En un an, les députés néo-démocrates ont vogué de surprise en surprise. Élus à la stupeur générale, sans préparation et parfois sans équipe, ils ont, en quelques mois, perdu leur chef, Jack Layton, et élu son successeur, Thomas Mulcair, au terme d'une longue course. Les mauvaises langues ne leur donnaient que quelques mois avant de se déchirer sur la place publique. Or, si deux députés du caucus ont quitté les rangs de l'opposition officielle, les troupes sont restées tissées serré. Thomas Mulcair s'impose comme le politicien que les Québécois préfèrent. Depuis leur mise en orbite, certains nouveaux députés se profilent comme les étoiles de demain. Au NPD, on a conscience d'avoir vécu, l'an dernier, un événement exceptionnel. Les élus veulent maintenant s'enraciner au Québec.

La scène se passe dans un ascenseur du parlement, peu avant le début de la période de questions.

Alexandre Boulerice et Robert Aubin discutent avec leurs attachés. Les portes se referment quand Justin Trudeau s'y faufile de justesse.

Tiré à quatre épingles, le fringant député n'a d'yeux que pour «Alexandre».

Tous deux s'échangent des blagues polies sur leur cravate: du violet pour Alexandre Boulerice, du rouge libéral pour Justin Trudeau.

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«Si tu veux, je t'en donnerai une», plaisante Trudeau avant de s'éloigner, d'un pas leste, dans les couloirs du parlement.

Difficile, à Ottawa, d'ignorer l'ascension d'Alexandre Boulerice.

Le député de Rosemont est passé en quelques mois de «jeune recrue» à porte-voix de son parti en Chambre et chouchou des médias.

Il s'est notamment «fait la main» avec le scandale estival du sommet du G8, quand ont été révélées les dépenses arbitraires de Tony Clement dans sa circonscription.

«J'ai une voix qui porte», reconnaît-il.

«J'espère peser, avoir une influence. Si je peux améliorer la vie des gens comme député, alors tant mieux.»

Mais l'étoile montante garde les pieds sur terre. S'il porte le costume et la cravate, il n'abandonne pas le sac à dos en toile.

Dans son bureau d'Ottawa, un portrait de Salvador Allende. Sur sa table de travail, un livre de Bernard Émond. Au-dessus, une affiche de la planète Mars; signe non pas qu'il est dans la lune, mais que sa famille est au centre de son système solaire. Le nom de la planète est l'acronyme des initiales des prénoms de ses quatre enfants.

Sa vie a viré à l'envers depuis son élection, et concilier le travail et la famille est une prouesse de chaque jour. Le jour de notre rencontre, il a décline l'invitation d'aller à 24 heures en 60 minutes le soir même: sa conjointe passe la soirée dans la capitale.

C'est un premier mandat pour Alexandre Boulerice. Mais contrairement à bon nombre de députés élus lors de la «vague orange», son arrivée en politique n'a rien d'accidentel. Il s'est présenté en 2008, pensait qu'il lui faudrait trois élections pour être élu. La deuxième aura finalement été la bonne.

«Quel beau job, s'enthousiasme-t-il. Je ne pensais pas que ça serait aussi bien.»

Alexandre Boulerice avance en politique avec assurance et sérénité. Il a de l'ambition, mais ne sacrifiera pas ses idéaux de justice et d'équité aux jeux de coulisses.

Proche du militantisme syndical, habitué au tutoiement, Alexandre Boulerice admet un petit changement à sa vie.

«Maintenant, on m'appelle monsieur», sourit-il.

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Après le 2 mai, les jeunes élus ont dû recruter leur personnel, trouver des bureaux et, parfois, repartir de zéro dans les dossiers de leurs citoyens jalousement gardés par leurs prédécesseurs.

La cohorte de nouveaux élus néo-démocrates au Québec a changé le visage de la Chambre des communes. Devant les troupes conservatrices majoritairement masculines, celles du NPD - jeunes, féminines, multiethniques - détonnent.

Elles comptent aussi leur lot d'idéalistes: c'est le cas de Robert Aubin, député de Trois-Rivières.

Cet ancien professeur au séminaire Saint-Joseph a gardé de l'enseignement un ton pédagogue et une allure de bon élève.

Près d'un an après son élection, il s'est familiarisé avec les règles du jeu à Ottawa. Il n'avait pas de compte Facebook, il a maintenant avec son BlackBerry la relation de dépendance qui est de mise dans le monde politique. Ottawa vit sous les diktats des vibrations et clignotements incessants de l'emblématique téléphone canadien.

Et pourtant, après l'élection d'un gouvernement conservateur majoritaire pour la première fois depuis 2006, les règles du jeu ont changé. Entre un nombre record de recours à la clôture des débats, des décisions adoptées dans la controverse (le retrait du protocole de Kyoto, l'abolition du registre des armes à feu) et les scandales qui se sont succédé, la première année du nouveau gouvernement a été sans répit.

Robert Aubin s'en émeut. «Personne n'aurait imaginé que les conservateurs soient aussi arrogants», dit-il.

Comment les électeurs ont-ils pu choisir de tels représentants? Il s'interroge, et cherche à percer leur mystère.

«On devrait faire une téléréalité: on a échangé nos députés», plaisante-t-il.

Si les scandales sur la colline sont passionnants, en dehors du monde politique, les coups se marquent ailleurs: dans les circonscriptions québécoises.

Les élus néo-démocrates du Québec se comparent à un arbre qui compte beaucoup de feuilles, mais dont les racines doivent grandir.

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«J'habite presque dans ma voiture.»

Depuis son élection, Ruth Ellen Brosseau sillonne les routes de sa circonscription, Berthier-Maskinongé.

«J'ai toujours travaillé avec les gens. J'adore mon travail, parler avec les gens... Je crois que pour être un bon député, il faut être proche des gens», estime-t-elle. En cela, son mandat électoral ressemble à son ancien métier, gérante adjointe d'un pub.

En personne, Ruth Ellen Brosseau éclipse sans effort le cliché propagé partout après son élection: une jeune anglophone unilingue élue sans le demander, une mère seule qui préfère ses vacances à Vegas à sa propre campagne.

Si cette image injuste l'a blessée, elle n'en laisse rien paraître.

«Il faut avoir la peau épaisse, explique-t-elle, dans un français courant, teinté d'un petit accent anglais. J'ai eu mon gars tôt, à 17 ans. J'ai appris à avoir confiance. C'est ce que je voulais, et personne n'aurait pu m'arrêter.»

Adolescente, Ruth Ellen Brosseau voyait le monde de la politique comme quelque chose de «croche». Mais les difficultés auxquelles elle a fait face comme mère célibataire lui ont donné envie de se joindre au parti de Jack Layton.

Elle a entamé son mandat avec détermination, est arrivée en Chambre sous les regards des curieux et les encouragements des politiciens. Ses appréhensions ont été dissipées par le mot qu'un ministre conservateur lui a glissé, pour sa première rentrée: «Ne lâchez pas! Je suis fier de vous.»

Ruth Ellen Brosseau a consacré tous les lundis soir pendant près de 10 mois à rencontrer les édiles de sa circonscription.

Sa vaste circonscription n'est pas épargnée par les problèmes économiques et sociaux. C'est le cas de Saint-Gabriel-de-Brandon, où nous l'accompagnons un soir de mars.

«Dans la région, remarquez, on a cet avantage d'avoir touché le fond du baril, donc, dans ce temps-là, on peut juste remonter», dit un élu.

La table est masculine, et le maire s'en excuse. «On est dans un monde d'hommes», dit-il. Dans un sourire, non sans un certain sens de la répartie, Ruth Ellen Brosseau répond du tac au tac: «Oui, nous travaillons pour changer ça!»

Les élus municipaux pensent rarement à se tourner vers leur député fédéral. Manifestement, la démarche de Ruth Ellen Brosseau les séduit.

Venue accidentellement à la politique, la jeune néo-démocrate y voit son avenir.

«J'ai gagné les élections sans campagne, sans faire de porte-à-porte. Maintenant, je travaille fort.»

Avec le NPD, elle espère participer à l'élection du premier gouvernement néo-démocrate.

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Photo: Ivanoh Demers, La Presse

Ruth Ellen Brosseau, députée du NPD dans Berthier-Maskinongé.

Les prochaines élections, Pierre-Luc Dusseault y pense déjà.

À 19 ans, il est devenu le plus jeune député jamais élu à la Chambre des communes. À 20 ans, il est devenu président du Comité permanent de l'accès à l'information, battant une nouvelle fois un record d'âge.

Élu à Sherbrooke à la barbe de Serge Cardin, député bloquiste pendant près de 13 ans, le jeune homme espère que le NPD va s'enraciner à Sherbrooke: localement, le parti compte maintenant 300 membres.

Son visage, caché par des lunettes conventionnelles, est encore enfantin. Mais Pierre-Luc Dusseault est à son aise dans son nouveau costume de député.

Nous l'avions rencontré le 3 mai 2011, au lendemain de son élection, dans son appartement de Sherbrooke. Près d'un an plus tard, c'est à son bureau de circonscription que nous le retrouvons. Entre l'étudiant flegmatique et le député, peu de choses ont changé: sa compagne est toujours à ses côtés, il a déménagé, certes, mais vit normalement. Il a appris à gérer du personnel et un bureau de circonscription doté d'un budget annuel de 300 000$.

Pour le reste, le jeune homme bâtit son «réseau»: gens d'affaires, organismes communautaires, quidams. Il travaille son terrain. Il semble toujours impassible.

«J'ai eu une attention importante quand j'ai été élu», dit-il.

Il est jeune, mais il connaît le pouvoir de l'image. La publicité dont il a été l'objet dans les médias canadiens s'est révélée payante: on s'est attaché à lui, et on le reconnaît dans la rue.

«Un travail que les députés ont à faire, c'est de se faire connaître. Si je n'avais pas pris mon travail au sérieux, si je n'avais pas eu l'air intéressé, la réaction aurait été moins positive.»

Pour le NPD, tout est à bâtir. «On ne se le cache pas, il n'y avait pas de bases partisanes très grandes, explique-t-il. Souvent, ce qu'on voit, c'est que les gens connaissent leur député local. Notre objectif, c'est de travailler chez nous, pour que les gens votent pour nous plus que pour notre parti.»

Le jeune homme se plie quant à lui avec plaisir à l'exercice: il passe ses fins de semaine à parcourir les événements locaux avec sa compagne. Il se prive sans mal de virées dans les bars: c'est quelque chose qu'il ne faisait pas avant d'être élu. Il suivait aussi dès l'adolescence la retransmission, à la télévision, des débats à la Chambre des communes: une activité dont peu d'adolescents peuvent se vanter.

Ses rêves sont surtout en politique.

«À court terme, c'est sûr que j'aimerais être réélu. À long terme, j'aimerais être apprécié, sentir que les gens sont contents de mon travail. Je veux gagner des votes... C'est sûr que j'ai de l'ambition en politique, que je veux monter dans le parti. Mais mon rêve premier, c'est d'être apprécié.»

Photo: Ivanoh Demers, La Presse

Pierre-Luc Dusseault, député du NPD à Sherbrooke.