Le gouvernement Harper vient d'exempter une agence de surveillance ultra-secrète de son obligation de dévoiler ses états financiers trimestriels, au moment où elle bâtit un complexe de près de 1 milliard de dollars à Ottawa.

Le Centre de la sécurité des télécommunications (CST) défraie rarement la chronique, mais il joue un rôle crucial en matière de sécurité nationale. L'agence fédérale se spécialise dans l'écoute électronique et le décryptage des codes. Elle peut notamment intercepter des conversations privées entre des Canadiens et des étrangers afin de contrer d'éventuelles menaces militaires ou terroristes.

Le CST a fait partie du ministère de la Défense jusqu'en novembre dernier, lorsqu'elle est devenue une agence à part entière. Ce nouveau statut l'oblige à dévoiler en partie ses activités dans des rapports financiers, elle qui a toujours travaillé dans l'ombre.

Or, dans un décret publié il y a 10 jours, le gouvernement l'exempte de l'obligation de publier ses états financiers trimestriels.

L'opposition sourcille

Cette mesure «éliminerait le risque d'une divulgation non intentionnelle de renseignements à des étrangers sur les moyens opérationnels et les capacités du CST par la publication de résultats financiers trimestriels, ce qui protégerait la sécurité nationale», peut-on lire dans le décret.

L'agence continuera de publier des états financiers annuels. N'empêche, la décision fait sourciller les partis d'opposition.

«Ça s'inscrit dans une tendance plus généralisée où le gouvernement semble vouloir rendre le moins de comptes possible», dénonce le critique libéral en matière de Sécurité publique, Francis Scarpaleggia.

Le député souligne que le gouvernement Harper est en voie d'abolir le poste d'inspecteur général du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), l'organe chargé de surveiller cette agence d'espionnage.

Il constate aussi que le CST va cesser de publier ses états financiers trimestriels au moment même où il construit un siège social de 880 millions dans la capitale fédérale, un partenariat public-privé réalisé avec la société australienne Plenary Group.

Ce projet a été critiqué par certains employés du CST, qui craignent que la participation d'une entreprise privée dans la construction ne mette à risque des secrets d'État. La direction du CST a toujours maintenu que les entrepreneurs embauchés pour le chantier seraient scrutés à la loupe pour éviter des failles de sécurité.

Le critique néo-démocrate en matière de Défense, Jack Harris, estime que le gouvernement doit, au contraire, forcer le CST à rendre davantage de comptes aux parlementaires et aux contribuables.

«Le risque, c'est qu'il y ait des agences qui opèrent dans le secret, sans que le public sache ce qui s'y passe, que ces agences deviennent de petits empires», dit-il.

Reddition de comptes

Au bureau du ministre de la Défense, Peter MacKay, on assure que la CST continuera de rendre des comptes. En plus de publier des états financiers une fois par année, elle restera supervisée par un juge surnuméraire ou à la retraite. Ses activités continueront d'être scrutées par le commissaire à la vie privée, le vérificateur général et le commissaire de l'accès à l'information. Elle relèvera de comités parlementaires.

«Cette approche est cohérente avec l'engagement du gouvernement d'informer les contribuables canadiens de la manière dont leur argent est dépensé sans risquer la divulgation d'informations sur la capacité opérationnelle de l'agence», assure le directeur des communications du ministre, Jay Paxton.

Michel Juneau-Katsuya, ancien agent du SCRS et expert en matière de sécurité, convient qu'une agence ayant un mandat aussi sensible que la CST puisse devoir protéger certains renseignements, par exemple l'acquisition de matériel.

«Lorsqu'une organisation dite secrète publie ses rapports financiers, ça permet à des organisations étrangères offensives d'évaluer le type d'activité qu'elle fait, les achats qu'elle vient de faire, etc., dit-il. En faisant l'examen des états financiers d'une organisation, on peut en apprendre énormément sur elle lorsqu'on sait où regarder et comment regarder.»

Mais M. Juneau-Katsuya se dit préoccupé du relâchement de la surveillance des agences de renseignement sous le gouvernement Harper. Il souligne que des garde-fous comme l'inspecteur général du SCRS ont été créés précisément pour éviter des abus.

«Si l'on commence à abolir des postes comme celui de l'inspecteur général, j'ai des préoccupations, dit-il. Lorsqu'on dit qu'un organisme n'a pas besoin de présenter ses états financiers trimestriels pour des raisons de sécurité nationale, je peux comprendre dans la mesure où il y a un besoin opérationnel. Mais en même temps, il faut faire attention.»