Qu'un ministre soit vilipendé par l'opposition fait partie du quotidien à la Chambre des communes. Mais que des membres du gouvernement s'attaquent à un député de l'opposition, voilà qui est beaucoup plus rare. C'est pourtant le quotidien du néo-démocrate Alexandre Boulerice, véritable bête noire du gouvernement Harper.

La période des déclarations des députés, qui précède celle des questions aux Communes, défraie rarement la chronique. Les élus en profitent pour souligner des événements qui marquent leur circonscription, comme un tournoi de hockey mineur ou une épluchette de blé d'Inde.

Mais, depuis peu, cet exercice quotidien a pris une tournure résolument politique. Et acerbe.

Le 5 novembre dernier, Costas Menegakis, député conservateur de Richmond Hill, en Ontario, a pris la parole non pas pour dénoncer une position du Nouveau Parti démocratique, mais bien pour mettre en doute les allégeances politiques du député Boulerice.

Dons à Québec solidaire

Le député de Rosemont-La Petite-Patrie a en effet fait 29 dons à Québec solidaire, parti dans lequel il a milité pendant des années avant d'être élu au Parlement fédéral. Dans les derniers mois, le gouvernement Harper a dépeint à maintes reprises Québec solidaire comme un parti «séparatiste» et «radical».

«Le député de Rosemont-La Petite-Patrie peut mettre fin à cette controverse dès aujourd'hui en faisant part de son attachement envers le Canada pendant la période des questions, a déclaré le député Menegakis. Le fera-t-il?»

Un mois et demi plus tard, attablé devant un bol de café au lait, le principal intéressé hausse les épaules. «Le fait qu'ils réagissent autant, ça me rassure: je dois faire quelque chose de bien dans mon travail, qui consiste à leur demander des comptes. Sinon, ils ne s'acharneraient pas autant.»

Avec son collègue Charlie Angus, député de Timmins-Baie-James, Alexandre Boulerice a la tâche de critiquer le gouvernement Harper sur les questions d'éthique. C'est donc lui qui mène la charge dans les dossiers les plus délicats: l'affaire des appels trompeurs, les dépenses électorales du ministre des Affaires intergouvernementales, la nomination avortée de Robert Abdallah à la direction du Port de Montréal.

Une épine au pied

Avec son sens de la formule-choc, Alexandre s'est vite imposé comme une épine au pied des conservateurs, au moment où l'autre fléau québécois du gouvernement Harper - le député libéral Denis Coderre - songe ouvertement à quitter la politique fédérale pour briguer la mairie de Montréal.

Aucun scandale n'a collé à la peau des conservateurs comme le scandale des commandites l'a fait au Parti libéral. Mais M. Boulerice est convaincu que l'affaire des appels trompeurs - communément appelés robocalls au Canada anglais - sera le principal talon d'Achille du gouvernement dans les mois à venir.

«Ils ont fait campagne pendant longtemps en disant: "Nous, on est honnêtes et eux, les libéraux, ils sont croches", rappelle-t-il. Si on les prend la main dans le sac avec des tactiques électorales illégales, qui s'inspirent de la suppression du vote des républicains aux États-Unis, ça entacherait leur marque de commerce d'honnêteté. On pourrait les mettre dans le même bateau que les libéraux, et il n'y a rien qu'un conservateur déteste plus que de ressembler à un libéral.»

Défense par l'attaque

Plusieurs stratèges diront que la meilleure défense est l'attaque et que, à ce jeu, le Parti conservateur est passé maître. La machine conservatrice est réputée pour avoir broyé les chefs libéraux Stéphane Dion et Michael Ignatieff.

Durant l'automne, elle a braqué ses canons sur le Nouveau Parti démocratique. Des députés et des ministres ont martelé que le NPD veut imposer aux Canadiens une taxe sur le carbone, même si son programme prévoit plutôt un système de plafonnement et d'échange des émissions de carbone.

Alexandre Boulerice a lui aussi été ciblé. Le député conservateur Pierre Poilièvre, généralement désigné pour lui donner la réplique à la Chambre des communes, n'a raté aucune occasion de rappeler son appui passé à Québec solidaire.

«Puisqu'il est question de transparence, le député en profitera peut-être pour parler de financement politique, a raillé M. Poilièvre lors d'un débat, à la fin du mois de novembre. Après avoir fait 29 dons à un parti séparatiste, est-il devenu fédéraliste?»

Mais ces attaques n'ébranlent pas le député Boulerice, qui n'y voit rien de personnel. Il décrit M. Poilièvre comme un homme «assez sympathique», avec qui il a des discussions cordiales à l'extérieur de la Chambre.

C'est plutôt le manque d'intérêt des Québécois pour la politique fédérale qui le préoccupe.

«C'est comme si le jugement des Québécois à l'égard du gouvernement conservateur de M. Harper était fait, dit-il. C'est comme si la cause était déjà entendue. Chaque fois que les Québécois entendent ce qui vient d'Ottawa, ça ne fait que confirmer que c'est un gouvernement qui va dans une direction avec laquelle ils ne sont pas d'accord.»

«Ça rend notre travail plus ardu, poursuit-il. On a à les raccrocher, leur dire qu'ils devraient suivre ce qui se passe là-bas. C'est quand même la moitié de leurs taxes et de leurs impôts qui va là-bas.»