Leurs parents ont été arrachés à leur famille pour être envoyés dans des écoles résidentielles. Une génération plus tard, ils ont eux aussi été déracinés de leur communauté, mais cette fois... par les services sociaux.

La commissaire Mary Wilson ne compte plus les «victimes intergénérationnelles» venues témoigner devant elle dans le cadre des audiences de la Commission de vérité et réconciliation sur les pensionnats autochtones au Canada.

«Plusieurs d'entre eux ont fait une douzaine de maisons d'accueil au cours de leur vie. Ils étaient eux aussi arrachés à leur culture, à leur langue, parce que leurs parents n'étaient pas en mesure de les élever», explique Mme Wilson.

Au Québec, l'enjeu est délicat.

Depuis 2008, une loi provinciale permet aux familles d'accueil d'adopter les enfants de moins de 2 ans dont elles ont la charge depuis 12 mois.

À l'époque, cette loi avait provoqué une levée de boucliers dans les communautés autochtones, qui y voyaient une menace pour la survie de leur culture par l'assimilation massive des enfants placés dans des familles blanches.

On craignait que les délais accordés soient trop courts pour permettre aux parents autochtones, dont plusieurs avaient subi le traumatisme des pensionnats, de se reprendre en mains et de conserver la garde de leurs enfants.

Cinq ans plus tard, aucune étude n'a encore démontré si ces craintes étaient fondées. Mais pour Marjolaine Sioui, présidente de la commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et du Labrador, il est clair que la loi a eu un effet pervers.

«Des enfants ont été placés de façon permanente hors de nos communautés. Ils sont perdus. On sait qu'il y en a beaucoup, mais on n'a pas de chiffres: leur famille adoptive n'étant pas identifiée «Premières Nations», ces enfants disparaissent des statistiques officielles.»

Cela dit, la catastrophe appréhendée n'a pas eu lieu, estime Daniel Turcotte, professeur à l'École de service social de l'Université Laval.

À preuve, pour l'ensemble du Québec, le nombre d'adoptions est resté stable après l'entrée en vigueur de la loi (336 adoptions en 2006-2007, contre 345 en 2011-2012).

«Les directeurs de la protection de la jeunesse sont très conscients de la réalité autochtone, dit M. Turcotte. Dans certains centres jeunesse, on a assoupli les critères de sélection des familles d'accueil pour permettre aux enfants de rester dans leur communauté.»

Reste que la majorité des jeunes autochtones sont toujours confiés à des Blancs, faute de familles d'accueil répondant aux critères de la DPJ dans les réserves.

Les motifs sont différents de ceux invoqués à l'époque des pensionnats, reconnaît Michèle Audette, présidente de l'Association des femmes autochtones du Canada. On ne cherche plus à assimiler volontairement un peuple, mais bien à protéger des enfants.

«Pourtant, les effets sont les mêmes.»

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Les ravages des pensionnats

Proportion d'autochtones du Québec et du Labrador

Qui ont eu des pensées suicidaires au cours de leur vie:

>Non-pensionnaires: 22%

>Anciens pensionnaires: 33%

Qui ont fait une tentative de suicide:

>Non-pensionnaires: 9%

>Anciens pensionnaires: 22%

Qui ont reçu un traitement contre la toxicomanie:

>Non-pensionnaires: 17,6%

>Anciens pensionnaires: 25,8%

Dont les enfants ont redoublé une année scolaire:

>Non-pensionnaires: 37%

>Anciens pensionnaires: 63%

Source: commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et du Labrador