Pas question d'abandonner les valeurs canadiennes comme la défense des droits de la personne pour une poignée de dollars. Tel était le message de Stephen Harper à la Chine après son élection en 2006. Le premier ministre arrive dans ce pays pour la deuxième fois en deux ans, mardi. Un réchauffement diplomatique auquel le pétrole des sables bitumineux n'est pas étranger, disent les experts. À quel point cette ressource controversée - et lucrative - a-t-elle changé la politique étrangère du Canada?

Les députés du Parlement européen s'attendaient à ce que l'industrie pétrolière grince des dents lorsqu'ils ont présenté une nouvelle norme sur les carburants. S'il est adopté, le règlement taxerait les pétroles les plus polluants. Mais à la surprise générale, c'est plutôt un pays qui mène le combat contre le projet: le Canada.

Le député européen Kriton Arsenis, qui était de passage au Canada pour discuter de la nouvelle norme européenne l'automne dernier, s'est dit estomaqué par la prise de position d'Ottawa. Jamais il n'aurait cru qu'un allié aussi proche puisse s'élever contre un règlement qui vise à réduire la pollution.

Le pays des Casques bleus, de la Gendarmerie royale et du sirop d'érable n'est plus le même sur la scène internationale. Selon plusieurs, la politique étrangère du Canada est de plus en plus calquée sur les intérêts de l'industrie pétrolière.

L'accrochage avec l'Europe a un lien direct avec le voyage qu'amorce Stephen Harper en Chine aujourd'hui, estime Michael Byers, professeur de politique internationale à l'Université de la Colombie-Britannique. Selon lui, le pétrole est désormais au coeur de la diplomatie canadienne.

«Cela démontre que M. Harper est entièrement dédié à militer en faveur des sociétés pétrolières, affirme M. Byers, chercheur associé à la chaire Raoul-Dandurand. Ironiquement, ce sont surtout des sociétés détenues par des intérêts étrangers.»

Stephen Harper a jeté une douche froide sur les relations sino-canadiennes à son arrivée au pouvoir, en 2006. À l'époque, disait-il, il n'était pas question de compromettre les valeurs canadiennes comme les droits de la personne au nom du «dollar tout-puissant».

Six ans plus tard, M. Harper amorce son second voyage dans l'empire du Milieu. Au cours des derniers mois, le premier ministre a plusieurs fois martelé sa détermination à ouvrir le marché asiatique aux ressources naturelles canadiennes.

Le pétrole pèse lourd dans ce changement de ton, estiment les experts. Tout comme il explique une série de décisions diplomatiques prises au cours des derniers mois.

Ottawa a notamment annoncé son retrait du protocole de Kyoto en décembre. Quelques semaines plus tôt, M. Harper avait promis de chercher de nouveaux débouchés pour nos ressources après que Washington eut refusé de donner son aval au projet de pipeline Keystone.

Chinois assoiffés

«Sans aucun doute, c'est devenu un conducteur significatif de la politique du gouvernement», constate Paul Heinbecker, ancien ambassadeur du Canada à l'ONU et chercheur à l'Université Wilfrid Laurier de Waterloo.

L'influence du pétrole n'est pas seulement ressentie dans les relations diplomatiques. Elle a aussi des répercussions majeures dans l'administration intérieure du pays.

Le ministre des Ressources naturelles, Joe Oliver, a récemment dénoncé l'influence des «écologistes radicaux» et des groupes d'intérêts étrangers dans le débat sur l'exploitation des ressources canadiennes. Cette sortie survenait 24 heures avant le début d'audiences publiques sur le projet controversé Northern Gateway. Ce pipeline acheminerait le pétrole albertain vers l'océan Pacifique par le nord de la Colombie-Britannique. De là, il serait expédié en Asie.

Début janvier, la société d'État PetroChina est devenue la première entreprise chinoise à acquérir la totalité d'un champ pétrolifère dans l'Ouest canadien. Elle a investi 680 millions pour racheter la part de son partenaire, Athabasca Oil Sands Corporation. Cette transaction est la dernière d'une série d'investissements de provenance chinoise dans le pétrole canadien depuis deux ans.

«Nous sommes maintenant dans une position où la croissance économique mondiale vient de l'Asie, constate Paul Heinbecker. Nous devons nous placer dans une position où nous pouvons importer, exporter et investir dans ce continent.»

Le changement de cap du Canada pourrait toutefois être lourd de conséquences, estime la critique du NPD en matière de politique étrangère, Hélène Laverdière. En faisant une promotion aussi active des sables bitumineux, dit-elle, le pays risque de ternir sa réputation internationale.

«C'est comme si ce n'était plus un partenaire qui voulait contribuer aux efforts mondiaux, dénonce-t-elle. C'est juste un partenaire qui veut recevoir. Le meilleur exemple, c'est Kyoto, où le Canada a refusé de participer aux efforts mondiaux et seulement essayé de les saborder.»

Pendant ce temps, la promotion des droits de la personne en Chine semble en prend pour son rhume, estiment les critiques du gouvernement Harper. Ça survient à un moment où le régime multiplie la répression envers les dissidents. Au cours des dernières semaines, des tribunaux chinois ont condamné trois militants des droits de la personne.