Des Chinois, possiblement diplomates, auraient été surpris à plusieurs reprises en train d'espionner l'ambassade des États-Unis à Ottawa. De plus, la Chine et l'Iran auraient recours à des entreprises paravents pour tenter de se procurer des technologies protégées.

C'est ce que l'on apprend à la lecture de milliers de pages de câbles diplomatiques américains classés «secrets» que WikiLeaks a remis à La Presse.

Au printemps 2009, le responsable de la sécurité de l'ambassade des États-Unis à Ottawa rapporte que, parmi les 140 pays qui ont une ambassade à Ottawa, plusieurs disposeraient d'un service de renseignement «hostile». À tel point, dit-il, que les services de sécurité de l'ambassade ont reçu la consigne d'avoir particulièrement à l'oeil les véhicules diplomatiques qui «montreraient un intérêt» pour la forteresse américaine, promenade Sussex.

L'auteur de ce câble révèle aussi que l'on a observé à plusieurs reprises des individus «apparemment d'origine chinoise en train de photographier l'ambassade et ses occupants».

On soupçonne aussi l'ambassade de Russie de démontrer le même intérêt pour la représentation diplomatique américaine.

Un autre message, qui serait postérieur à 2007, fait référence à une rencontre entre deux hauts responsables du département d'État américain et du SCRS. Il y a notamment été question de la «menace» représentée par l'Iran et la Chine, qui se serviraient d'entreprises d'État avec couverture diplomatique ou de sociétés-écrans pour contourner les mécanismes de contrôle américains sur l'acquisition de technologies militaires (International Traffic in Arms Regulations). Ce programme controversé a déjà retardé ou empêché la livraison de matériel militaire américain au Canada. L'Iran déploie aussi de grands efforts pour mettre la main sur des composants et du matériel (centrifugeuses, condensateurs, etc.) indispensables dans le processus de fabrication de la bombe atomique.

Il faut souligner que, dans les deux câbles évoqués ici, les Américains louangent le travail du Canada, en particulier celui du SCRS, tant en matière de contre-espionnage que de lutte contre le terrorisme. Ils ne notent aucun incident ayant visé l'ambassade et son personnel depuis 2002, ce qui contraste avec les critiques exprimées dans le passé par certains politiciens américains.

Selon le site du ministère des Affaires étrangères du Canada, la République populaire de Chine a au Canada près de 170 consuls, attachés militaires, délégués commerciaux et autres employés administratifs à l'ambassade et dans les divers consulats.

«Hyperactivité» chinoise

Dans les dernières années, des officiels canadiens ont dénoncé plusieurs fois les activités d'espionnage de la Chine. En 2007, l'ex-directeur du SCRS Jim Judd avait évoqué devant un comité sénatorial l'«hyperactivité» de certains touristes chinois. La Chine, selon lui, figure en tête de la liste de la quinzaine d'États qui mènent des missions d'espionnage «agressives» au Canada. Jim Judd avait même précisé que les James Bond de Pékin accaparaient 50% de son temps. À la même époque, Chen Yonglin, ex-diplomate chinois réfugié en Occident, a quant à lui soutenu que la Chine utilisait les services d'un millier d'espions et d'informateurs occasionnels disséminés en sol canadien.

Plus récemment, Richard Fadden, successeur de Jim Judd, avait suscité un tollé après avoir laissé entendre que la Chine avait bâti un efficace réseau d'influence au pays après avoir obtenu la faveur de politiciens, en particulier dans deux provinces. Impossible toutefois de connaître les noms des provinces et des politiciens dans la ligne de mire du service de contre-espionnage canadien. Plusieurs députés fédéraux, dont Olivia Chow, avaient réclamé la démission du directeur. Elle avait ironisé en expliquant que ce genre d'allégation «sans fondement» n'a sa place que «dans les romans et les salles de cinéma».

Michel Juneau-Katsuya, ex-chef du bureau Asie-Pacifique du SCRS, affirme quant à lui que de nombreux exemples documentés prouvent que le Canada est un terrain de jeu pour les espions internationaux: «De toute évidence, ils exploitent le fait que nous avons beaucoup d'ambassades pour s'espionner les uns les autres. Ils croient probablement qu'il est plus facile de le faire ici qu'à Washington.»

L'espionnage étant un jeu où tout le monde espionne tout le monde, même ses amis, en 2009, l'administration de Barack Obama a donné à toutes ses ambassades la consigne de collecter au profit de la CIA des renseignements le plus précis possible sur les personnalités et gouvernements des pays hôtes.

L'ambassade de Chine à Ottawa n'a pas répondu à nos questions, acheminées par courriel. Pour sa part, le ministère canadien des Affaires étrangères a indiqué qu'il ne commente pas les fuites.