Le courant passe-t-il toujours entre Stephen Harper et son ministre des Finances, Jim Flaherty? Les deux hommes sont-ils aux antipodes quant à la détermination du gouvernement conservateur à mettre fin à l'encre rouge qui coule à Ottawa depuis 2008?

Plusieurs ont sourcillé, il y a 10 jours, quand le premier ministre a publiquement contredit le ministre des Finances au sujet de la date de l'élimination du déficit.

Dans une mise à jour économique et financière soigneusement préparée par les mandarins du ministère des Finances, Jim Flaherty a fait savoir le 13 novembre que la situation de l'économie mondiale était telle qu'il devait reporter d'une autre année le retour à l'équilibre budgétaire.

Le déficit ne serait donc pas éliminé en 2015-2016, comme il l'avait prédit dans son budget déposé en mars, mais en 2016-2017. C'était la troisième fois que le grand argentier du pays modifiait l'échéancier du retour à l'encre noire. En campagne électorale, en mai 2011, les conservateurs avaient en effet affirmé être en mesure d'atteindre cet objectif en 2014-2015.

Le déficit, que Jim Flaherty évaluait à 21 milliards de dollars dans son budget déposé il y a huit mois à peine, a été revu à la hausse pour l'exercice financier en cours. Il devrait être de 5 milliards de plus, soit 26 milliards de dollars. En annonçant ces nouvelles projections, le ministre a affirmé qu'il fallait tenir compte de la situation économique mondiale, que «les budgets équilibrés ne sont pas une fin en soi». «Ils sont un moyen pour arriver à une fin, et cette fin est un avenir meilleur et plus prospère pour tous les Canadiens.»

Les tenants de la droite économique sont immédiatement montés aux barricades en décriant la gestion des finances publiques des conservateurs et en mettant en doute leurs efforts pour contrôler les dépenses de l'État. «Il est manifeste que le Canada n'a plus de Parti conservateur», a lancé le chroniqueur Michael Den Tandt.

Le quotidien The Calgary Herald a fustigé les conservateurs pour avoir ajouté plus de 120 milliards de dollars à la dette accumulée depuis leur arrivée au pouvoir.

Le directeur de la Fédération canadienne des contribuables, Gregory Thomas, a été plus lapidaire. Selon lui, les conservateurs avaient trahi les électeurs qui avaient voté pour un retour à l'équilibre budgétaire en 2015.

De retour d'un périple en Inde, Stephen Harper a mis à la poubelle les projections de son ministre trois jours plus tard, sans avertir le principal intéressé, en affirmant au cours d'une conférence de presse à Québec que son gouvernement a toujours l'intention d'éliminer le déficit avant les prochaines élections, soit avant octobre 2015.

Résultat: Jim Flaherty doit refaire ses devoirs, réduire au maximum la croissance des dépenses du gouvernement et espérer que l'économie mondiale ne viendra pas compliquer davantage sa lourde tâche d'éliminer un déficit de 26 milliards en moins de trois ans.

M. Flaherty était à New York le jour où Stephen Harper lui a servi cette rebuffade. Le ministre a encaissé le coup, sans gémir et en affirmant qu'il n'y avait aucun désaccord entre lui et le premier ministre.

Mais jeudi dernier, M. Flaherty a dû ajuster son propre discours en fonction des déclarations de son patron. Devant la Chambre de commerce de Toronto, il a soutenu que le gouvernement Harper éliminera le déficit au plus tard en 2015 et que le prochain budget donnera le coup de barre nécessaire pour y arriver.

Il est rarissime qu'un premier ministre humilie de la sorte son ministre des Finances. La dernière fois que cela s'est produit remonte à août 1978, quand Pierre Trudeau a annoncé une série de compressions budgétaires en direct sur les réseaux de télévision, sans en souffler un mot à son ministre des Finances, Jean Chrétien.

M. Chrétien avait aussi encaissé le coup sans démissionner, mais il s'était senti humilié par cette manoeuvre.

Depuis 2006, un nombre restreint de ministres du gouvernement Harper jouissent d'une certaine autonomie; les autres sont soumis aux diktats du bureau du premier ministre. Du lot, on comptait John Baird, Jason Kenney et Jim Flaherty. Il semble maintenant que le nom de Jim Flaherty doive être rayé de cette très courte liste.