Le ministre de l'Immigration, Jason Kenney, s'est retrouvé dans l'embarras cette semaine après avoir traité le vice-premier ministre de l'Alberta, Tom Lukaszuk, de «trou de cul» dans un courriel adressé aux 26 députés conservateurs de l'Alberta et à leurs adjoints.

Cette affaire illustre non seulement les risques que courent les politiciens lorsqu'ils laissent libre cours à leurs émotions dans des courriels ou sur les réseaux sociaux, mais elle marque également les balbutiements de la prochaine course à la direction du Parti conservateur (PC).

Stephen Harper est encore bien en selle à la tête du Parti. Cela n'empêche toutefois pas certains ministres ambitieux -Jason Kenney, James Moore, Maxime Bernier, entre autres- de jeter discrètement les bases de leur éventuelle campagne à la direction. D'autant plus que cela fera neuf ans, en 2015, date des prochaines élections, que Stephen Harper sera premier ministre et l'usure du pouvoir pourrait alors avoir fait son oeuvre.

L'essentiel du courriel impertinent de Jason Kenney s'est retrouvé dans les pages du quotidien Edmonton Journal, mercredi, avant de faire le tour du pays. Le Nouveau Parti démocratique (NPD) et le Parti libéral ont sommé le ministre de présenter ses excuses au numéro deux du gouvernement provincial durant la période de questions le même jour.

Le ministre répondait à un courriel de son collègue, Blaine Calkins, dans lequel ce dernier faisait état d'une demande de rencontre du vice-premier ministre avec les députés conservateurs de l'Alberta. M. Lukaszuk était de passage à Ottawa jeudi.

Dans une réponse envoyée à tous les destinataires de ce courriel, M. Kenney a écrit: «Je réponds un non sans équivoque à Lukaszyk [sic]. Je ne crois pas que ça ait du sens de créer un précédent et de tenir une réunion extraordinaire du caucus pour chaque ministre du gouvernement provincial qui visite. En plus, c'est un trou de cul total et complet.»

M. Kenney s'est abstenu de s'excuser publiquement et a choisi d'accuser ses adversaires libéraux et néo-démocrates de préconiser des mesures néfastes pour l'économie de l'Alberta. Il a aussi soutenu que le gouvernement Harper entretient de très bonnes relations avec le gouvernement progressiste-conservateur de la province.

M. Kenney a finalement donné un coup de fil à M. Lukaszuk après la période de questions afin de présenter ses excuses.

De toute évidence, le courriel embarrassant a été divulgué par un député albertain ou un adjoint qui voulait faire trébucher un Jason Kenney trop ambitieux dans sa propre province. Même si M. Lukaszuk a accepté les excuses, les propos désobligeants de M. Kenney vont laisser des traces dans sa propre cour, où les militants conservateurs en ont pris bonne note.

Cibler les communautés ethnoculturelles

Depuis que les troupes de Stephen Harper ont pris le pouvoir, en 2006, Jason Kenney a passé d'innombrables fins de semaine à courtiser les communautés ethnoculturelles des grands centres urbains en se rendant d'un festival ethnique à l'autre. Le ministre l'a fait en espérant que ces communautés, acquises aux libéraux pendant des décennies, décident d'appuyer le Parti conservateur.

Sa formation politique en a récolté les fruits aux dernières élections en faisant des percées historiques dans ces communautés. Or, si M. Kenney a multiplié ces rencontres afin de servir les intérêts électoraux de son parti, il l'a fait aussi afin de servir ses propres intérêts pour une éventuelle course à la direction.

Cela pourrait expliquer d'ailleurs la sortie intempestive du ministre Kenney contre La Presse, la semaine dernière, dans la foulée de la publication d'un texte portant sur l'expulsion imminente d'une mère d'origine colombienne et de ses deux enfants, alors qu'Ottawa accorde l'asile à son mari et à leurs deux autres enfants.

Dans un communiqué, le ministre s'est permis de faire la leçon à La Presse en affirmant que les journalistes doivent avoir la version des faits du Ministère avant de publier une telle histoire. Une sortie sans précédent pour un ministre d'un gouvernement, d'autant plus que son ministère a toujours eu l'habitude de ne pas commenter les cas d'immigration pour des raisons de respect de la vie privée.

Ambitions

Ce genre d'histoire porte évidemment ombrage à la réputation de M. Kenney parmi les communautés ethniques. Sa réaction illustre une fois de plus les ambitions de ce mordu de la politique.

Des sources ont aussi indiqué à La Presse que M. Kenney digère mal de voir d'autres ministres qui reluquent la direction du Parti conservateur arriver à Calgary afin de participer au fameux Stampede en juillet. L'an dernier, le ministre d'État aux petites et moyennes entreprises, Maxime Bernier, a été accueilli en véritable héros par des militants conservateurs durant ce rendez-vous des cow-boys. «Le prochain chef doit être un francophone et toi, tu penses comme nous», lui aurait lancé un militant conservateur.

La prochaine course à la direction du Parti conservateur, dont on a vu les balbutiements au cours des derniers jours, promet déjà d'être sans merci.