Au plus fort de l'offensive de l'OTAN en Libye, le Canada craignait que l'ancien dictateur Mouammar Kadhafi ne réussisse à trouver refuge dans un pays voisin où il aurait pu commanditer des attentats terroristes.

La crainte était telle que les autorités canadiennes ont élaboré un plan afin d'exercer des pressions diplomatiques sur les pays du nord de l'Afrique qui auraient pu être sympathiques à la cause de Kadhafi pour les dissuader d'accueillir le dictateur déchu sur leur territoire.

Des notes du ministre des Affaires étrangères du 15 septembre 2011, que La Presse a obtenues en vertu de la Loi sur l'accès à l'information, démontrent que le Canada ne voulait pas se contenter d'envoyer des avions CF-18 pour faire respecter la zone d'exclusion aérienne en Libye et combattre les forces aériennes de Kadhafi dans le cadre de la mission menée par l'OTAN et appuyée par l'ONU.

Le Canada entendait aussi tirer toutes les ficelles diplomatiques à sa disposition pour empêcher Mouammar Kadhafi et ses plus fidèles collaborateurs de fuir la Libye sans avoir à répondre de leurs actes.

Les autorités canadiennes voulaient aussi éviter que le dictateur trouve refuge ailleurs pour mieux financer des activités terroristes en Libye ou dans d'autres pays. D'autant plus que certains membres de sa famille s'étaient réfugiés en Algérie et que d'autres avaient tenté de fuir au Niger.

Influencer les pays limitrophes

«L'ancien président libyen Mouammar Kadhafi n'a pas encore été trouvé. Il appert qu'il a réussi à obtenir des lingots d'or et de l'argent de la part des institutions libyennes. Il existe une vive inquiétude que Kadhafi utilise ces ressources pour provoquer davantage d'instabilité en Libye et dans les régions limitrophes et qu'il parraine des actes de terrorisme à l'international», peut-on lire dans les notes rédigées à l'intention du ministre des Affaires étrangères, John Baird.

«Par conséquent, il existe une crainte que Kadhafi tente d'obtenir l'asile et de l'aide des pays voisins qui ont maintenu de bonnes relations avec la Libye. [...] Une évaluation des positions possibles que ces pays pourraient prendre dans le cas d'une demande d'aide de Kadhafi a été réalisée. Une étude sur les options dont dispose le Canada pour influencer ces pays afin qu'ils s'abstiennent de fournir toute aide ou tout asile à Kadhafi a aussi été menée», ajoute-t-on dans les notes.

Les détails des options qui s'offraient aux autorités canadiennes ont toutefois été entièrement censurés dans les documents obtenus par La Presse.

Mouammar Kadhafi est mort environ un mois plus tard, le 20 octobre 2011, près de Syrte, après que le convoi qui le transportait eut été déstabilisé par les avions de l'OTAN et attaqué par les rebelles libyens qui souhaitaient son départ du pouvoir.

Le ministre Baird actif

Une source gouvernementale a confirmé que le ministre John Baird a profité des rencontres des «amis de la Libye» auxquelles a participé le Canada pour exercer des pressions diplomatiques sur les pays voisins afin qu'ils ne fournissent aucune aide à Kadhafi.

Le Conseil national de transition, organe des rebelles libyens, a participé à ces rencontres. «Le ministre tenait à ce que cette mission soit couronnée de succès à tous les égards», a-t-on indiqué.

M. Baird a d'ailleurs été l'un des premiers ministres des Affaires étrangères à se rendre à Benghazi, première grande ville libyenne à être tombée sous le contrôle des rebelles, en juin 2011, peu de temps après sa nomination comme ministre responsable de la diplomatie canadienne.

Le Canada a aussi été l'un des premiers pays à rouvrir son ambassade à Tripoli, peu de temps après que les rebelles eurent pris le contrôle de la capitale en septembre 2011.

«Nous avons démontré que nous pouvions jouer dans la cour des grands sur le plan militaire durant cette opération. Mais le ministre Baird tenait aussi à le faire sur le plan diplomatique», a indiqué une source gouvernementale. Cette source a souligné que M. Baird s'est fait le champion de certaines causes auprès des alliés du Canada, dont des investissements pour se débarrasser des armes chimiques laissées derrière par le régime de Kadhafi. Le Canada a mis quelque 6 millions de dollars sur la table à cette fin.

Dans le cadre de la mission de l'OTAN en Libye, le Canada a déployé 650 militaires, sept avions de chasse CF-18, deux ravitailleurs, une frégate et des aéronefs de patrouille maritime. Le commandant en chef des opérations de l'OTAN était un Canadien, le lieutenant général Charles Bouchard.

- Avec William Leclerc