La course à la direction du NPD, qui s'est conclue par l'élection de Thomas Mulcair, ne passera pas à l'histoire comme l'une des plus excitantes au Canada, mais elle trône certainement en tête des moins coûteuses. Faute de moyens, les candidats à la succession de Jack Layton ont dû adopter le principe de la simplicité volontaire. Budgets faméliques, dépenses minimales et dettes personnelles, retour sur une campagne minceur.

En tourisme, le concept «dormir chez l'habitant» existe depuis longtemps. Nécessité oblige, l'ex-candidat à la direction du NPD Brian Topp a expérimenté un nouveau concept en politique: «dormir chez le militant».

«Tout au début de ma campagne, il y a sept mois, je suis allé rencontrer Bill Blaikie (NDLR: personnalité politique marquante du Manitoba et ancien doyen des députés néo-démocrates aux Communes) pour lui demander des conseils, et il m'a suggéré de coucher chez les gens, chez des militants, plutôt que de m'ennuyer tout seul le soir dans des hôtels anonymes, raconte M. Topp. J'ai suivi ce conseil et cela m'a permis de rencontrer des gens merveilleux partout au pays et de discuter avec eux.»

Judicieux conseil que de rencontrer des gens, certes, mais le recours à la simplicité volontaire de Brian Topp a d'abord et avant tout été dicté par pure nécessité financière. Tout comme les longs voyages seul en avion à travers le pays, coincé avec les gens ordinaires en classe économique, les repas chez Tim Hortons ou les soirées pizza.

Quant aux sondages, aux publicités, aux gadgets promotionnels de campagne, aux équipes de pointeurs à pied d'oeuvre sept jours sur sept, aux conseillers et aux relationnistes payés dans chaque province, aux chauffeurs, oubliez ça! Quand on doit faire campagne pendant sept mois dans un pays aussi grand avec à peine 400 000$, la frugalité n'est pas un choix philosophique, c'est une nécessité.

M. Topp, comme ses rivaux, a dû faire appel à des bénévoles pour se déplacer, pour organiser des rencontres avec les militants et les médias, pour tenir les listes à jour, pour préparer les discours, bref, pour tout.

«On doit accomplir des miracles et faire preuve de beaucoup d'imagination pour mener une si longue campagne avec si peu de moyens», a dit Brian Topp à La Presse quelques jours avant la fin de la course.

Tout est calculé au dollar près dans une campagne aussi modeste. Au moment où le Parti conservateur dépensait des centaines de milliers de dollars en publicité «préventives» contre le chef libéral Bob Rae, les candidats à la direction du NPD devaient choisir minutieusement le meilleur moment, le seul moment, pour envoyer aux militants un bon vieux dépliant par la poste!

Et encore, avec un budget de près de 400 000$, M. Topp (comme Thomas Mulcair, qui a recueilli autour de 350 000$, selon ses organisateurs) roulait sur l'or comparativement aux autres candidats.

En fait, l'expression «rouler sur l'or» est largement exagérée, ici, puisque Brian Topp a dû contracter sur sa maison à Toronto une nouvelle hypothèque de 100 000$, soit environ le quart du budget total de sa campagne, pour couvrir les frais. Il devra évidemment rembourser cette somme à la banque.

À votre bon coeur...

Après avoir publié, lundi, son communiqué de fin de campagne, l'équipe Topp a ajouté cette note sur son site internet: «Si vous voulez démontrer votre appréciation des idées que Brian a amenées dans cette campagne, SVP pensez à donner généreusement. Votre don de 100$, 200$ ou 400$ -ou un autre montant selon vos moyens- aidera à rembourser la dette que Brian a contractée pendant cette campagne.»

Le vainqueur de la course, Thomas Mulcair, s'en tirera mieux, selon ses organisateurs, notamment parce qu'il récoltait entre 35 000$ et 40 000$ par semaine en fin de campagne. Cela dit, la campagne Mulcair a dû recourir à une marge de crédit et terminera vraisemblablement avec une dette de quelques dizaines de milliers de dollars, selon Raoul Gébert, organisateur en chef du nouveau chef néo-démocrate.

«Nous avons dû être très conservateurs dans nos choix durant la campagne. Dans le sens de prudent, je veux dire!», explique M. Gébert.

Contrairement à Brian Topp, M. Mulcair dormait à l'hôtel pendant ses déplacements, mais il voyageait lui aussi seul, parfois avec une personne, et en classe économique.

Une nouvelle époque

À une époque où les liens entre l'argent et la politique soulèvent régulièrement des questions éthiques, le NPD a réinventé, par la force des choses, le modèle de la campagne à la direction. Les grosses machines ont fait place à la brigade légère.

Ensemble, les sept candidats ont reçu et dépensé moins de 1,5 million de dollars (les derniers chiffres n'ont pas encore été remis à Élections Canada): MM. Mulcair et Topp, de 350 000 à 400 000$; Paul Dewar et Peggy Nash, autour de 150 000$; Nathan Cullen, autour de 100 000$; des miettes pour Martin Singh (environ 50 000$) et Niki Ashton (autour de 30 000$).

Imaginez: 400 000$ (au mieux!) pour 30 semaines de campagne, soit 13 000$ par semaine. De plus, les candidats devaient remettre 15% de leurs dons au parti, qui a aussi grand besoin d'argent.

Encore étonnant que sept des neuf candidats aient continué jusqu'au bout, dont le Néo-Écossais Martin Singh, qui a contracté un emprunt de 170 000$ pour faire campagne (il s'est retiré après le premier tour au congrès avec 5,8% des voix).

Romeo Saganash, lui, a abandonné la course après près de cinq mois. Au congrès de Toronto, il avait lui aussi un bureau de campagne au même étage que les candidats toujours en lice. Ce n'était toutefois pas pour attirer des votes, mais plutôt afin d'amasser des dons pour éponger ses dettes, qu'il estime à environ 25 000$. Les bénévoles de M. Saganash ont notamment organisé un encan silencieux d'oeuvres d'art autochtones dans le but de renflouer les coffres de la campagne.

Un plafond... bas

Les autorités du NPD avaient fixé à 500 000$ le plafond des dépenses dans cette course, une somme plutôt modeste pour une campagne si longue dans un pays aussi grand. Aucun candidat n'a atteint ce plafond. Tout un contraste avec les dernières courses à la direction sur la scène fédérale, que ce soit au Parti libéral ou au Parti conservateur.

En 2006, lors de la dernière course au PLC, les 10 candidats ont amassé 14 millions de dollars, et trois d'entre eux (Stéphane Dion, Bob Rae et Michael Ignatieff) ont dépensé 3 millions, soit près du plafond autorisé, qui était de 3,4 millions. Même d'obscurs candidats qui n'avaient aucune chance de victoire, comme Gerard Kennedy (1,8 million) et Maurizio Bevilacqua (1 million) ont amassé de trois à cinq fois plus d'argent que les plus riches aspirants à la direction du NPD.

La plupart des candidats libéraux de 2006 ont toutefois terminé cette course avec de lourdes dettes, et au moins un d'entre eux, Ken Dryden, n'a toujours pas fini de rembourser, plus de cinq ans plus tard. Selon les données d'Élections Canada, M. Dryden devait toujours 135 000$ au 31 décembre dernier.

Bob Rae a rapidement réglé ses dettes de campagne, mais les autres, y compris Stéphane Dion et Michael Ignatieff, ont mis quelques années avant d'effacer l'ardoise à force de soirées de financement et de collectes de fonds auprès des militants. Élections Canada exige des comptes des anciens candidats, qui doivent lui fournir des rapports financiers régulièrement. Il n'est pas permis, notamment, de se faire soi-même un prêt sans le rembourser (ce qu'on avait appelé à la blague la clause «Belinda» à l'époque où la richissime Mme Stronach tentait de se faire élire à la tête du PC).

Par ailleurs, un ancien candidat qui ne peut respecter les délais de remboursement fixés par la loi doit demander une prolongation à un juge, ce qui rend l'après-campagne encore un peu plus pénible.

Paul Martin, par contre, n'a pas eu ce problème en 2003, lui qui avait recueilli au moins 12 millions pour succéder à Jean Chrétien dans une course dont l'issue était connue d'avance! M. Martin avait amassé tellement d'argent que, une fois élu, il avait donné 3 millions excédentaires à son parti.

En 2004, Stephen Harper avait pour sa part amassé des dons totaux de 2,7 millions pour la campagne (contre Belinda Stronach et Tony Clement) qui allait le faire élire chef du nouveau Parti conservateur.

Mais les règles de financement ont changé après 2004: les dons des entreprises aux partis et aux candidats à la direction sont interdits, et ceux des individus sont plafonnés.

Il est révolu le temps où n'importe quel candidat à la direction d'un parti pouvait réunir quelques généreux avocats, ingénieurs ou entrepreneurs dans une petite salle privée et en ressortir avec quelques dizaines de milliers de dollars en dons.

En vertu des nouvelles lois, seuls les individus peuvent contribuer à la caisse d'un candidat à la direction d'un parti et ils ne peuvent donner plus de 1200$.

De plus en plus difficile

Le financement des campagnes électorales (internes ou nationales) deviendra encore plus difficile dans les prochaines années avec l'abolition du financement public aux partis politiques promise par Stephen Harper. Privés de financement public, les partis vont devoir solliciter encore davantage leurs militants pour les élections générales ou partielles, pour la campagne annuelle, pour leur député local et pour les courses à la direction. Les collecteurs de fonds des partis politiques risquent d'entendre souvent l'expression «J'ai déjà donné»...

Les sept candidats à la direction du NPD ont prouvé qu'on peut faire campagne avec peu de moyens, mais il y a des limites aux économies. On ne peut tout de même pas demander à un aspirant à la direction d'un parti de sillonner le Canada en auto-stop et de dormir sous les ponts...

Les partis devront élargir leur base militante et créer des mouvements, notamment en utilisant mieux les réseaux sociaux, ce que le NPD n'a pas su faire dans cette course: après une campagne de sept mois pour la direction d'un parti de 135 000 membres (le deuxième en importance après le Parti conservateur), Thomas Mulcair et Brian Topp ne comptaient respectivement que 8700 et 8000 abonnés Twitter.

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Budgets de courses à la direction

Paul Martin (PLC, 2003)*

Récolté: 12 millions

Plafond de dépenses autorisé: 4 millions

Stephen Harper (PCC, 2004)*

Récolté: 2,7 millions

Plafond de dépenses autorisé: 3 millions

Parti libéral 2006

Récolté:

Stéphane Dion: 3 millions

Michael Ignatieff: 3 millions

Bob Rae: 3 millions

Gerard Kennedy: 1,8 million

Maurizio Bevilacqua: 1 million

Joe Volpe: 900 000$

Scott Brison: 800 000$

Ken Dryden: 700 000$

Martha Hall-Finlay: 466 000$

Hedy Fry: 135 000$

Plafond de dépenses autorisé: 3,4 millions

NPD 2012**

Récolté (prêts compris): n.d.

Thomas Mulcair: environ 350 000$

Brian Topp: environ 350 000$

(dont un supplément hypothécaire de 100 000$)

Martin Singh: environ 230 000$

(dont 170 000$ en prêt)

Paul Dewar: environ 150 000$

Peggy Nash: environ 150 000$

Nathan Cullen: environ 100 000$

Niki Ashton: environ 30 000-35 000$

Plafond de dépenses autorisé: 500 000$

* En 2003 et 2004, les dons des entreprises étaient toujours permis. La nouvelle loi interdit les dons de sociétés et limite les dons des individus à 1200$ par année.

**Les différents candidats n'ont pas encore remis leur rapport définitif à Élections Canada.