Le Programme énergétique national était une mauvaise politique pour l'unité nationale, a reconnu Justin Trudeau à Calgary, mercredi. C'est la première fois qu'il prend ses distances vis-à-vis de ce legs controversé de son père.

En visite en Alberta, premier arrêt de sa campagne pour la direction du Parti libéral du Canada, M. Trudeau a ainsi tenté d'apaiser la grogne des électeurs de cette province, restés très hostiles aux libéraux fédéraux depuis la mise en oeuvre du programme, en 1980.

«Il est mauvais d'utiliser nos richesses naturelles pour diviser les Canadiens, a reconnu Justin Trudeau, selon un extrait de son allocution obtenu par La Presse. C'était la mauvaise manière de gouverner dans le passé. C'est mauvais aujourd'hui. Et ce sera mauvais dans l'avenir.»

«Je vous le promets, a également lancé le député québécois: je n'utiliserai jamais les richesses de l'Ouest comme outil de division afin de gagner des votes dans l'Est.»

Cette déclaration marque la première prise de position ferme de la campagne de Trudeau. Elle constitue aussi une réplique à la récente sortie du chef du NPD, Thomas Mulcair, sur le «syndrome hollandais», théorie selon laquelle l'industrie des sables bitumineux ferait hausser la valeur du dollar canadien et nuirait au reste de l'économie canadienne.   

L'aliénation de l'Alberta

Conçu par le gouvernement Trudeau, le Programme énergétique national avait pour objectif de contrer la flambée des prix du pétrole du Proche-Orient, d'assurer l'approvisionnement pancanadien et de mieux répartir les retombées économiques de l'or noir au pays.

Mais l'initiative a soulevé la colère des Albertains et de leur premier ministre de l'époque, Peter Lougheed, qui l'ont perçue comme une intrusion inacceptable du fédéral pour s'approprier leurs ressources et les redistribuer dans le centre du pays, où se trouvait le gros des appuis libéraux.

Résultat, l'Alberta n'envoie plus que très exceptionnellement des députés libéraux à la Chambre des communes. Depuis 1980, le Parti libéral n'y a fait élire que quatre députés, et aucun depuis 2006.

Or, des stratèges des différents partis constatent que les changements démographiques en cours en Alberta pourraient avoir des répercussions sur l'échiquier politique et les intentions de vote dans la province. Ils citent l'exemple de l'élection du maire de Calgary, Naheed Nenshi, un jeune homme d'affaires devenu en 2010 le premier musulman à diriger la ville. De plus, aux dernières élections provinciales, le vote progressiste s'est rangé derrière le Parti progressiste-conservateur en toute fin de campagne pour éviter l'élection du parti Wildrose, issu de la même mouvance réformiste que Stephen Harper et Preston Manning.  

L'héritage québécois

À certains égards, cet héritage familial pourrait avantager Justin Trudeau d'ici au vote des militants de son parti, en avril prochain. Depuis quelques jours, son visage et son nom sont omniprésents dans les médias canadiens, en particulier du côté anglophone.

Mais il pourrait aussi s'avérer lourd à porter dans certaines régions.

Au Québec comme en Alberta, le souvenir de Pierre Elliott Trudeau n'est pas toujours heureux pour la population, dont une portion n'a toujours pas digéré des événements comme la Crise d'octobre et le rapatriement unilatéral de la Constitution.

Dans son discours inaugural à Montréal, mardi, Justin Trudeau a tenté de miser sur les côtés plus populaires de cet héritage : la Charte des droits et libertés, le multiculturalisme, la défense des langues officielles.

Mais contrairement au Programme énergétique national, il n'a pas reculé sur la question constitutionnelle: «Quand je me promène dans Papineau et je regarde sa diversité, je regarde toute la fierté et l'appartenance que les Québécois ont pour la Charte des droits et libertés, par exemple, où elle est plus aimée et plus populaire ici qu'ailleurs, je me dis que c'est un débat du passé, ce n'est pas actuel, on parle d'avenir, on parle de bâtir ensemble et, pour moi, c'est dans cette direction qu'on va aller», a-t-il déclaré en point de presse.

«Mais ça fait partie des accomplissements qu'on a faits pour créer un meilleur pays, tous ensemble, dans le passé», a-t-il ajouté en parlant du rapatriement de la Constitution.