Peter Penashue.

Au dernier scrutin, M. Penashue a remporté la victoire avec seulement 79 voix d'avance sur le candidat libéral Todd Russell aux dernières élections. M. Penashue se représentera sous la bannière conservatrice lors de la partielle à venir même s'il a admis avoir empoché des dons illégaux au scrutin de 2011.

Sans attendre le signal de départ de l'élection partielle, le leader du NPD Thomas Mulcair a passé trois jours à Labrador cette semaine afin de donner un coup de pouce à son candidat, Harry Borlase. Le NPD entend consacrer beaucoup d'efforts pour remporter la victoire.

Cette élection partielle constitue un test important pour Thomas Mulcair. Une victoire aurait pour effet de consolider le statut de gouvernement en attente au NPD et ébranlerait le leadership de Justin Trudeau. À l'inverse, une défaite du NPD soulèverait de nombreuses questions au sujet du potentiel de croissance du parti nécessaire pour former le prochain gouvernement. Le NPD doit remporter quelque 70 sièges de plus que la centaine qu'il détient aux Communes actuellement pour prendre le pouvoir.

«Nous allons tout faire pour remporter la victoire dans Labrador», a confié un député néo-démocrate du Québec qui a même proposé de s'y rendre pour faire campagne au besoin.

Le NPD a aussi dans sa ligne de mire la circonscription de Bourassa, détenue par le bouillant député libéral Denis Coderre depuis 1997. Ce dernier, qui a survécu à l'hécatombe de 2011, devrait annoncer après le 14 avril s'il brigue la mairie de Montréal. D'aucuns s'attendent à ce qu'il fasse le saut sur la scène municipale. En mettant aussi la main sur cette circonscription québécoise convoitée, le NPD consoliderait ses appuis au Québec et pourrait poursuivre sa marche vers le pouvoir en 2015.

Visiblement, l'entrée en scène de Justin Trudeau donnera le coup d'envoi à une longue guerre de tranchées entre libéraux, néo-démocrates et conservateurs. Les électeurs choisiront les vainqueurs de cette rude bataille aux élections de 2015.