Pendant des décennies, on a vidé les réserves de milliers de petits autochtones dans le but avoué de les assimiler à la société canadienne. Dans les pensionnats, on a volé leur enfance. Coupés de leur famille, ils n'ont jamais appris à devenir parents. Une génération plus tard, leurs propres enfants en subissent les conséquences. Et leurs petits-enfants. Pour marquer le début des audiences à Montréal de la Commission de vérité et réconciliation du Canada, voici l'histoire d'une tragédie qui n'en finit plus.

Mary Coon était à des centaines de kilomètres de la maison quand sa mère est morte. Arrêt cardiaque. Elle n'a jamais pu lui dire adieu. Le pensionnat indien de La Tuque qu'elle fréquentait a refusé de lui donner congé pour assister aux funérailles.

Mary Coon n'avait que 11 ans.

Ce jour-là, enfermée dans une chambre à l'étage du pensionnat, la jeune Crie a pleuré de rage et de désespoir. «Je voulais tant m'en aller! Chaque fois que je regardais par la fenêtre, je me disais: «Ça serait tellement facile de me tuer, de sauter, de me laisser glisser en bas...» «

Mary Coon s'interrompt un instant pour essuyer les larmes qui roulent sur ses joues. Un silence pesant s'abat dans la maison de cette arrière-grand-mère de 61 ans, à Wemotaci, réserve atikamekw accrochée aux rives du Saint-Maurice, à deux heures de route de La Tuque.

Recroquevillée sur le sofa du salon, Melissa ne bronche pas. Elle attend que sa mère reprenne le récit de ce pensionnat qui lui a volé son enfance. Une histoire cruelle que Melissa connaît trop bien, puisqu'elle en a elle-même subi, des années plus tard, le terrible ressac.

Des familles brisées

C'était il y a plus d'un demi-siècle, mais Mary Coon se souvient de l'employé du ministère des Affaires indiennes venu faire signer un papier à son père. Dehors, un policier de la GRC attendait devant la porte. «J'ai su tout de suite que je partais au pensionnat.»

Mary se souvient aussi de l'hydravion posé au milieu du lac pour récupérer les enfants de la réserve. Sa mère n'était pas montée à bord du canot pour éviter les adieux déchirants. «Quand l'avion a décollé, je l'ai vue courir au bord du lac. Je savais qu'elle pleurait.»

Au pensionnat, tout semblait étrange et effrayant. Les religieuses ont d'abord coupé les tresses des petites filles, avant de les faire passer à la douche. «Il y avait des enfants qui ne voulaient pas y entrer. On les frappait avec des serviettes mouillées.»

Mary ne comprenait strictement rien à ce qu'on lui demandait. Elle n'avait pas le droit de parler cri. Quand un mot lui échappait, on lui mettait du savon dans la bouche. Alors, elle a vite appris la langue des Blancs.

Pendant des années, on lui a répété que ses parents étaient païens, pouilleux, sauvages. À force, elle a fini par y croire.

En sortant du pensionnat, elle s'est totalement coupée de la culture autochtone. Elle s'est établie en ville, a rencontré un Blanc, un homme violent. Et a sombré dans l'alcool.

«Je suis devenue une femme soumise. Je me suis mise en danger, et j'ai mis mes enfants en danger. Je voulais remplir un vide. Mais à l'époque, je ne réalisais pas qu'il y avait ce vide en moi, ni cette colère. Moi, j'étais très violente quand je buvais.»

Mary Coon l'admet sans détour: elle n'a pas su être mère. «J'avais toujours peur. Peur d'être seule, peur de ne pas être à la hauteur, peur de ne pas être aimée... J'étais aussi surprotectrice, je ne voulais pas que mes enfants vivent à l'extérieur de moi. Je les étouffais.»

«C'est vrai qu'elle a toujours eu peur que je sorte, soupire Melissa. Elle s'imaginait que je m'étais fait violer si je rentrais 10 minutes en retard!»

Née à La Tuque, Melissa avait 6 ans quand ses parents se sont installés dans la réserve de Wemotaci. «Il y avait beaucoup d'alcool, de violence. Cela m'avait frappée quand j'étais petite. Je voyais des femmes se faire battre, des parents frapper leurs enfants. C'était la façon d'élever les enfants. C'était... normal.»

Des blessures profondes

Comme Melissa, des milliers d'autochtones ont été élevés par des parents coupés de leurs racines au plus jeune âge, dit l'historien Denys Delâge, de l'Université Laval. «On a brisé les liens et la transmission du savoir parental. On a créé des générations qui ne savaient plus être parents, parce qu'ils n'avaient pas été élevés par des parents.»

Avec des résultats catastrophiques dans les communautés autochtones. Aujourd'hui, les enfants d'anciens pensionnaires sont les victimes oubliées de la politique d'assimilation massive pratiquée par le gouvernement du Canada jusqu'à la fin des années 70.

Mary Wilson a entendu 4000 témoignages depuis le début de la tournée pancanadienne de la Commission de vérité et réconciliation sur les pensionnats autochtones, qui tiendra des audiences à Montréal à compter de mercredi.

«Plus de 90% des anciens pensionnaires nous ont confié qu'ils étaient passés par l'alcoolisme ou la dépendance à la drogue. C'est presque 100%.»

Edouard Chilton, Atikamekw de Wemotaci, est de ceux-là. «On consommait. Et on agissait comme des animaux sauvages. On agressait, on se battait. C'est tout ce qu'on a vécu dans les pensionnats. On disait que la boisson était responsable de cela, mais c'était faux. C'était les pensionnats, mais on ne voulait pas l'admettre.»

À ses côtés, sa femme Marguerite Petiquay pleure doucement. Leurs enfants, dit-elle, ne leur ont pas pardonné les dérapages du passé. Aujourd'hui encore, ils évitent de les croiser dans la réserve. Sa famille est brisée, peut-être irrémédiablement.

Pour Edouard et Marguerite, les pensionnats n'ont pas seulement gâché leur enfance, mais toute leur vie.

Briser le cercle vicieux

Mary Coon a dû réapprendre le cri. Elle parle aujourd'hui sa langue maternelle avec l'accent d'une étrangère. Elle s'est réconciliée avec sa fille Melissa.

Depuis deux ans, une paix fragile règne entre les deux femmes. «On ne peut pas changer l'histoire; il faut l'accepter, dit Mary. Il faut admettre ce que nous avons fait à nos enfants, pour tenter de briser le cercle vicieux.»

Mary a réussi à faire la paix avec elle-même. «Mes petits-enfants ne m'ont jamais vue avec une bouteille. Ils n'ont jamais vu la maman qui avait toujours peur.»

Aujourd'hui, c'est Mary qui élève la fille aînée de Melissa, pour qui cette histoire est malheureusement loin d'être terminée. «Ce que ma mère m'a fait subir, je le fais maintenant subir à ma fille. J'ai toujours peur pour elle, moi aussi.»

Mère de quatre enfants, Melissa a confié son fils de 10 ans à une famille d'accueil blanche de La Tuque, «par amour pour lui, même si peu de gens peuvent le comprendre».

Melissa n'en veut plus à sa mère, mais elle reste en colère contre le système des pensionnats. «Il y en a qui disent qu'ils pardonnent, mais moi, je ne peux pas. Parce que ce qu'ils ont fait à nos parents, ils l'ont fait à nous aussi.»

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Trois chiffres

3,5

Les enfants autochtones font l'objet de 3,5 fois plus de signalements que les enfants non autochtones.

5

Les enfants autochtones sont 5 fois plus pris en charge par la protection de la jeunesse, comparativement aux enfants non autochtones.

3,5

Le nombre d'enfants autochtones placés par le Directeur de la protection de la jeunesse (DPJ) est de 3 fois à 3,5 fois plus élevé que celui des enfants non autochtones.