Comme des centaines d'autres fonctionnaires fédéraux, Johanne (nom fictif) devrait recevoir lundi matin un courriel qui lui dira si elle garde ou non son emploi, dans la foulée des compressions annoncées dans le dernier budget fédéral.

Dans les faits, ce courriel pourrait lui dire deux choses: premièrement, que son poste sera «touché» par les coupes de 20 000 emplois en trois ans annoncées le 29 mars. Dans ce cas-ci, elle devra attendre plusieurs semaines avant de connaître son sort, le temps de laisser aux patrons le soin de décider lesquels, parmi ses collègues ou elle, resteront au sein d'une équipe réduite.

La deuxième option, la plus plausible, selon ses informations: que son poste sera aboli ou, dans le jargon bureaucratique, qu'elle sera «optée». Elle aurait alors le choix d'accepter une indemnité de départ ou de se placer sur une liste de fonctionnaires «excédentaires» pendant 12 mois, et espérer être réaffectée ailleurs dans l'appareil fédéral.

Mais dans les deux cas, le résultat est le même, dénonce la femme dans la cinquantaine qui occupe un poste de soutien administratif: c'est la même incertitude, le même stress, qui pourrait durer pendant encore plusieurs mois.

«C'est le néant, dit-elle. On est en attente. C'est comme d'avoir une épée de Damoclès au-dessus de la tête».

Plus de 10 000 lettres

La fonctionnaire de la région d'Ottawa, qui a requis l'anonymat pour éviter les représailles, est loin d'être la seule dans cette situation. Selon les principaux syndicats, plus de 10 000 fonctionnaires ont jusqu'ici reçu de tels avis de leur employeur. Plus de 7000 ont été envoyés dans la dernière semaine seulement.

Parmi les employés touchés, on compte une centaine d'inspecteurs de l'Agence d'inspection des aliments - une manoeuvre qui a soulevé des protestations. À l'Agence des services frontaliers, le syndicat qui représente les douaniers a compté plus de 1000 lettres envoyées à ses membres. Son président a agité le spectre de la menace à la sécurité nationale pour tenter de faire reculer le gouvernement. L'Institut professionnel de la fonction publique, quant à lui, a déploré l'envoi de 2000 lettres aux scientifiques et professionnels qu'il représente, dans des ministères et agences comme Santé Canada, Environnement Canada ou l'Agence spatiale canadienne.

»Au compte-gouttes»

On ignore combien de ces lettres seront encore envoyées, ni jusqu'à quand.

À l'Alliance de la fonction publique du Canada (AFPC), qui représente près de 150 000 des 280 000 fonctionnaires fédéraux, on dénonce la manière dont le gouvernement Harper s'y prend pour annoncer ses coupes depuis deux semaines. Selon Larry Rousseau, vice-président exécutif régional de l'AFPC, le gouvernement sait très bien le nombre de postes qui seront abolis, lesquels et dans quels ministères.

«Je déplore depuis le début la manière dont les nouvelles sont annoncées au compte-gouttes», dit-il. Les syndicats eux-mêmes sont informés à la pièce, quelques jours à l'avance, si bien qu'ils peinent à garder le compte.

Ni le Secrétariat du Conseil du Trésor ni la Commission de la fonction publique n'ont pu nous donner hier de chiffres sur les lettres envoyées jusqu'ici.

Selon M. Rousseau, les grands perdants sont les fonctionnaires: «Les employés sont laissés dans l'incertitude, et ça crée énormément de stress.»