La légalisation de la marijuana adoptée par référendum dans les États de Washington et du Colorado, mardi, a alimenté le débat de ce côté-ci de la frontière. Mais le gouvernement Harper reste bien campé sur sa position.

Les deux référendums vainqueurs auront pour effet de légaliser la consommation et la possession de jusqu'à 28 g de cannabis pour les personnes de 21 ans et plus dans ces deux États. La production et la vente seront supervisées par des autorités locales et les revenus fiscaux seront réinvestis dans des projets publics comme la construction d'écoles.

«Notre gouvernement n'appuie pas la décriminalisation ou la légalisation de la marijuana», a tranché Julie DiMambro, porte-parole du ministre de la Justice, Rob Nicholson. Elle a rappelé que des mesures pour rendre la justice criminelle encore plus sévère à cet égard étaient justement entrées en vigueur plus tôt cette semaine, dans la foulée de l'adoption du projet de loi omnibus C-10.

Aux yeux de militants pro-légalisation, et même des partis de l'opposition à Ottawa, le gouvernement fédéral est de plus en plus isolé sur cette question, tandis qu'une tendance à la libéralisation gagne des adeptes au Canada, aux États-Unis et dans le monde.

«La question est: quand nos politiciens vont-ils emboîter le pas?», a écrit hier dans une lettre publique Kash Heed, député libéral de la Colombie-Britannique, ancien ministre de la Sécurité publique et ancien dirigeant de l'unité de lutte contre les stupéfiants de la police de Vancouver.

Comme d'anciens maires et procureurs généraux de sa province, M. Heed milite au sein de «Stop the Violence BC», qui lutte contre la criminalisation. Il y a quelques jours, un sondage Angus Reid rendu public par l'organisme a indiqué que les trois quarts de la population de Colombie-Britannique préféraient voir la marijuana être réglementée et imposée, plutôt que de faire l'objet d'une prohibition. Le tiers des Canadiens prônaient une approche similaire dans un sondage publié par le National Post l'été dernier.

«C'est une direction dans laquelle le pays doit s'engager et va s'engager avec le temps», a déclaré le chef libéral par intérim, Bob Rae.

«C'est clair que ce n'est pas le gouvernement actuel qui va bouger dans ce sens-là», a quant à lui reconnu le militant pro-marijuana de longue date Marc-Boris Saint-Maurice, devenu membre du Parti libéral du Canada il y a quelques années pour mieux faire progresser sa cause.

«Mais c'est encourageant de voir que le peuple est de notre côté et que la tendance grandit de plus en plus, a-t-il ajouté. C'est juste une question de temps avant que ça se produise.»

Au Nouveau Parti démocratique, la porte-parole en matière de justice, Françoise Boivin, a indiqué que de tels débats pourraient même être relancés au sein de son propre parti, qui prône la décriminalisation de la marijuana. Le Parti libéral du Canada est allé plus loin l'hiver dernier en adoptant une résolution en faveur de la légalisation.

«Il y aura certainement quelques groupes, que ce soit chez nos jeunes ou certaines personnes pour qui c'est un dossier important, qui vont nous appeler pour peut-être étudier et revoir cette position. Mais on verra. On prendra ça en temps et lieu», a indiqué Mme Boivin.

Le Colorado et Washington: Amsterdam d'Amérique?

Les États du Colorado et de Washington deviendront-ils aux États-Unis ce qu'Amsterdam est aux Pays-Bas? Verrons-nous des Canadiens de Colombie-Britannique voyager dans l'État voisin de Washington pour griller un joint? Les questions ont été posées à Véronique Pronovost, chercheuse en conservatisme politique à la Chaire Raoul-Dandurand de l'Université du Québec à Montréal (UQAM).

«Dans le cas du Colorado, explique-t-elle, c'était une demande de changement à la Constitution de l'État. Donc oui, théoriquement, c'est désormais légal de fumer du pot. Mais ça ne restera pas ainsi longtemps. Le Congrès peut se charger de la question. La Cour suprême aussi, si elle estime que ça va à l'encontre de la Constitution fédérale. Ça pourrait être déclaré inconstitutionnel très rapidement.»

Le Colorado et l'État de Washington sont-ils plus progressistes que l'ensemble des États américains? Rien de plus faux, croit Mme Pronovost. Un bon nombre d'Américains qui ont voté pour la décriminalisation de la marijuana ne l'ont pas fait car ils croient inoffensive la consommation de drogue. Ils choisissent plutôt de concentrer leurs ressources ailleurs, sur d'autres types de criminalité, afin d'économiser et de ne plus arrêter et mettre en procès des petits revendeurs de pot.

«Ce sont des États qui sont conservateurs au niveau des valeurs, donc ce qu'il faut comprendre (...) eux se disent qu'il avait intérêt (de décriminaliser) pour aller arrêter les ''vrais criminels'', ceux qui commettent ''les vrais crimes''», conclut-elle.